Olivier Hammam (avatar)

Olivier Hammam

Humain patenté mais non breveté.

Abonné·e de Mediapart

1163 Billets

5 Éditions

Billet de blog 19 novembre 2024

Olivier Hammam (avatar)

Olivier Hammam

Humain patenté mais non breveté.

Abonné·e de Mediapart

Corps et Esprit.

Tout fragment de l'univers est (hypothétiquement) dual et (hypothétiquement) ternaire. Sauf à disposer d'une théorie de l'univers plus consistante que celles qui postulent la dualité ou/et la ternarité de l'univers, celles-ci sont les plus valides.

Olivier Hammam (avatar)

Olivier Hammam

Humain patenté mais non breveté.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

D'où, la supposition qu'on puisse “consommer de l'énergie”, et elle seule, sans “consommer de la matière”, est une imbécillité. Ce qu'on nomme “énergie” dans le discours dominant supposant une séparation entre “énergie” et “matière” n'est pas de l'énergie mais l'indice d'un mouvement entre des fragments de l'univers se manifestant en tant qu'énergie et fragments se manifestant en tant que matière. Il en résulte un mouvement principalement de type “matière” ou principalement de type “énergie” ou à-peu-près également des deux types. Dans tous les cas il en résulte ce qu'on peut nommer dégradation, quand on considère la pseudo-réalité indémontrable qu'il existe des fragments de l'univers “purement énergie” et des fragments de l'univers “purement matière”, et transformation quand on considère la réalité démontrable de la dualité de tout fragment de l'univers. C'est une vieille hypothèse, très vieille, et démontrée “scientifiquement” depuis environ deux siècles et demi avec les travaux de, pour citer le début de l'article sur lui, «Antoine Lavoisier, ci-devant de Lavoisier». Je cite cet article:

«La maxime “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme” attribuée à Lavoisier, est inspirée du philosophe grec présocratique Anaxagore: “Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau”, énonciation qui, grâce aux travaux expérimentaux de Lavoisier, passe du statut de maxime philosophique, à celui de principe physico-chimique. Ainsi, dans son Traité élémentaire de chimie de 1789, Lavoisier parle de la matière en ces termes:
“On voit que, pour arriver à la solution de ces deux questions, il fallait d’abord bien connaître l’analyse et la nature du corps susceptible de fermenter, et les produits de la fermentation; car rien ne se crée, ni dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature, et l’on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération; que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu’il n’y a que des changements, des modifications”».

Comme dit précédemment, c'est une très vieille hypothèse, au moins deux millénaires et demi dans une formulation “objective” du type dit “philosophique” (Anaxagore a vécu entre -500 et -428) et donc, environ deux cent cinquante ans dans une formulation “objective” du type dit “scientifique”. Les individus étant des sujets, quoi qu'ils en pensent ou quoi que pensent d'eux d'autres individus, dans tous les cas il s'agit de propositions subjectives, simplement un Anaxagore ou un Lavoisier ont une forme de subjectivité critique d'elle-même et ne se contentent pas d'une “évidence des faits” supposée, ça évite de dire trop de conneries (si involontaire) ou de saloperies (si volontaire), quand on se contente de cette évidence supposée – le jour où tous les faits seront évidents n'est pas venu, c'est certain…

Il y a des inexactitudes dans la citation, en premier poser qu'Anaxagore est un “présocratique”: le terme est purement (ah! Enfin de la pureté! On en manquait dans ce billet…) propagandiste et permet une triple opération de transformation du réel en faveur d'une certaine idéologie, celle attribuée à Socrate, effectivement développée en tant que corps de doctrines par ses supposés élèves, qui le furent peut-être sans toujours avoir bien retenu ses leçons, en faveur d'une supposée antériorité de toutes les autres idéologies du type dit philosophique et en faveur d'une supposée homogénéité de toutes les idéologies réputées socratiques: un jour il y eut Socrate, le Premier et Unique, “avant” il y eut un ensemble de “primitifs” qui ne sont pas premiers mais avant l'Unité de la Pensée, celle découlant de la Pensée de l'Unique. Je veux bien qu'Anaxagore soit “présocratique” mais bon, il naît vers -500, trente ans avant Socrate, meurt vers -430, trente ans avant Socrate, et développe sa philosophie, pour l'essentiel, dans la période ou l'un et l'autre sont contemporains. Si vous consultez l'article sur ces supposés présocratiques vous verrez que seuls six d'entre eux ont vécu et enseigné pour l'essentiel avant Socrate, tous les autres sont ses contemporains voire ont vécu et enseigné après sa naissance. Et bien sûr, il n'y a guère de concordance entre ces divers philosophes, certains étant initiateurs d'une philosophie de type platonicien, certains d'une philosophie de type aristotélicien, certains encore ayant suivi une autre voie.

L'actuelle théorie de l'univers, celle conjointement “relativiste” (“einsteinienne”) et “quantique”, elle-même duale et ternaire, parvient par des voies différentes à la même conclusion: on ne peut opposer l'énergie et la matière car il n'est de matière que s'il y a de l'énergie et d'énergie que s'il y a de la matière. Le concept de la dualité onde-corpuscule est “quantique” dans sa formulation car elle concerne d'abord l'infiniment petit, qui fut l'objet premier de la mécanique quantique, mais dans l'univers ce qui vaut pour la partie vaut pour le tout et réciproquement: la théorie relativiste d'Einstein s'intéresse en premier à l'infiniment grand, reste que les interactions gravitationnelle et électromagnétique s'appliquent indifféremment au tout et à la moindre de ses parties, et que celles nucléaire faible et nucléaire forte se constatent dans l'infiniment petit mais structurent les parties de l'infiniment grand, donc s'appliquent au tout. Je ne suis pas physicien donc je m'indiffère de ces querelles entre les “petits-boutistes” et “gros-boutistes”, ça n'est pas mon sujet ici, plus social que naturaliste (la physique est la science de la nature), simplement, faire des hypothèses sur la société sans tenir compte de la nature des choses et des choses de la nature résultera en un discours peu réaliste. Or, l'hypothèse d'une séparabilité de l'onde et du corpuscule, de l'énergie et de la matière, de l'esprit et du corps, est irréaliste.

L'hypothèse de la dualité onde-corpuscule n'est pas binaire mais ternaire: elle fait le constat de cette inséparabilité mais aussi le constat d'une différence aspectuelle et fonctionnelle du phénomène “onde” et du phénomène “corpuscule”. Considérons les deux phénomènes élémentaires qui se manifestent principalement, l'un comme “onde”, l'électromagnétisme, l'autre comme “corpuscule”, les neutrinos: pour les seconds il n'y a pas possibilité de supposer qu'ils ne sont que “matière” pour l'évidente raison que la seule manière de les détecter est le constat de leur brève transformation en “énergie” et en “matière” mais une autre matière que celle initiale (ce qui laisse à penser sur leur supposée classification en “particules élémentaires”: si une particule censément insécable, “atomique” au sens exact, peut se diviser, elle est sécable donc composite; on laisse cette question de côté pour l'instant); pour la première, dès lors qu'on suppose une autonomie de l'onde en tant qu'énergie sa manifestation en tant que particule (les photons) apparaît accidentelle. Pourtant, on peut mesurer la densité photonique, et de même peut-on mesurer la densité “neutrinonique”, et quand on les mesure il apparaît qu'elle est à-peu-près égale, je ne me rappelle plus la valeur mais c'est quelques chose comme trois mille “particules” de l'une ou l'autre sorte au millimètre ou centimètre cube – une valeur moyenne, cette densité variant selon les contextes. Si en outre on mesure le mouvement apparent, il est d'égale vélocité, environ trois cent mille kilomètres par seconde. D'où il ressort que les particules élémentaires “électromagnétiques” et “matérielles” ont des niveaux de matérialité et de potentiel énergétique égaux. Peut-on supposer alors que ce qui les distingue est autre chose que leur “nature propre”? Peut-on supposer que c'est “la même chose vue sous deux aspects”? Je le dis, on peut faire cette hypothèse assez tranquillement.

La dualité onde-corpuscule implique un troisième acteur: le lien. Dans la cosmologie et la mécanique actuelles (relativité générale et théorie quantique) ce lien a un nom générique déjà mentionné, “interaction”, en long «interaction élémentaire», et se manifeste sous quatre formes, celles mentionnées précédemment et détaillées dans l'article de Wikipédia que je viens de mettre en lien.

