Paradoxale parce que, d'évidence, rien ne sera particulièrement plus simple après qu'avant. On parlera plutôt alors de clarification. De dévoilement. De révélation? Possible. Disons, on parlera d'apocalypse, qui se peut traduire en dévoilement ou en révélation. Je vous avais prévenu, une simplification paradoxale, une simplification qui complexifie.
Bon bon bon bon... Venons-en à ce qui motiva la création de ce billet: Hitler et le sionisme. Du fait que depuis quelques lustres on a mis le signe égal entre antisionisme et antisémitisme, cela implique le signe égal entre sionisme et sémitisme. Problème, le sémitisme n'est pas l'antonyme de l'antisémitisme. Mon correcteur orthographique me signale que pour lui “sémitisme” est un mot acceptable. Étrange, je supposais le contraire, vu que je n'ai pas souvenir d'avoir jamais croisé ce terme. Bon. Je m'en vais consulter le Trésor de la langue française en ligne pour savoir ce qu'il en est. Le mot “sémitisme” désigne les «Civilisation(s), éthique(s), philosophie(s) des sémites» et, par métonymie, «Les sémites, en particulier les juifs et les arabes», avec comme exemple «Les chefs wisigoths de l'Espagne, en forçant le sémitisme d'accepter les formules catholiques, ont dénationalisé, mais non point dénaturé les âmes (Barrès, Cahiers, t. 3, 1904, p. 322)». Étrange formule, ne trouvez-vous pas? Moi non, parce que je sais lire. Je vous invite à lire tout l'article pour comprendre, ou au moins tenter de comprendre, ce que signifie le terme et dans quel contexte on l'employa. Important de le faire, parce que ça permet de saisir quelque chose de ce que visait à l'origine le terme “antisémitisme” qui, à son apparition, s'opposait en effet à “sémitisme”.
Sans trop développer, “sémitisme” concerne, selon les cas, certaines civilisations ou cultures, certaines philosophies ou éthiques, certaines langues ou tournures linguistiques, certaines “nations” (on dirait aujourd'hui des “ethnies”) ou “natures” (on dirait aujourd'hui “races”). Ergo, le terme opposé réfère à l'une de ces significations, ou à plusieurs, ou à toutes. Exemple, que “veut dire” Marcel Proust quand il écrit «Le sémitisme de Swann»? Je ne sais pas car il y manque le contexte. Tiens ben, du contexte j'en ai sur mon site perso, où j'héberge une version HTML de son roman. Je cherche ça. Contexte:
«J'avais bien considéré toujours notre individu à un moment donné du temps comme un polypier où l'œil, organisme indépendant bien qu'associé, si une poussière passe, cligne sans que l'intelligence le commande, bien plus où l'intestin, parasite enfoui, s'infecte sans que l'intelligence l'apprenne mais aussi et pareillement pour l'âme, dans la durée de la vie comme une suite de moi juxtaposés mais distincts qui mourraient les uns après les autres ou même alterneraient entre eux comme ceux qui à Combray prenaient pour moi la place l'un de l'autre quand venait le soir. Mais aussi j'avais vu que ces cellules morales qui composent un être sont plus durables que lui. J'avais vu les vices, le courage des Guermantes revenir en Saint-Loup, comme en lui-même ses défauts étranges et brefs de caractère, comme le sémitisme de Swann. Je pouvais le voir encore en Bloch. Depuis qu'il avait perdu son père, l'idée, outre les grands sentiments de famille qui existent souvent dans les familles juives, que son père était un homme tellement supérieur à tous avait donné à son amour pour lui la forme d'un culte. Il n'avait pu supporter l'idée de l'avoir perdu et avait dû s'enfermer près d'une année dans une maison de santé. Il avait répondu à mes condoléances sur un ton à la fois profondément senti et presque hautain, tant il me jugeait enviable d'avoir approché cet homme supérieur dont il eût volontiers donné la voiture à deux chevaux à quelque musée historique». (Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, partie VII, Le temps retrouvé, chapitre III)
Donc, il s'agit du sémitisme éthique et culturel, la mention ne concerne que d'assez loin Swann et ne concerne pas une supposée judéité, disons, ethnique ou raciale, mais des traits de comportement “genre juif” qui sont autant attribuable à Saint-Loup, un “non juif“, qu'à Bloch, un “juif”. La citation de Barrès concerne le sémitisme ethnique et racial, en induisant qu'il y a une naturalité de certains traits éthiques et culturels attachés à la race, et que les “sémites” espagnols sont en surface d'ethnie “chrétienne”, en profondeur de race “sémite”. Comme dit, rien n'est simple.
Où ça se complique: depuis la deuxième guerre mondiale, d'une par le mot “sémitisme” est sorti de l'usage, de l'autre le mot “antisémitisme” a vu son sens devenir très restreint et ne plus désigner que la “judéité” supposément ethnique ou raciale. Du fait, tout un pan de l'emploi de “antisémitisme” d'avant la deuxième guerre mondiale est devenu opaque et a pris une signification sans aucun rapport avec celle de l'époque. Quand Bernanos, qui est encore dans le contexte culturel d'avant la deuxième guerre mondiale, écrit en 1944, constatant l'évolution du contexte, «Antisémite: ce mot me fait de plus en plus horreur. Hitler l'a déshonoré à jamais. Tous les mots, d'ailleurs, qui commencent par “anti” sont malfaisants et stupides», ne pas chercher à le comprendre selon le contexte de 2018 mais selon le contexte de 1944: il y dit tout simplement que par leur action et leur verbe Hitler et tous ceux qu'il représente ont recouvert d'une simplification malfaisante et stupide toute la polysémie du terme. Il y ajoute bien sûr ce cette évolution lui a fait prendre conscience que tout «anti-quelque chose» porte en lui ce risque de la simplification meurtrière. Mais, une simplification réciproque: l'antisémite de 2018 simplifie le réel, l'anti-antisémite aussi.
Revenons à Hitler. J'écris dans un précédent billet précédent que «Hitler eut assez longtemps des sympathies pour la cause sioniste». Comme, en ces temps, antisionisme=antisémitisme=antijudaïsme, alors sionisme=sémitisme=judaïsme. Donc, je dis qu'Hitler était Juif? Aucune idée, c'est possible, il faudrait lui demander mais je crois que c'est un peu tard, en tout cas je présume que non. Qu'il était “prosioniste”? Possible mais peu probable. Qu'il était “prosémite”? Possible mais je doute. Qu'il était “projuif”? L'Histoire semble démontrer le contraire et j'ai confiance en ce récit historique établissant que les responsables politiques de l'Allemagne nazie et toute leurs administrations étaient des antijuifs radicaux, et meurtriers. Alors? Et bien, pendant tout un temps, il apparaissait à l'antijuifs Hitler et à toute sa clique que le projet sioniste de déportation des Juifs hors d'Europe pour aller fonder ailleurs un “foyer national juif” était une solution peu coûteuse et assez simple pour régler le “problème juif”, lequel requérait que les Juifs disparaissent du sol européen par n'importe quel moyen. Sans le jurer, la “solution finale” mise en place a du considérablement emmerder les responsables nazis, rapport au fait que ça leur coûtait un max de pognon et que ça mobilisait beaucoup de moyens matériels et humains pour un rapport presque nul. À l'évidence, Hitler n'avait aucune sympathie pour les sionistes, mais de la sympathie pour leur projet, leur cause, qui convergeait avec son projet: plus un seul Juif en Europe.
Rien n'est simple, et simplifier la réalité complique beaucoup les choses.