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Billet de blog 16 février 2019

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Les premiers et les derniers.

Je sais une chose de certaine: tout ce qui a jamais été écrit est vrai, toujours. Une fois qu'on a compris ça, la vie est beaucoup plus simple. La vie humaine, s'entend.

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J'explique: quand par exemple un quarteron d'économistes très idéologisés, très dogmatiques, obtient un résultat statistique qui confirme ses préjugés idéologiques alors que les données empiriques observables contredisent ce résultat, trop content que “les chiffres” aillent dans son sens – et quoi de plus incontestable que “les chiffres”? –, ils publie ses résultats en les enveloppant d'une rhétorique “scientifique” censée valider ce qui va contre le sens. Les partisans de cette idéologie, trop contents que “les chiffres” et “la science” la confirment, se font les relais et les propagandistes de cette Vérité des Chiffres. D'autres économistes, moins sensibles à l'idéologie et plus sensibles aux réalités empiriques, refont les calculs, et avec les mêmes données de base trouvent d'autres résultats qui contredisent les premiers. D'autres, intrigués par cette divergence, refont à leur tour les calculs, la plupart obtiennent les mêmes résultats contradictoires au premiers, certains, plus rares, retrouvent les premiers résultats. Toutes ces équipes échangent et tentent de déterminer ce qui diffère dans leurs méthodes et leurs outils, et faisant ces investigations, découvrent que parmi, toutes les équipes, celles qui obtiennent les mêmes résultats que la première équipe utilisent la même version de tableur Excell alors que les autres utilisent d'autres tableurs ou d'autres versions d'Excell. La question est soumise à Microsoft qui, à cette occasion, découvre que dans cette version précise du tableur s'est glissée une erreur de programmation qui génère une erreur de calcul, laquelle se propage et se renforce lors d'itérations multiples. La première équipe refait ses calculs, constate en effet qu'il y a une erreur et publie dans la même revue que celle où elle publia les premiers résultats un rectificatif qui fait part de l'erreur de calcul. Tout est pour le mieux? Non. Parce que les partisans de l'idéologie qui les motiva à publier les premiers résultats, soit par ignorance du rectificatif, soit par malhonnêteté intellectuelle, continuent de diffuser les premiers résultats en les réputant vrais.

Ce qui précède n'est pas un apologue mais le compte-rendu d'un cas réel, des économistes hayekiens ont publié une étude qui “démontrait“ sinon une causalité au moins une corrélation régulière entre niveau des ressources publiques (en part de PIB) et taux de chômage, où plus le niveau de ressources est haut, plus le taux est élevé, un résultat contredit par la réalité où l'on constate une totale décorrélation – il y a des pays à fort niveau et soit à fort, soit à faible taux, et des pays à faible niveau et soit à fort, soit à faible taux. Pour idéologisés soient-ils, nos économistes eurent l'honnêteté intellectuelle de reconnaître publiquement l'inexactitude statistique de leur étude, ce qui n'empêche qu'aujourd'hui encore, plusieurs lustres après, certains “néo-libéraux” continuent de s'appuyer sur cette étude pour expliquer qu'il faut baisser la part des ressources publiques dans le PIB pour diminuer le taux de chômage.

Poser que tout ce qui a jamais été écrit est vrai, toujours, découle de cette considération simple: les vérités d'ordre idéologique se passent de toute vérification d'ordre empirique. Pour prendre un autre exemple incontestable, l'invention d'une supposée “loi salique” postulant que seul l'aîné des enfants de sexe masculin dans l'ordre de succession généalogique de la famille Capet peut devenir roi de France est connue pour être un faux fabriqué par un moine pour légitimer la revendication de primauté dans la succession de la branche Valois au détriment de la branche aînée des Capet dont la lignée ne comptait que des enfants de sexe féminin, cela est connu à-peu-près depuis aussi longtemps que le moment où ce faux fut fabriqué, ce qui n'a pas empêché que depuis ce moment tous les successeurs des rois de France se sont réclamés de cette supposée “loi salique” pour légitimer leur droit de succession. Si vous croyez que les tenants des diverses variantes de créationnisme peuvent être disqualifiés en leur présentant toutes les preuves empiriques qui contredisent leur conviction, vous faites lourdement erreur: ils savent que leur «théorie» est inexacte mais pour eux la question n'est pas là, elle est dans le fait que toute leur conception de ce que doit être l'ordre social dépend directement de l'affirmation que tout ce que dit la Bible est vrai. Il savent que ce n'est pas vrai mais il est d'importance vitale, de leur point de vue, de dire que c'est vrai. Car, si ce n'est pas vrai, alors ils ne sont pas le Peuple Élu et n'ont aucun droit à placer les peuples “non élus” en sujétion parce que “non élus”.