 Difficile de déterminer si l'apparence et l'essence coïncident. Vraisemblablement non, mais de quelle manière divergent-elles? Je veux dire: il est certain que l'énergie et la matière sont liées, moins certain de déterminer si la matière, l'énergie et le lien sont trois aspects d'une seule réalité, ou trois réalités distinctes, ou deux réalités, celle “onde-corpuscule” et celle “interaction”. Je ne suis pas physicien (en fait personne ne l'est, ça n'a rien d'ontologique, quand je parle de ce dont j'ai une bonne connaissance je prends soin de dire que j'ai des compétences ou que c'est un de mes domaines de compétence, donc: la physique n'est pas un de mes domaines de compétence) mais je connais assez bien et surtout, je connais l'histoire des sciences de la nature, dont celle dite aujourd'hui la physique, et je sais ceci: toute théorie sur la structure de l'univers, cosmologie comme mécanique, est transitoire, toute hypothèse sur l'infiniment grand et l'infiniment petit est inexacte et toutes théories et hypothèses sur ces domaines se confrontent à une indécidabilité: univers unaire, binaire ou ternaire dans son tout et dans ses parties? Du fait, bien que, comme les physiciens eux-mêmes, du moins ceux sérieux, qui savent qu'une théorie est valide «jusqu'à preuve du contraire», et que cette preuve adviendra un jour, je considère provisoirement celle actuelle valide, d'autant qu'elle se confronte à la même limite que toutes les précédentes: en-deçà et au-delà d'un certain point on doit supposer que le connaissable est le vrai, que les fragments élémentaires de l'univers sont les neutrinos et les photons, particules “insécables” ou “atomes”, malgré des indices faisant supposer qu'elles sont sécables, que l'univers connaissable commence il y a environ quatorze milliards d'années et a une certaine extension, malgré des indices faisant supposer que ça n'est pas si exact que ça, qu'il y a quatre “forces” ou “interactions” qui ne sont ni onde ni particule et qui pour deux d'entre elles ont une portée universelle, pour les deux autres une portée extrêmement limitée, enfin que tout fragment de l'univers autre que “force” ou “interaction” est indistinctement particule et onde.

Comprenez bien qu'il n'importe en rien que ce soit, pour employer des gros mots, vrai ou faux (excusez ma grossièreté), il s'agit de l'état de l'art en ce domaine des sciences: toute autre hypothèse ou théorie actuelle sur l'univers dans son ensemble et ses parties est plus faible, tant pour ce qui concerne le passé que le présent, et plus faible pour ses prédictions: quand Einstein expose sa relativité générale un large pan de sa théorie et de ses hypothèses est empiriquement indémontrable mais au cours du siècle suivant des expériences dites de falsification, c'est-à-dire conçues pour déterminer si elles pourraient se révéler fausses, on démontré l'inverse; il reste des faits qui montrent qu'elle est imparfaite mais pour tous ceux pris en compte par sa théorie, elle reste valide, charge à quelque d'une proposer une plus consistante mais il n'est pas encore venu à ce qu'il semble; de même, les hypothèses et théories basées sur les principes de la mécanique quantique exposés pour l'essentiel durant le premier tiers du XX° siècle et pour beaucoup d'entre elles empiriquement indémontrables quand proposées ont été démontrées empiriquement depuis. Il y eut durant cette période beaucoup d'hypothèses et théories proposées, possiblement certaines pourraient être la base d'une nouvelle théorie tant pour l'infiniment grand que l'infiniment petit, mais comme elles sont pour l'instant indémontrables, malgré des années, des lustres, des décennies de tentatives de démonstration, on dira, je dis: elles sont vraies, jusqu'à preuve du contraire.

Chacune à sa manière dit la même chose: que l'énergie et la matière sont indivisibles, que l'une est la manifestation d'un certain état de l'univers qui se constate à partir de l'autre, que selon la manière d'observer ce qui dans un cas nous apparaît “matière”, dans l'autre nous apparaît “énergie”, bref, qu'énergie et matière sont deux aspects d'une seule réalité. Et que “quelque chose”, une “force” ou “interaction”, les lie et les relie. D'où mon doute quant aux notions de “corps” en tant que “chose en soi” et d'“esprit” en tant que “chose en soi”. Je veux dire: de même qu'il est indéniable que les fragments de l'univers se manifestent, soit comme “énergie”, soit comme “matière”, il est indéniable qu'ils se manifestent dans ce qui nous concerne au premier chef, le phénomène nommé “vie”, soit comme “corps”, soit comme “esprit”. Bon mais, une fois ça dit, il en va là comme pour les ondes et les particules: on peut faire l'hypothèse que les ondes et les particules sont deux réalités distinctes, d'ailleurs bien des théories passées ou présentes le supposent, mais on ne constate une particule que par l'énergie qu'elle absorbe ou dispense, une onde que par sa circulation d'une particule à une autre, on constate donc ce qui les lie mais non ce qui les délie; on peut faire l'hypothèse que le corps et l'esprit sont deux réalités distinctes mais un corps sans esprit n'est plus un corps, il est un ensemble non vital de fragments de l'univers, et un esprit sans corps n'est plus un esprit car il ne se manifeste pas autrement que dans un corps: “quelque chose” les lie et les délie, et une fois déliés on ne les constate plus ni comme corps ni comme esprit.

Pourquoi je raconte ça, au fait? Bon, faut que je me relise. Au moins le titre et l'intro, pour me souvenir du motif de la création de ce billet.

Ah ouais d'accord, «Corps et Esprit»… Comme titre bateau on ne fait guère mieux, ça sent son philosophe ou son théologien à plein nez! Voire pire, son psy-quelque-chose! C'est pas mon truc pourtant, pas mes “domaines de compétence” (ou d'incompétence…). Voyons l'intro:

«Tout fragment de l'univers est (hypothétiquement) dual et (hypothétiquement) ternaire. Sauf à disposer d'une théorie de l'univers plus consistante que celles qui postulent la dualité ou/et la ternarité de l'univers, celles-ci sont les plus valides».

D'accord… Bon ben voilà, tout est dit à ce qu'il semble. Pourtant ça n'est pas mon impression. J'ai voulu «dire quelque chose» plus ou moins en lien avec ce titre ramasse-tout et cette intro qui a tout d'un truisme, mais quoi? Faut que j'en lise un peu plus pour me recadrer.

Ah ça y est! Je me suis recadré! C'est dit au tout début du billet. Pour vous éviter la peine d'y revenir et le désagrément de perdre le fil de ce discours palpitant et plein de rebondissements, je le cite:

«D'où, la supposition qu'on puisse “consommer de l'énergie”, et elle seule, sans “consommer de la matière”, est une imbécillité. Ce qu'on nomme “énergie” dans le discours dominant supposant une séparation entre “énergie” et “matière” n'est pas de l'énergie mais l'indice d'un mouvement entre des fragments de l'univers se manifestant en tant qu'énergie et fragments se manifestant en tant que matière. Il en résulte un mouvement principalement de type “matière” ou principalement de type “énergie” ou à-peu-près également des deux types. Dans tous les cas il en résulte ce qu'on peut nommer dégradation, quand on considère la pseudo-réalité indémontrable qu'il existe des fragments de l'univers purement énergie” et des fragments de l'univers “purement matière”, et transformation quand on considère la réalité démontrable de la dualité de tout fragment de l'univers. C'est une vieille hypothèse, très vieille, et démontrée “scientifiquement” depuis environ deux siècles et demi».

Voilà, ce n'est pas un discours sur l'univers dans sa globalité et dans ses parties les plus infimes, ni sur la Vie et le Sens de la Vie, mais un texte beaucoup plus trivial de type sociologique et politique, ce qui me ressemble beaucoup plus. En fait ce qui précède est censé cadrer le discours, donc j'ai bien eu nécessité à le recadrer – pour moi c'est sûr, pour vous peut-être aussi.

Le point commun entre les notions en opposition binaire énergie-matière et corps-esprit est l'hypothèse commune de leur séparabilité, ce que l'observation dément: on ne constate jamais d'énergie sans matière ni d'esprit sans corps; on peut faire l'hypothèse d'un corps sans esprit et d'une matière sans énergie mais bon, un corps sans esprit est un objet sans vie et une matière sans énergie une réalité indiscernable, donc on se passera de ces hypothèses puisqu'elles sont indémontrables. Dans la suite de cette discussion je vais utiliser des termes extrêmement connotés, donc je vais les définir ici pour éviter, ou au moins tenter d'éviter les erreurs de compréhension de mon discours.

