C'est repris d'une émission de José Pivin où il dialogue avec Jean Rouch. Une émission au très beau titre, que vous pouvez retrouver sur France Culture, "J'aime les villes qui sont tournées vers le soleil couchant comme Niamey". Cette phrase est la toute dernière de l'entretien, et il vaut de lire, et d'entendre en suivant le lien donné, ce qui précède. Voici le verbatim du tout dernier échange entre José Pivin et Jean Rouch:
«José Pivin. Vous justement qui avez l'habitude de mettre en balance ces deux sortes de vies, c'est-a-dire les vies que nous menons et leurs vies, je ne sais pas si vous en concluez quelque chose mais enfin si quand même, il y a des moments où... vous les jugez ces deux vies-la?«
«Jean Rouch. Pour le moment je crois que les Africains ont une vocation considérable pour le bonheur. Ça a l'air ridicule de dire ça... Mais ce sont des gens qui sont heureux, et qui sont heureux, peut-être, pour une raison essentielle, c'est que contrairement à nous ils n'ont pas peur de la mort. Dès leur enfance on leur apprend que pour que la vie existe il faut qu'il y ait la mort. Je l'ai vu plusieurs fois dans des cas dangereux, ils n'ont absolument pas peur de la mort, et c'est pour moi, je crois, un des grands secrets que nous avons perdus. Et... Si vous voulez, ça peut avoir l'air prétentieux, mais si j'ai un jour un message à apporter à nos pays, ce serait un peu celui-là: montrer comment des gens peuvent être heureux. Dans des conditions de vie très dures, qui sont à la limite chaque année de la famine, à la limite de la pauvreté, du paupérisme le plus affreux, mais qui ne sont pas des gens résignés, qui sont des gens heureux, et qui sont heureux parce qu'ils n'ont pas peur de la mort. Ils n'aiment pas la souffrance, ils n'aiment pas toutes ces choses, ils n'aiment pas tout ce qui entoure la mort, mais ils n'ont pas peur de la mort. Et quand je vais en Afrique, et quand je reviens en France, ce qui maintenant se fait assez souvent, et très facilement, et bien, tout d'un coup, quand on arrive en Afrique, de voir des gens qui sont différents, dont le comportement dans la rue est différent, des gens qui sourient. Et ce ne sont pas les gens qui sourient qu'on rencontre en Italie ou ailleurs. Et lorsque je rentre à Paris j'ai l'impression de rencontrer des condamnés, des condamnés à vivre...»