Le plus difficile en cette affaire est de comprendre que ce qui vaut pour “les autres” vaut pour soi: vous, moi et tous les humains partageons la même conviction, celle que notre vérité est valide, et d'ordre supérieur à toute autre vérité. Par exemple et pour être dans le concret, hier j'ai croisé quatre personnes avec lesquelles j'ai discuté d'une même réalité, quelque chose en rapport avec notre actualité politique – sans le jurer, il me semble que c'était en lien avec le Grand Débat, ou plus exactement avec le travail de bateleur de foire que réalise en ce moment Emmanuel Macron, rapport au fait qu'il était à ce moment-là pas bien loin de mon petit Liré (manière de dire et référence littéraire, je n'habite pas à Liré mais dans une petite ville du Berry), mais peu importe le sujet, importe que ce soit “politique” et que ça concerne Emmanuel Macron. La première était “anarchiste libre”, la seconde “anarchiste Gilet Jaune”, la troisième “conservatrice Gilet Jaune”, la quatrième “conservatrice macronienne” – macronienne déçue mais macronienne quand même. Dans les quatre cas, mon analyse de la situation a été acceptée d'un point de vue factuel. Qui m'aura un peu lu dans les pages de Mediapart aura constaté que j'ai des talents “et en même temps” dialectiques et rhétoriques assez efficaces, mais ce que je produis par écrit n'est rien par rapport à ce que je peux produire comme capacité de conviction par oral et en interaction réelle. En général je ne me sers pas de cette capacité pour faussement convaincre, je suis plutôt intéressé par la dialectique que par la rhétorique et préfère passer un très long temps à chercher le consensus, mais si besoin je peux aussi faire mon petit Macron (en fait, mon grand Macron en taille comme en talent, des deux points de vue notre président m'apparaît plutôt Micron) et convaincre par ma rhétorique. Dans ce cas précis, j'ai donné dans la dialectique, et avec mes quatre interlocuteurs j'ai passé un certain temps à me régler pour tendre vers un certain consensus, pour que nous nous accordions sur une certaine compréhension de la réalité discutée. Avec les quatre, nous avons largement convergé et dans les quatre cas avons abouti à-peu-près à la même analyse factuelle de cette réalité. Puis vient toujours le point délicat: à partir de ces prémisses, quelles solutions pour résoudre une certaine situation et aller au-delà du point où elle en est. Et bien, avec les mêmes prémisses et la même analyse, les quatre fois ont ne parvint pas à définir des solutions compatibles. Pourquoi? Parce que l'idéologie.

En cette année 2019, après plus d'un siècle de démonstration que “la meilleure façon de marcher” n'est ni anarchiste libertaire, ni anarchiste fédéraliste, ni socialiste, ni communiste, ni libérale, ni néo-libérale, ni conservatrice, ni réactionnaire, ni rien de ce qui a été essayé depuis la fin du XIX° siècle, il y a une majorité de personnes qui supposent que le problème n'est pas l'irréalisme de leur idéologie mais des causes externes, “le contexte”, “l'adversité”, “la faiblesse des hommes” (moi, je parle des humains, mes interlocuteurs parlent le plus souvent des hommes), “les complots”, “le Petit Lutin Vert“, enfin n'importe quelle cause magique indémontrable mais surtout pas l'irréalisme de leur idéologie de base.

Cela posé, je sais aussi ceci: si on nous avait réunis, mes quatre interlocuteurs et moi, je suis certain que si nous avions consacré suffisamment de temps à nous régler, disons, quatre, cinq ou six heures, nous serions parvenus à élaborer un projet commun valable pour tous en vue de résoudre la question. Parce que si on y met le temps et de la bonne volonté, on finit par comprendre que nous avons tous le même but et tous à-peu-près les mêmes solutions, et que ce qui nous sépare n'importe pas vraiment parce qu'il y a plusieurs voies pour aller vers le même point, que toutes se valent mais que chacune ne vaut pas pour tous. Je fais un mètre quatre-vingt sept, environ quatre-vingt-treize kilos, je marche beaucoup, fais ce que j'ai à faire en utilisant le plus souvent des outils rudimentaires et non électriques, bref, je suis grand, fort; solide et résistant, pour moi aller de chez moi jusqu'à la petite ville la plus proche, qui se trouve à six kilomètres, je le fais souvent à pied, donc la meilleure solution pour ce faire est celle-là. Probablement, pour aucune des mes quatre interlocuteurs ce n'est la meilleures solution mais quelle importance? Ce qui compte est d'aller dans la ville voisine, peut importe comment. J'aime prendre mon temps et y aller à l'économie, tranquille, sans me presser, d'autres veulent y aller aussi vite que possible et à la dépense, fébrilement et en se pressant. Comme ça leur coûtera beaucoup plus que moi ils doivent disposer de beaucoup plus de moyens effectifs (une voiture et du carburant, entre autres) et financiers. En gros, ça nous coûtera le même temps, parce que ça me prendra une heure sans autres frais que le temps de le faire, que ça leur prendra environ dix minutes plus cinquante minutes de travail pour financer leur déplacement, donc une heure aussi. On dit que le temps c'est de l'argent, ce qui est inexact: l'argent c'est du temps. Le temps consacré à réunir l'argent pour financer une moindre durée de déplacement équivaut à-peu-près au temps qu'on prendrait à le faire à coût financier nul, donc à pied. Se déplacer vite n'est rentable que si le parcours est vraiment significatif, en-deçà le gain de temps est illusoire.