D'abord les notions d'abstrait et de concret: on peut dire concret un fragment de réalité observable, abstrait un fragment de réalité représenté mais inobservable. Les termes désignant une abstraction sont toujours des métaphores ou des métonymies, des termes qui désignent initialement des concrétions et qu'on applique à des représentations. Je lisais ou entendais récemment un propos sur les sociétés “primitives” qui nomment les notions appliquées à des concepts en lien avec la durée et la segmentation de la durée par des termes qui nomment des observations sur l'espace et la segmentation de l'espace, mais c'est le cas aussi des sociétés “non primitives”, de toute les sociétés en fait, parce que la durée est inobservable, donc pour en nommer les parties on doit user de métaphores et de métonymie et, semble-t-il, toutes les sociétés tendent à établir une concordance ou similarité entre “espace” et “temps”, entre extension et segmentation dans l'espace et dans la durée. L'espace est un, il est indivisible, et de même la durée, mais pour se situer dans l'espace et la durée, situer les réalités autres que soi dans les deux, on doit les diviser et les segmenter. Segmenter l'espace est de l'ordre du concret car l'espace est observable; la durée a des qualités similaires et en outre les rares éléments concrets donnant l'indice de la durée sont des éléments en lien direct avec l'espace et le mouvement des objets dans l'espace, d'où ces abstractions universelles nommant par des termes utilisés pour décrire l'espace des réalités inobservables décrivant le temps. J'espère que cette explication vous a donné clairement la compréhension de ce que je nomme ici “abstrait”, “abstraction”, et “concret”, “concrétion”. Pour l'instant ces définitions me semblent suffire, si par la suite je suppose une possible incompréhension (ça se produira), je donnerai d'autres définitions.

Nommer les choses, abstraites comme concrètes, c'est toujours commettre une erreur, je veux dire: la réalité n'est pas divisible, donc diviser la réalité c'est toujours faire une erreur. On les nomme toujours “à partir de soi”, pas nécessairement le “soi” qui à un instant donné les nomme, en revanche, nécessairement à partir d'un “soi” réel ou hypothétique. Exemple: j'écris cette phrase dimanche 17 novembre 2024 à 20h32. Un “soi” hypothétique autre que Ma Pomme a déterminé qu'au lieu où je réside l'heure officielle et la date suivant la chronologie dénommée «ère commune» ou EC (si j'use de ces termes, «avant l'ère commune» sera AEC) étaient, lors de la rédaction de la phrase précédente, celle énoncée; ce “soi” est une abstraction, il ne s'agit pas de la décision d'une personne déterminée à un instant déterminé, mais dans mon contexte c'est ainsi que tous les humains qui souhaitent situer une action dans le temps diront s'ils souhaitent que les autres humains localisent le moment nommé. C'est une erreur mais comme elle est commune, ça devient une vérité, et à partir de cette donnée abstraite (pour mieux préciser, 20h32 GMT+1 c'est-à-dire 20h32 relativement à l'heure constatée au même moment pour le méridien de Greenwich mais valable pour le méridien suivant dans l'ordre chronologique. Factuellement c'est inexact car dans ma zone on use d'un système différent, y compris pour le méridien de Greenwich, et si j'usais du système non corrigé qui détermine l'heure moyenne dans ce méridien, j'aurais écrit 19h32 GMT+1), si vous me lisez “après”, ça vous permettra de déterminer combien de jours et d'heures “avant” votre lecture j'ai rédigé cette phrase. Les mots avant et après entre guillemets pour signaler que ça confirme un propos antérieur: le temps “c'est de l'espace” car ces deux termes nomment dans le concret des positions dans l'espace, positions relatives à un “soi” hypothétique, la durée “avant” est celle “devant soi” et celle “après celle “derrière soi” – ouais, les gens qui ont donné ces noms à ces moments considéraient, contrairement à mes contemporains Français, et aussi à moi de manière spontanée, que le “passé“ est “devant soi” et l'“avenir” (le “à venir”) “derrière soi”. Juste pour signaler que les abstractions n'ont qu'un rapport ténu avec la réalité qu'elles sont censées décrire, y compris quand cette réalité a un rapport effectif même si indirect avec le concret.

Une fois qu'on a compris que dans tous les cas mais particulièrement dans ceux où l'on nomme des abstractions on commet une erreur, car outre le fait qu'elle soit indivisible, la réalité n'est pas quelque chose qui se déploie à partir d'un “soi” concret, Ma Pomme ou Votre Pomme ou toute autre Pomme du Panier, c'est plus facile d'en commettre moins, il suffit de se dire et d'admettre qu'on n'est pas le centre de l'univers et que notre représentation de la réalité est toujours inexacte, ce qui contribue à nous aider à faire preuve de plus d'exactitude. Cela dit, la réalité n'étant pas sa représentation, il faut aussi tenir compte du fait que chaque Pomme du Panier est le centre du monde. Je veux dire: chacun accède à la réalité à partir d'un “soi” déterminé, qu'on nomme usuellement “moi”; supposer qu'on fait autrement est aussi peu exact que supposer un “soi”  abstrait qui serait “autre que moi” mais aurait le même point de vue sur la réalité que le “soi” concret que chacun est. C'est le problème le plus crucial: supposer que la représentation est exacte, qu'elle correspond exactement à la réalité concrète ou abstraite représentée.

Le sujet de ce billet concerne l'écart entre la réalité comme “chose en soi” et la réalité comme représentation, et l'erreur commune de supposer une concordance effective, “concrète”, entre la chose effective et la chose représentée.

Revenons à ma proposition initiale:

«La supposition qu'on puisse “consommer de l'énergie”, et elle seule, sans “consommer de la matière”, est une imbécillité».

Son corollaire:

«La supposition qu'on puisse “consommer de la matière”, et elle seule, sans “consommer de l'énergie”, est une imbécillité».

La proposition “réaliste” qui suit:

«Ce qu'on nomme “énergie” dans le discours dominant supposant une séparation entre “énergie” et “matière” n'est pas de l'énergie mais l'indice d'un mouvement entre des fragments de l'univers se manifestant en tant qu'énergie et fragments se manifestant en tant que matière».

Et la conclusion qu'on peut en tirer:

«Il en résulte ce qu'on peut nommer dégradation, quand on considère la pseudo-réalité indémontrable qu'il existe des fragments de l'univers “purement énergie” et des fragments de l'univers “purement matière”, et transformation quand on considère la réalité démontrable de la dualité de tout fragment de l'univers».

L'interprétation courante de la notion d'entropie est “désordre” avec une connotation négative; c'est à-peu-près l'acception que propose le Trésor de la langue française, le TLF: «Grandeur thermodynamique exprimant le degré de désordre de la matière»; celle que propose le Wiktionnaire est plus précise et plus exacte: «Quantité physique qui mesure le degré de désordre d’un système».

La page «Entropie» de Wikipédia est ce qu'on y nomme une page d'homonymie car le terme est polysémique. Elle propose cette définition qui rend compte du sens que lui attribua l'inventeur de cette métaphore:

«Le terme entropie a été introduit en 1865 par Rudolf Clausius à partir d'un mot grec signifiant “transformation”. Il caractérise le niveau de désorganisation, ou d'imprédictibilité du contenu en information d'un système».

L'étymologie m'intéresse car elle se relie à ma seconde proposition concernant la “conclusion à tirer” des précédentes propositions:

«Il en résulte ce qu'on peut nommer […] transformation quand on considère la réalité démontrable de la dualité de tout fragment de l'univers».

Dans la définition du Wiktionnaire il manque un mot, qui figure je je suppose dans l'article sur l'entropie en thermodynamique de Wikipédia? Je vérifie ça et si oui, je cite. Ou non? Je cite, mais en élaguant car la partie qui m'intéresse est trop “technique” dans le cadre de ce billet:

«En vertu [du] deuxième principe [de la thermodynamique], deux cas peuvent se présenter:
* soit il s'agit d'un système isolé, c'est-à-dire qu'il n'échange rien (ni matière, ni aucune forme d'énergie) avec le milieu extérieur, dans ce cas l'entropie du milieu extérieur ne varie pas au cours de la transformation et donc l'entropie du système lui-même ne peut qu'augmenter, ou à la rigueur rester nulle si la transformation est réversible;
* soit le système n'est pas isolé, auquel cas son entropie peut éventuellement diminuer au cours de la transformation mais uniquement sous réserve que l'entropie du milieu extérieur augmente davantage, de telle sorte que la somme des deux variations reste positive – ou nulle dans le cas réversible».

Les concepts de systèmes fermés et de systèmes isolés sont des abstractions et de tels systèmes ne se rencontrent pas dans la réalité observable. En fait, les “systèmes” ne se rencontrent pas dans la réalité observable, ce sont des “soi”, des représentations calquées sur un “soi” concret, Ma Pomme ou Votre Pomme ou toute Pomme, du même panier ou d'un autre, bref, des métaphores. L'univers étant indivisible nul de ses fragments n'est isolé ou fermé, à tout instant toute partie de l'univers est traversée par des “interactions”, des “ondes” et des “particules”. Vous et moi et toute entité du vivant sommes “dans un panier”, dans un fragment d'univers concret, c'est-à-dire observable, et assez stable. Temporairement (au moment où j'écris et pour vous, au moment où vous lisez) , nous sommes “des pommes”, c'est-à-dire des fragments limités et concrets de ce fragment concret plus vaste, “le panier”, en la circonstance la planète Terre, elle-même fragment d'un fragment plus vaste, “l'étal”, le système solaire, avec son “étagère” ou sa “table”, le Soleil, et “les paniers sur l'étagère”, les autres planètes, les planétoïde, astéroïdes, comètes, etc. qui sont des fragments “isolés”. Pas vraiment, l'univers étant indivisible, ces concepts de systèmes, isolés ou fermés, découlent de notre rapport à la réalité concrète: durant un temps variable une “entité du vivant” fonctionne comme un système fermé ayant une faible autonomie, une faible “loi du soi”, c'est-à-dire une capacité très restreinte mais non négligeable de ne pas se soumettre au cas général nommé “entropie positive”, où les transformations résultent en un apparent désordre, qui permet à ce fragment d'univers de faire localement et temporairement de l'“entropie négative”, des transformations qui résultent en un apparent ordre. Pour des entités de notre genre, c'est-à-dire tout fragment autonome, toute “entité du vivant”, tout “individu”, ces termes entre guillemets car ce sont des abstractions, l'entropie négative ou néguentropie est connotée positivement car c'est ce phénomène qui nous permet, un temps plus ou moins long d'avoir une petite autonomie – d'être une entité du vivant. Et bien sûr l'entropie positive est connotée négativement parce que c'est le lot commun, celui du non vivant, ce qui n'est pas pour nous plaire, sauf si, pour un individu déterminé, la vie “lui pèse”, les efforts qu'il doit faire pour préserver son autonomie dépassent ses capacités.

Entropie et néguentropie, ordre et désordre sont des abstractions. Il n'est pas toujours simple de différencier les métaphores et les métonymies, les deux premiers termes sont plutôt des métaphores (exprimant la similarité), les deux autres plutôt des métonymies (exprimant la contigüité). L'entropie “ressemble au mouvement général du monde”, la néguentropie “ressemble au mouvement propre au vivant”; l'ordre est le propre du vivant donc ses parties comme son tout sont “ordonnées” ou “créent de l'ordre”, le non vivant étant “sans ordre” dans son tout et ses parties. Il y a certes “de l'ordre” dans le non vivant mais un ordre créé ou discerné par le vivant. C'est d'ailleurs un motif éminent expliquant l'animisme spontané des humains: voyant “de l'ordre” dans le “non humain” vivant ou non vivant, ils en concluent qu'il doit y avoir, qu'il y a “de l'âme” en lui; c'est aussi un moyen pour justifier l'exclusion de certains humains généalogiques de la classe des humains: si on leur suppose “du désordre” ça démontre qu'ils n'ont probablement pas d'âme, donc qu'ils sont “hors humanité”. La fameuse «controverse de Valladolid» (fameuse? Je ne suis pas si sûr du fait. Passons…) ne s'articule pas proprement sur la question de l'animation des “Indiens” (des natifs américains) et des autres peuples conquis, question tranchée par un pape donc inquestionnable, mais sur leur “qualité d'âme”, ce qui est de la pure sophistique habillée des oripeaux de la dialectique. Pour citer l'article de Wikipédia:

«[La] divergence [entre Bartolomé de Las Casas et Juan Ginés de Sepúlveda] se concentre particulièrement sur l'interprétation des critères donnés par Aristote pour identifier les « esclaves naturels » qui peuvent être soumis par la force: “Chez tous ceux chez qui l'emploi des forces corporelles est le seul et le meilleur parti à tirer de leur être, on est esclave par nature” (La Politique, Livre I, 1255a, § 13;

Et plus loin:

«Les deux protagonistes du débat adhèrent au raisonnement d'Aristote selon lequel certaines âmes humaines sont naturellement supérieures à d’autres âmes humaines de sorte qu'il est juste de soumettre par la force physique l’homme dont la raison est naturellement faible car il ignore ou refuse son propre bien connu par son maître: la soumission. Aristote développe ce raisonnement en écrivant qu'il “est évident que les uns sont naturellement libres et les autres naturellement esclaves, et que, pour ces derniers, l'esclavage est utile autant qu'il est juste. [...] Cette opinion revient précisément à fonder sur la supériorité et l'infériorité naturelles toute la différence de l'homme libre et de l'esclave, de la noblesse et de la roture. ... cette chasse que l'on doit donner aux bêtes fauves et aux hommes qui, nés pour obéir, refusent de se soumettre; c'est une guerre que la nature elle-même a faite légitime”. (La Politique, 1255a-1256a § 14-20, 1257a § 8.

De même qu'il n'est pas toujours aisé de distinguer métaphore et métonymie, il est parfois – il est souvent – malaisé de déterminer si un rhéteur donne dans la dialectique ou dans la sophistique, comme ici avec Aristote: développe-t-il naïvement un argument qu'il estime ressortir de la dialectique ou donne-t-il sciemment à un discours purement idéologique et sophistique les aspects de la logique dialectique? Par le fait ça n'a guère d'importance. On peut cependant supposer qu'il se fait ici sophiste, car il faudrait être un parfait imbécile pour ne pas comprendre que ces arguments valent pour, ou plutôt contre soi-même: vivant à l'époque de Philippe II et Alexandre III de Macédoine (dont il fut le précepteur), lui-même Macédonien, il sait on ne peut mieux que les “libres” de Grèce, d'Asie mineure et d'autres lieux durent quelque peu en rabattre quant à la question de la naturalité de la condition de libre, la naturalité de la condition servile et la naturalité de la chasse aux serviles insoumis…

Donc, entropie, néguentropie, ordre, désordre sont des abstractions. Les notions d'ordre et de désordre découlent d'une comparaison préalable entre le vivant et le non vivant: le premier “met de l'ordre”, le second “est sans ordre”; le vivant s'ordonne lui-même et ordonne le non vivant. Perception inexacte, le vivant est aussi ou aussi peu ordonné que le non vivant. Comme dit dans l'article sur l'entropie, «[dans un système non isolé elle] peut éventuellement diminuer au cours de la transformation […] sous réserve que l'entropie du milieu extérieur augmente». Ce qui se lit aussi comme: les notions de néguentropie et d'entropie en tant qu'équivalents des notions d'ordre et de désordre  reposent sur une analyse défectueuse de la réalité où l'on suppose un fragment du vivant (cellule, organisme, écosystème…) comme intrinsèquement ordonné, autre que le non vivant ou que le reste du vivant, et non soumis au désordre ou au “non ordre” du non vivant. De même qu'Aristote avec ses esclaves “par nature”, les vivants qui supposent une séparation “par nature”entre vivant et non vivant occultent cette évidence de la circulation permanente entre “vivant” et “non vivant”: du non vivant incorporé au vivant “s'ordonne”, du vivant incorporé au non vivant “se désordonne”, d'où l'on peut tirer la conclusion que l'ordre est un cas du désordre ou l'inverse, mais le rapport quantitatif entre vivant et non vivant donne à penser que l'ordre est un cas, fortuit et toujours provisoire, du désordre, le vivant un cas provisoire du non vivant.