Ce que dit sur cette question d'argent qui est du temps est réel et incontestable, reste que ça n'enlève rien à la validité des deux solutions: de mon point de vue, il est vain de s'agiter beaucoup pour obtenir un résultat qui s'obtient aussi bien en s'agitant beaucoup moins, mais je ne conteste pas qu'on puisse avoir une autre opinion sur le sujet. Par contre, quand on ne peut plus mettre de carburant dans son véhicule par manque de finances ou manque de temps, on est bien emmerdé et on a beaucoup moins d'énergie propre pour faire le parcours à pied que celui qui le fait souvent. Marcher, presque tout le monde peut le faire, marcher longtemps et assez vite, ça demande de l'entraînement, si on a passé quarante ou cinquante ans à ne pas s'entraîner, ça pose un très gros problème si on doit s'y mettre, peut-être un problème insurmontable. Probablement un problème insurmontable.

Les idéologie c'est bien, la réalité c'est mieux. Ce jour, ce 16 février 2016 à 18h10 je peux vous faire une prédiction qui ne me coûte rien et que vous pouvez ou non accepter, selon votre niveau d'idéologisation: si dans les jours, les mois, les semaines à venir la situation en France se dégrade au point que le système militaro-industriel qui structure actuellement la société française devait s'effondrer, ça m'ennuierait un peu mais je m'en sortirai assez bien parce que j'en dépends assez peu, j'ai l'habitude de vivre frugalement en comptant avant tout sur mes propres ressources, je ne suis pas certain qu'il en aille de même pour vous. La question est alors: on attend qu'il s'effondre ou on commence tout de suite à changer nos comportements?

Il m'arrive de dire que je suis gentiment cruel parce que très réaliste: il m'indiffère d'être compris quand j'affirme que la seule réalité qui vaille est la réalité réelle, le jour où la réalité illusoire qui structure les sociétés militaro-industrielles s'effondrera seuls ceux qui font confiance, ici et maintenant, à la réalité réelle, passeront sans trop de problème d'une situation à l'autre. Gentiment cruel car le jour où ça arrivera je ne serai pas surpris et impuissant, et qu'il m'indiffère qu'on refuse de comprendre que seule la réalité réelle vaut, ce jour-là, ce ne sera pas mon problème mais celui de ceux qui ne le savent pas.

Un dernier point: si vous ne savez pas que les sociétés dites développées sont réellement de vastes complexes militaro-industriels et ceux qui contribuent à son maintien des petits soldats en uniforme (le dernier modèle d'uniforme à la mode est le gilet jaune est tous les gilets jaunes marchent au pas, mais pas très bien par manque d'entraînement), une fois de plus ça n'est pas mon problème, je n'ai pas besoin de chef pour m'expliquer comment agir dans ce monde, je suis mon propre chef et je sais très bien me débrouiller tout seul. Même pas tout seul: tous ceux qui ne dépendent que d'eux-mêmes savent se reconnaître et s'entraider, ceux qui dépendent d'un chef pour se coordonner, et bien, ils ne savent pas se coordonner. Voir les gilets jaunes: l'individualisme sans autonomie est l'autre nom de l'impuissance.


Ah oui: Le titre. Au départ je pensais lui donner une certaine explication mais le développement de cette discussion m'amène à l'expliquer autrement: les “derniers”, dans le contexte actuel, sont ceux habituellement considérés comme les “assistés”, les “défavorisés” et les “handicapés”, les “indésirables”. Il se trouve que tous ces gens-là ont de très grandes ressources, à preuve leur capacité à vivre pas trop inconfortablement dans une société qui ne les aime pas et fait son possible pour les éliminer. Et bien, si le système s'écroule, les derniers seront les premiers parce que leur situation ne se dégradera pas, tant elle est déjà dégradée. Pas sûr qu'on en dira autant pour les “premiers” du moment actuel.

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