Quand on réfléchit, disons, de manière objective aux notions abstraites d'entropie et de néguentropie, on en vient à un constat du même ordre: la néguentropie est un cas de l'entropie. Factuellement, on peut décrire l'ensemble comme une “dualité entropie-néguentropie”: si on observe la circulation entre ces deux états “à partir de la néguentropie”, c'est-à-dire à partir d'un système temporairement et imparfaitement fermé au sein duquel a lieu d'une manière assez durable pour être constatable “de la néguentropie stable”, on la qualifie “opposé de l'entropie”, “négation de l'entropie”, mais le fait même que cette situation est transitoire invite à se poser la question de la validité de cette opposition. Une analyse plus consistante serait alors: les fragments d'univers sont tous et toujours alternativement entropiques et néguentropiques. Vous savez, ce fameux et très ancien symbole faussement rattaché, dans l'opinion commune de notre époque, au seul tao ou taoïsme:

Illustration 1
Le taìjítú, la figure du faîte suprême.

Faussement rattaché au seul tao car ce symbole (le taìjítú, la “figure du faîte suprême” pour le tao ou pour tout chinois même éloigné du tao) est universel. Dans l'article «Taijitu» de Wikipédia – où l'on apprend incidemment, mais c'est évident quand on connaît même superficiellement la philosophie du tao, que son interprétation actuelle doit très peu à celle-ci, beaucoup au (néo-)confucianisme, une philosophie de l'ordre opposé au désordre, mais c'est souvent le cas des symboles puissants, les adversaires de leurs inventeurs s'en emparent pour leur faire dire autre chose, et souvent l'inverse de ce qu'en disent les inventeurs –, section «Symbolisme romain», on peut lire ceci;

«Pourtant, la première preuve archéologique préhistorique de ce symbole a été trouvée dans l'espace danubiano-pontique avec d'autres symboles religieux antiques clés (svastika, croix), sur divers artefacts utilisés dans le contexte rituel par la Culture de Cucuteni-Trypillia».

D'accord, “symbolisme romain”, mais d'une part arboré par des troupes “non romaines”, initialement “maures” et “thébaines” (d'Afrique du Nord), d'autre part attesté dans des vestiges d'«une culture archéologique du Néolithique qui s'est développée du VIe au IIIe millénaire av. J.-C. (d'environ 5800 à 2800 av. J.-C.)», comment dire, “un poil” (plus de trois millénaires) avant le tao et la Gloire Impérissable de l'Empire Romain (lequel a tout de même fini par périr…). Bon d'accord, symbole “chinois” et “romain”, on dira ça.

Pas sûr que les autres symboles similaires aient eu la même “valeur de sens” que celle du taìjítú, mais le concept qu'il symbolise, on le retrouve partout, celui de “la permanence de l'impermanence”, celui de “l'éternel retour”, du cycle toujours recommencé qui alterne le mouvement et le non mouvement, avec toujours “du mouvement dans le non mouvement” et “du non mouvement dans le mouvement”. Un truc genre “dualité onde-corpuscule” ou “dualité entropie-néguentropie”: l'apparente séparation entre “mouvement” et “non mouvement”, “activité” et “passivité”, est indémontrable et très vraisemblablement erronée, pour la même raison que celle qui amène à considérer les deux dualités “scientifiques”: il n'y a pas de mouvement sans stabilité, pas de stabilité sans mouvement. Lecanuet fut peut-être un sage, malgré les apparences, quand il émit ce propos très normand: «Je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire». Sous son apparente imbécillité cauteleuse ce «p't'êt' ben qu'oui, p'têt' ben qu'non» modernisé nous invite-t-il à réfléchir à la permanence de l'impermanence? À l'indivisibilité du pour et du contre? Un sage…

Désolé, ou non, pas désolé du tout, mais je m'en excuse cependant auprès de mes lectrices et lecteurs qui n'apprécient pas, il m'est difficile d'être excessivement sérieux, de me la péter “vieux sage qui a tout compris à tout”, je ne suis guère cauteleux mais parfois un peu Normand, du genre à proposer une connerie pleine de bon sens comme «Tout est dans tout et réciproquement». Une phrase attribuée à plusieurs, ce qui prouve que la Terre est de longue date peuplée de philosophes normands et un peu taquins.

Ai-je nécessité à démontrer que, indifféremment, la néguentropie est cas de l'entropie et l'entropie un cas de la néguentropie? Selon moi non et cela pour trois raisons principales:

1. Démontrer l'évidence est d'une inutilité certaine;
2. Toute notion abstraite est indémontrable;
3. Toute démonstration est contestable.

Bref, j'affirme et ne souhaite en rien démontrer la chose. Je vais en discuter encore un peu mais sans considérer que ce sera une démonstration même si ça risque fort d'en avoir l'apparence.

L'univers est globalement indécidable, localement et au niveau le plus élémentaire inanalysable. Entre les deux, il apparaît selon les contextes plutôt ordonné, ou plutôt désordonné. L'ordre ou le désordre locaux sont toujours transitoires mais, à l'échelle humaine, tant celle individuelle que celle globale – au niveau de l'espèce –, les grands phénomènes “ordonnés” ou “désordonnés” le sont un temps tellement long qu'ils nous semblent pour ainsi dire en permanence dans l'un ou l'autre état. Dès qu'on parvient à comprendre le fonctionnement et la structuration d'un fragment durablement “ordonné” ou “désordonné”, il apparaît que cet état apparemment permanent est impermanent mais que le niveau global d'ordre et de désordre au sein même de ces fragments et dans le cadre d'un fragment de plus grande étendue dans l'espace et dans le temps est assez constant, la répartition des fragments de moindre ampleur dans un fragment donné entre ceux “ordonnés” et “désordonnés” est toujours à-peu-près la même, en revanche ces fragments “changent d'état”, tels “ordonnés” pendant un temps se “désordonnent”, tels “désordonnés”, à l'inverse, “s'ordonnent”; si on change d'échelle pour étudier des fragments de moindre ou de plus grand ampleur on fera le même constat mais tel fragment globalement “ordonné” apparaît à moindre échelle à la fois ordonné et désordonné dans les fragments qui le composent, et qu'il soit lui-même apparemment d'un état ou de l'autre il s'inscrit indifféremment dans un fragment local globalement “ordonné” ou “désordonné”. Pour exemple, le “système solaire”:

En tant que “système fermé” il nous apparaît un cas presque parfait de “système isolé” (pour la distinction entre les deux, je vous renvoie aux articles «Système fermé» et «Système isolé» – pour les détails consulter les deux, pour la différence l'un ou l'autre suffit car les deux expliquent la différence des deux, et leur différence commune avec un «Système ouvert», article expliquant la différence d'un tel système avec les autres. Il y a aussi l'article «Système thermodynamique» qui expose synthétiquement les trois cas mais explique ceci: «un système thermodynamique est une portion de l'Univers que l'on isole par la pensée du reste de l'Univers, ce dernier constituant alors le milieu extérieur». Je disais quoi déjà des concepts abstraits et de leur indémontrabilité dans le concret? C'est ainsi, “isoler par la pensée” n'a aucun effet sur la réalité concrète…); en tant que fragment d'un “système fermé” encore plus “parfait”, la galaxie où il s'inscrit, la Voie lactée, c'est un système ouvert formellement stable, effectivement instable en tant que composante de ce fragment en mouvement interne, la Voie lactée est un système ouvert formellement stable inscrit lui-même dans un fragment encore plus vaste et encore plus proche de la perfection, le “Groupe local”, un ensemble de quelque soixante galaxies, où la nôtre est mouvante, “instable”; ce “Groupe local” s'inscrit dans une sorte de “groupe super-local”, le «Superamas [de galaxies] de la Vierge» – je le supposais, l'article le confirme, il est bien labellisé “superamas local de la Vierge”, un localisme très peu local de notre point de vue hyper-local et lactique (environ dix mille galaxies sur un diamètre d'environ deux cent millions d'années-lumière: notre Voie lactée, sa dix millième partie, avec un diamètre d'au maximum deux cent mille années-lumière, fait vraiment petit joueur question extension dans l'espace et dans le temps). Dans un autre billet je brocardais un “scientifique” un peu neu-neu mais très enthousiaste nous expliquait avec un sentiment mêlé, à la fois fasciné et heureux de l'avènement futur de cet événement et inquiet de ses conséquences sur notre système solaire, que deux des galaxies de l'amas local allaient “bientôt” se rencontrer; son enthousiasme était celui du type qui se prépare au spectacle, mais ce “bientôt” c'était… environ quatre milliards d'années. Juste “un peu” avant le moment où ledit système solaire se disloquerait (environ un petit milliard d'années après). Les scientifiques aussi peuvent être sujets à des anticipations irréalistes par une faible conscience de l'écart entre la réalité concrète et la réalité abstraite, entre l'effectivité des choses et leur représentation.

Maintenant, le point de vue interne: comme habitant d'un fragment hyper-local de ce fragment hyper-local d'un amas hyper-local de galaxie au sein d'un superamas hyper-local (dans l'univers observable, soit environ 2% de l'univers global, il y a environ dix millions de superamas, donc réputer le nôtre de “hyper-local” est un doux euphémisme), j'ai, à mon niveau hyper-super-extra-micro-local, le sentiment justifié selon moi que le système solaire est assez désordonné dans ses parties s'il apparaît assez ordonné dans son tout. Même, très désordonné. son “entropie” est-elle plus ou moins importante que celle de chaque niveau supérieur précédemment décrit? Ni plus ni moins semble-t-il. sa “néguentropie” est-elle plus ou moins importante que celle (etc.)? Apparemment non. En fait, l'ensemble de l'univers observable semble à-peu-près également et à-peu-près équitablement “entropique” et “néguentropique”, c'est-à-dire que la répartition apparente de l'un et l'autre état semble assez uniforme et la quantité de l'un et l'autre à-peu-près la même, en gros, que l'univers semble à-peu-près partout aussi “ordonné” que “désordonné”, quel que soit le niveau observé. C'est sûr, d'un point de vue concret on n'a pas grand chose à en dire puisque pour l'essentiel (environ 98% de l'ensemble) il est inobservable. Mais c'est une situation ordinaire: toutes les représentations cosmologiques de l'univers d'une époque donnée se basent sur un fragment observable assez ou très réduit, le reste est, disons, calculé ou imaginé. Et si on est un bon calculateur ou imagineur, on ne se fie pas aux apparences, genre «la Terre est le centre de l'univers», «le Soleil est le entre de l'univers» ou «le système solaire est le centre de l'univers», en tout premier parce qu'on a pris conscience intimement et concrètement que soi-même on n'est pas le centre de l'univers, ça aide à comprendre que s'il existe, ce qui n'a rien de certain, “le centre de l'univers” est ailleurs que là où il semble être quand on se base sur les seules apparences.

J'aime bien prendre l'exemple des cosmologies pour deux raisons: à une époque donnée il y en a toujours au moins trois, deux qui “se fient aux apparences”, deux qui “ne se fient pas aux apparences”, et systématiquement celle la plus exacte est celle qui à la fois se fie et ne se fie pas aux apparences; celles qui “se fient aux apparences” sont souvent très pointues sur les calculs, très faibles sur l'imagination, et en symétrie celles qui “ne se fient pas aux apparences” sont pointues sur l'imagination, faibles sur les calculs. Les cosmologies qui à la fois se fient et ne se fient pas aux apparences ne s'intéressent pas directement aux calculs et à l'imagination, ce qui n'empêche bien sûr leurs théoriciens d'être des calculateurs ou/et imagineurs éminents mais s'ils ne se prennent pas pour le centre de l'univers ils se méfient même de leur apparente éminence dans l'un ou l'autre de ces deux domaines ou les deux, non, ils se posent une question simple: pourquoi les calculateurs sans imagination calculent-ils aussi bien et les imagineurs nuls en calcul imaginent-ils aussi bien? Du coup, ils font la jonction entre les deux pour tenter de mettre en concordance les calculs et les imaginations. Ce qui les amène à calculer et imaginer autrement, parce que la concordance des deux ça ne marche jamais. Les théories qui en sortent sont toutes du même genre: ce qui auparavant apparaissait une chose unique ou un modèle universel valant partout et uniformément semble une chose parmi d'autres similaires, n'est vraisemblablement pas le cas général et se répartit aléatoirement dans l'univers. D'un coup l'univers est considéré beaucoup plus vaste qu'auparavant et assez vite après arrivent les falsificateurs, non pas ceux qui tendent (il y en a) de proposer une cosmologie autre, en accord avec celles des calculateurs sans imagination ou des imagineurs sans calcul, mais ceux qui font ce que dit, concevoir des expériences visant à déterminer si les nouvelles théories pourraient se révéler fausses. Quand j'ai mentionné cela je parlais des cas où on a éprouvé des théories qui ont résisté à l'épreuve mais ça n'est ps toujours le cas, en fait c'est rarement le cas.

L'émergence d'une nouvelle cosmologie découle du fait que celle valide à un instant donné apparaît ensuite invalide, elle reste valable pour ce qu'elle a déterminé comme “l'univers dans sa totalité” mais il apparaît que finalement l'univers est encore plus vaste que supposé, du coup il faut inventer une description qui tienne compte de cela. Plusieurs hypothèses et théories semblent crédibles mais lesquelles seront infalsifiables, et pour quelles raisons? Si elles le sont parce qu'on s'est contenté de le calculer ou de l'imaginer ça ne résistera pas; si elles semblent infalsifiables mais supposent trop d'exceptions, elles seront problématiques. L'une résistera, et ce sera, pour un temps, celle valide, jusqu'à ce qu'elle ne le soit plus, et tout recommencera. Comme il m'arrive de le dire, la cosmologie galiléenne ou celle newtonienne, et même celles antérieures, restent valable pour l'essentiel dans le cadre pour lequel chacune fut élaborée, mais non dans le cadre déterminé par celle qui leur succède: savoir aujourd'hui que le système solaire n'est pas un système isolé ni même fermé, que la théorie newtonienne de la gravitation est inexacte, ça n'a pas une grande importance à court terme, disons, pour les deux prochains milliards d'années et même au-delà, un ou deux milliards de plus. Ça en a en revanche si on souhaite mettre en place un système complexe du genre GPS, là on a besoin de la relativité einsteinienne; par contre si on veut envoyer un objet en direction de Mars à partir de la Terre, elle est très suffisante car les petites imperfections dont elle ne tient pas compte n'ont pas une incidence aussi cruciale que pour le GPS ou pour un calcul de l'évolution de l'univers qui excède largement, genre un millier de fois, ce qui s'applique au système solaire, ou une évolution du mouvement de deux galaxies “proches” qui n'aura des conséquences notables sur notre système stellaire hyper-local que dans quatre milliards d'années. Entretemps, l'objet envoyé depuis la Terre aura très bien effectué son parcours (sauf incident technique imprévu) avec un niveau d'erreur extrêmement faible, aussi faible que celui qui rendrait pourtant le GPS inopérant.

Il m'arrive de nommer les théories et hypothèses purement calculatrices ou imaginatives des hypothèses “toutes choses égales”: on considère une évolution de l'objet qu'on étudie dans laquelle on prend en compte une, deux, trois variables, pas plus, en supposant que ces variations auront lieu «toutes choses égales par ailleurs». Ça ne peut pas marcher, du moins pas très longtemps, les “choses par ailleurs” ayant la fâcheuse tendance à ne pas “être égales”, à connaître elles aussi des variations non prises en compte. Il y a mot pour désigner cela: stochastique. Le mot est connu et souvent donné comme synonyme ou quasi-synonyme de “aléatoire”, ce qui est inexact: l'aléa suppose une certaine imprévisibilité, quelque chose arrive “qu'on ne peut pas prévoir”; l'aléatoire est rassurant, une méthode pour prévoir l'imprévisible. Or, l'imprévisible est imprévisible sinon il serait prévisible. Pour citer de nouveau (je l'ai déjà fait) Emmanuel Berl:

«Ce qu[e les biologistes de 1970] accordent au hasard, les physiciens l’ont accordé, avant eux, à la probabilité. La génétique des chromosomes était à peine formulée, que les physiciens soumettaient déjà l’univers à la statistique.
Le hasard, malheureusement, n’explique rien du tout. Dire que j’ai rencontré Chagall par hasard revient à dire que je l’ai rencontré; le hasard exclut seulement les explications qui pourraient être vraies et ne le sont pas: un rendez-vous que j'aurais pris, la connaissance que j'aurais pu avoir que Chagall visitera telle exposition, déjeunera dans tel restaurant. Le “hasard” enregistre l’événement – dans l’espèce, – la rencontre, en se gardant d’y rien ajouter» (Emmanuel Berl, Le Virage, 1972, Gallimard, p. 86).

L'hypothétique (ou réelle) rencontre entre Berl et Chagall résulte d'une série infinie d'imprévisibilités mais une fois l'un né, l'autre aussi, tous deux vivant au même moment à Paris, ayant des fréquentations et des activités communes, étant “du même monde”, de la même sociabilité, le hasard n'a plus sa place dans la possible rencontre des deux, elle peut avoir ou ne pas avoir lieu mais si elle a lieu ça sera de l'ordre du prévisible même si ce n'est pas inéluctable. Un “aléa stochastique” est d'autre nature: il est prévisible. Car il est toujours prévisible que toute anticipation ne peut prendre en compte qu'un nombre fini de variables. Et pas nécessairement celles qui auront la variabilité la plus incidente.

L'exemple devenu canonique du processus stochastique est connu sou le nom d'«effet papillon». Comme souvent pour les propositions rompant avec les présupposés de type “toutes choses égales” il est faussement interprété et présenté à la fois comme linéaire et causal. Il faut dire que le titre de la conférence où le météorologue Edward Lorenz discute de ses propositions, «Prédictibilité: Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas?», a beaucoup desservi son propos, alors même que cette histoire d'“aile de papillon” est négligeable dans son discours. Je reprends in extenso cette citation que donne Wikipédia:

«De crainte que le seul fait de demander, suivant le titre de cet article, “Un battement d'ailes de papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas?”, fasse douter de mon sérieux, sans même parler d'une réponse affirmative, je mettrai cette question en perspective en avançant les deux propositions suivantes :
* Si un seul battement d'ailes d'un papillon peut avoir pour effet le déclenchement d'une tornade, alors, il en va ainsi également de tous les battements précédents et subséquents de ses ailes, comme de ceux de millions d'autres papillons, pour ne pas mentionner les activités d'innombrables créatures plus puissantes, en particulier de notre propre espèce ;
* Si le battement d'ailes d'un papillon peut déclencher une tornade, il peut aussi l'empêcher. Si le battement d'ailes d'un papillon influe sur la formation d'une tornade, il ne va pas de soi que son battement d'ailes soit l'origine même de cette tornade et donc qu'il ait un quelconque pouvoir sur la création ou non de cette dernière».

Mise en exergue par Ma Pomme. Lorenz s'est lui-même tendu un piège en posant cette question, à laquelle toutes les réponses sont possibles sauf deux: «Oui» et «Non». Mais comme elles sont effectivement possible, en la posant il les a obtenues. Le Wiktionnaire propose pour l'entrée «effet papillon» cette définition du “sens commun”:

«Élément d’une chaîne de causalité, spécifiquement le fait qu’un petit changement de conditions initiales provoque une grosse différence à la fin de la chaîne».

La sophistique est l'art de donner des réponses à des questions qui ne se posent pas: si Lorenz souhaitait ne pas obtenir de réponse affirmative à une question que lui-même ne se posait pas, ou plus exactement ne se posait pas dans les termes d'une «chaîne de causalités», alors il aurait du ne pas poser la question, car la réponse “simple” à une question “simple” est “oui” ou “non”. Le “sens commun” préfère toujours les réponses de type “toutes choses égales”, et répondra toujours “oui” ou “non” à une question pareille, plutôt que «Imprédictible et indéterminable».

En 2004 est sorti le film L'Effet papillon. Son thème, son “pitch” comme on dit en français contemporain: Comment initier une chaîne de causalité linéaire et prédictible en retournant dans le passé pour y “agiter une aile de papillon”. Tout le film semble être le récit inverse, celui d'une personne qui, en changeant le passé, induit des transformations imprévisibles et imprédictibles, sinon ceci, qui en est la fin:

«Emprisonné, [Evan] arrive à se procurer le film d'anniversaire du jour où il a rencontré Kayleigh. En le visionnant, il revient ce jour-là et se comporte de façon abjecte avec son amie, en lui disant qu'il la déteste et qu'il ne veut plus jamais la revoir, la poussant à partir vivre avec sa mère au moment de la séparation, lui sauvant la vie, celle de son frère, de son entourage et son propre futur au prix de son amour.
Evan se réveille dans un dortoir d’université, où Lenny est son colocataire. En guise de test, il demande où est Kayleigh, mais Lenny ne la connaît pas. Satisfait que l’avenir de ses amis soit assuré, Evan brûle ses journaux et ses vidéos pour éviter de modifier à nouveau la chronologie. Huit ans plus tard, à New York, il croise le regard de Kayleigh dans une rue. L'ancien couple hésite sur la conduite à tenir après un premier regard échangé, ne sachant trop comment réagir. Puis chacun reprend sa route».

L'univers est stochastique donc imprédictible sur des grandes échelles d'espace et de temps; le hasard n’explique rien, il exclut seulement les explications qui pourraient être vraies et ne le sont pas; la causalité ou la fatalité n'expliquent rien, elle retiennent seulement les explications qui ne pourraient pas être vraies en supposant qu'elle le sont, le “sens commun” est pris entre le “oui” et le “non”, ou pour reprendre le titre d'un ouvrage que brocarde Emmanuel Berl, entre Le Hasard et la nécessité (il brocarde le titre, l'ouvrage et son auteur). Pour le citer encore:

«Quand on se rappelle que, en 1910, la génétique ne figurait pas encore aux programmes des cours que je suivais à la Sorbonne, que Mendel restait ignoré du grand public, et Darwin même contesté par des naturalistes aussi éminents que Fabre, on est ébahi par la vitesse à laquelle se sont succédées ses conquêtes et ses découvertes. Celle de Crick et Watson sur la structure de l’A.D.N. paraît déjà ancienne, si on en juge par la masse des travaux qu’elle à inspirés, et elle n’a pas plus de vingt ans.
Mais de cette épopée, quelle conclusion, quelle vue du monde résulte? Veut-on lire, après Buffon, après Diderot, après Darwin Le Hasard et la Nécessité, et M. Jacques Monod?
La vie est hasard, encore hasard, toujours hasard. Elle surgit quand un nombre – assez réduit – de molécules s’assemblent suivant un certain ordre; improbable, sans doute, mais que permettent, dans un temps très long, leurs combinaisons incessantes. Une parcelle de cytosine se combine à une parcelle de guanine, une parcelle de thymine à une parcelle d’adénine, les deux couples se combinent entre eux, et voilà déclenché le processus qui va permettre de se reproduire à tous les êtres vivants, animaux ou végétaux. Ce double mariage, certes, aurait pu n’avoir pas lieu, mais il succède à un nombre quasiment infini de combinaisons avortées. En un sens, les chances de la vie étaient et demeurent très faibles. En un autre sens, dès lors qu’elles existent, le nombre quasiment infini des coups de dés, que joue la nature, réduit à l’extrême leur improbabilité. Toute vie est une exception déconcertante à la règle universelle du non-être, et de la mort. Mais, en un autre sens, ces exceptions deviennent quasiment inévitables, puisque toute règle en comporte et que le jeu continue jusqu’à ce que l'exceptionnel se produise.
Une fois déclenchée, la vie évoluera. Le même hasard qui la produit implique les mutations qui la modifient. Si un orateur parle interminablement, il n’évitera pas la faute de grammaire, de prononciation, ou le lapsus.
Les “ratés”, que de même, l’hérédité comporte, la sélection naturelle les triera, elle fera disparaître les mutations qui nuisent à la vie, et maintiendra celles qui la favorisent.
Hérédité, sélection. M. K. Lorenz préfère dire qu’elles sont les “grands architectes” de notre monde et ne pas parler de “hasard” ou de “nécessité”. Il n’en est pas moins en plein accord avec M. Monod, quoiqu'il s'intéresse plutôt aux oies qu'aux gènes, et aux corbeaux qu’aux molécules.
Son vocabulaire me paraît plus prudent. Car le hasard de M. Monod ne me semble pas très hasardeux.
L'improbable est rendu à peu près certain par les grands nombres. Toute vie, à commencer par la mienne, se définit par son improbabilité. Mais, s’il est très improbable que le 17 sorte, à la roulette, il est à peu près impossible qu’il ne sorte pas, au moins une fois, sur mille coups joués.
A ce hasard – imprévisible au comptant, mais hautement probable à terme – répond chez M. Monod une nécessité qui n’est pas exempte de souplesse. Elle est, en effet, orientée par la “téléonomie”. Je ne sais pourquoi, M. Monod préfère ce terme à celui de “finalité” dont le sens me paraît le même et dont l'usage est plus répandu.
Il me pardonnera si je me défie un peu des causes finales, quand elles sont formulées par les biologistes. Chat échaudé par Teilhard de Chardin craint même l’eau froide. M. Monod croit bien tourner le dos au Père Teilhard. Mais, comme disait Cocteau, à force de marcher vers la gauche, on finit à droite, et vice versa. A force de tourner le dos au père Teilhard, M. Monod se retrouve dans ses bras. La téléonomie frustre la nécessité de la majesté implacable que lui conférait le déterminisme de Spinoza ou de Claude Bernard. Appuyée à son hasard contingent, et à sa nécessité, elle-même contingente (car la nécessité vraie on ne la connaît qu'après coup), la Nature de Jacques Monod devient une déesse titubante qui a peine à se tenir sur ses jambes affaiblies. Celle de Buffon, de Goethe, de Victor Hugo, montrait une stature plus solidement épanouie. Sa descendante, pauvre nature toujours hésitante et tâtonnante, qui cherche sa voie, les yeux bandés, n’est pas la Nature gratifiante de Goethe, ni la nature rebutante de Vigny. Laborantine, plutôt que déesse».

J'apprécie le style, la verve et le talent de polémiste de Berl dans cet ouvrage, mais cela masque parfois la grande pertinence de certains propos: un hasard dirigé couplé à un déterminisme incertain n'expliquent pas grand chose de la réalité, on se contente de regarder les trains, constatant que certains déraillent, d'autres non, pour ne pas chercher à expliquer l'inexplicable on dira, si on ne connaît pas de cause déterminable, qu'il résulte d'un “hasard”, si on croit la connaître, que c'est une “nécessité” et puis? Le battement d'une aile de papillon peut initier un changement qui contribuera au déclenchement d'une tornade au Texas, ou plusieurs battements du même, ou plusieurs battements de plusieurs papillons, aucun n'explique la tornade car s'ils y contribuent ils s'inscrivent dans une multitude de causalités qui croisent une multitude de causalités, dont la tornade est la résultante temporaire, elle-même s'inscrivant (etc.); mais y a-t-il nécessité à ce qu'existe un événement “papillon”? Oui, ou non, ou peut-être, et à la fois oui, non et peut-être.

Les moutons à cinq pattes sont rares mais adviennent. Les mouches à cinq pattes sont moins rares mais ne sont pas la généralité, loin de là. Est-ce hasard? Oui, autant que les moutons à quatre pattes et les mouches à six pattes. Est-ce une nécessité? Non, autant que les moutons à quatre pattes et les mouches à six pattes. L'existence des arachnides et des myriapodes montre qu'il n'y a nulle nécessité que les arthropodes aériens soient dotés de six pattes; l'existence des tyrannosaures, des oiseaux, des humains, des orvets, des cétacés, des pinnipèdes, montre qu'il n'y a nulle nécessité que les vertébrés aériens aient quatre pattes, ou même aient des pattes. L'ontogenèse et la phylogenèse montrent en revanche qu'il y a nécessité, dans l'histoire des espèces et dans celle des individus au cours de leur développement, d'un “moment quadrupède”, car c'est inscrit dans leurs gènes, mais ça peut se réaliser ou non dans une espèce déterminée, un individu déterminé, globalement (bipèdes, apodes) ou accidentellement (“bébés thalidomide“ par exemple). Le hasard n'explique rien,la nécessité n'explique rien, on constate des “réussites” et des “échecs”, des premières ont dira, “nécessite”, des seconds, “hasard”, ça permet de nommer l'innommable, de définir une réalité abstraite qui a un lien faible à la réalité observable, un lien circonstanciel sans cause absolument déterminée, le hasard ou la finalité, qui sont deux manières formellement opposées de dire la même chose; “il y a des causes effectives”. Est-ce le hasard, la nécessité, un battement d'aile de papillon ou un non battement d'aile de papillon? L'univers étant stochastique, mieux vaut n'en rien dire sinon ceci: la prédictibilité des phénomènes massifs statistiquement réguliers permet une prévisibilité moyenne assez valide “toutes choses égales par ailleurs”, les mêmes analyses statistiques indiquant en revanche que la prédictibilité de phénomènes locaux résultant d'un grand nombre de “chaînes de causalité” est rapidement faible.

Le “dérèglement climatique” par exemple: il est imprédictible à long terme car l'évolution du climat résulte d'un très grand nombre de facteurs, certains interdépendants, certains non. Supposer par exemple, ayant déterminé avec un degré de validité très élevé, qu'un certain phénomène, l'élévation de la température moyenne constatée, a principalement une cause anthropique, que faire cesser ou corriger les multiples activités humaines participant à ce dérèglement, va “résoudre le problème”, c'est supposer une linéarité causale “explicative” donc “résoluble” un peu et même beaucoup de manière similaire à ce que propose le film L'Effet papillon: faire cesser ou corriger la cause c'est faire cesser ou corriger l'effet. Malheureusement, l'effet lié à la “cause anthropique” est désormais autonome, et jusqu'à preuve du contraire le “retour vers le passé“ pour agir sur une cause imaginaire qui serait première (un battement d'aile de papillon par exemple) est impossible, et serait-il possible que ça ne changerait rien puisque c'est une cause imaginaire, que le battement d'ailes a peut-être contribué au dérèglement local (la tornade) ou global (le changement climatique) mais s'inscrit dans un ensemble de “causalités” dont nous ne déterminons que quelques-unes.

L'objet jusqu'ici informel, “non dit”, de ce billet est justement le “dérèglement” climatique. Ce n'est pas un fait mais une opinion. Il en va ici comme il en va pour l'entropie quand on la suppose une “augmentation du désordre”, la néguentropie une “augmentation de l'ordre”: l'univers est alternativement et concurremment “ordonné” et “désordonné“ dans son tout et ses parties; la néguentropie en tant que phénomène qui, dans un contexte déterminé, permet l'émergence du phénomène vital, n'est qu'une apparence d'ordre, le “désordre” supposé de l'entropie n'est réduit en aucune manière puisque le niveau global d'entropie dans le système plus étendu du phénomène vital infra-local “individus”, de ceux locaux “écosystèmes”, de celui global “biosphère” dans lequel  chacun s'inscrit est au moins constant, souvent, mais temporairement (aussi longtemps que le phénomène vital local, celui constatable sur la Terre, persistera, donc au plus quatre à cinq milliards d'années, sauf accident “non vital” de très grande ampleur) en légère augmentation, parfois une augmentation délétère pour certains individus, groupes, écosystèmes, espèces, au point d'en être mortelle. Comme le fragment “Terre” n'est pas un système fermé, et comme beaucoup de lignées ont d'importantes capacités d'adaptation (spécialement chez les virus et les procaryotes), ça finit toujours par se résorber, en tout cas ça l'a toujours fait au cours des presque (ou un peu plus de) quatre milliards d'années que le phénomène vital y émergea. C'est sur, les fragments “individuels” du type “vertébrés” et, pour ce qui nous concerne, vous et moi, au premier chef, “humains” n'ont pas une capacité d'adaptation aussi grande. Ennuyeux mais pas autant que semblent le croire beaucoup de mes contemporains: des changements de bien plus grande ampleur surtout “vers le froid”, parfois “vers le chaud”, l'espèce en a connu beaucoup au cours des quelques centaines de millénaires qu'elle existe, et elle a su s'adapter. Bien sûr, pour les individus, surtout ceux à venir dans les décennies, et même les quelques siècles prochains, ça risque d'être une piètre consolation: savoir que «l'économie de la France s'améliore» n'aide pas beaucoup les Français “non méritants” (ceux du bas de l'échelle sociale) à résoudre leurs problèmes de fins de mois, donc ça ne les console guère. En plus, ce genre d'amélioration n'est pas très profitable à l'espèce, donc ça console d'autant moins. Certes, l'ampleur des “problèmes de fin du monde” fait qu'on peut établir un lien causal entre eux et les “problèmes de fin de mois” mais, pour multifactoriels soient-ils, les “problèmes de fin de mois” ont une telle apparence de causalité simple qu'il est très difficile pour les personnes qui réfléchissent en mode “toutes choses égales” de saisir que tenter (sans pouvoir y réussir) de résoudre les “problèmes de fin du monde” aura en revanche une efficacité certaine pour résoudre les problèmes de fin de mois.


Peut-être à tort, presque assurément à tort, je suis toujours déçu quand je m'aperçois que je suis arrivé à la conclusion d'un discours sans l'avoir anticipé. Je suis comme vous, le caractère globalement stochastique de l'univers m'ennuie, je suis toujours en attente de causalités simples et donc, toujours un peu déçu de constater qu'elles adviennent rarement. Mais je m'adapte. Alors: fin de ce billet.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.