Un bien-veillant veille bien, rien de plus. S'il veille sur des gentils il le fait gentiment, s'il veille sur des méchants il le fait méchamment. Avant tout il veille, et il veille aussi bien que possible, d'où cet adjectif qui précède le verbe substantivé: “bien” non pour exprimer, disons, qu'il a une “bonne intention”, même si, d'un sens, il l'a, mais pour exprimer qu'il veille “aussi bien que possible”. Étant bienveillant j'ai pu constater en bien des occasions que les malveillants, c'est-à-dire les veillant qui le font “aussi mal que possible”, soit parce qu'il ne peuvent pas le faire bien, soit parce qu'ils ne le veulent pas, sont souvent surpris de constater qu'un bienveillant peut être un très sale type – ou une très sale typesse, disons, une très sale personne. Encore plus sale qu'eux, et bien plus crûment.
Je fais bien de choses dans la vie, et quoi que je fasse je “veille bien”, je suis attentif à ce que je fais, attentif au contexte, attentif à tout et à tous. Sans intention. Enfin si, avec intention mais une intention humble: mettre autant que possible en concordance ma représentation avec la réalité même. Vivant dans un univers extrêmement vaste, hypothétiquement, pour sa partie connaissable, d'un rayon d'environ 13,5MA, 13,5 milliards d'années, donc d'un diamètre d'environ 26MA, si du moins il est globalement sphérique, ce qui fait (bon, là j'ai besoin d'un instrument de calcul, je ne sais pas calculer le volume d'une sphère “de chic”) 10.306MA3, ou un truc du genre. Je ne suis pas certain qu'on peut appliquer aux années le mode de calcul des distances mais comme le temps c'est de l'espace et réciproquement, pas de raisons qu'un calcul valant pour des distances ne s'applique pas à des durées. Bref, mon univers est très vaste et en plus, il est très vraisemblable que ce ne soit qu'une partie de l'univers, que dire? Réel? Inconnu? Provisoirement inconnaissable? Ben tiens, parlant de concordance entre la réalité et sa représentation...
L'extension connaissable et en large partie connue de l'univers est nécessairement inexacte, dans le passé ce fut toujours le cas, aucune raison de supposer que dans l'avenir ce ne le soit plus. Savoir cela ne me permet pas de mettre beaucoup plus en concordance ma représentation “fine” de l'univers connaissable avec sa réalité effective, même en ne considérant qu'un univers d'un rayon de 13,5MA, au-delà de quelques dizaines d'années-lumières sa granularité devient très grossière, les galaxies sont invisibles comme entités, on ne perçoit en tant qu'individus que les amas de galaxies, et assez vite eux-mêmes ne sont que des éléments indiscernables de super-amas – je ne mets pas les liens vers ces notions d'amas et super-amas, cherchez ça dans Wikipédia, les articles en astronomie et cosmologie sont plutôt bien faits même si pas très détaillés ou parfois un peu trop détaillés, un peu trop “techniques”. Il n'y a pas si longtemps, à peine plus d'un siècle, disons, avant les années 1920, l'univers connaissable était bien plus réduit, pas plus étendu que le super-amas local, dit “de la Vierge”, en moyenne d'un rayon de 55MA (en fait c'est variable, il n'est pas sphérique donc selon l'axe ça va d'environ 46MA à environ 72MA), ce qui est infime comparé aux 13,5MA de l'univers connaissable actuel. Précédemment, disons, dans le modèle “newtonien” (en fait, post-newtonien mais pré-einsteinien) de l'univers, ça n'allait pas au-delà de l'amas local, en gros 5MA de rayon (avec le même genre de variation que pour le super-amas), et bien sûr plus on remonte dans le passé plus l'univers connaissable est restreint – il y a environ trois millénaires on ne se le représentait pas tellement au-delà de la Lune.
En fait, quel que soit l'état des connaissances en cosmologie l'univers est toujours bien trop vaste pour qu'on puisse s'en faire une représentation autre que très grossière donc très inexacte. On ne peut la construire qu'à partir du connu, et le connu est toujours extrêmement limité. Du fait, on doit développer des méthodes permettant d'affiner la chose. En l'état actuel des choses, même une personne aussi perspicace que Ma Pomme ne peut guère en avoir une représentation exacte au-delà de ce qu'elle en connaît directement, et ça n'est pas grand chose. Le truc pour affiner n'est pas très compliqué mais est assez laborieux, on s'appuie sur cette connaissance directe en faisant la supposition généralement valide que toutes ses parties vraisemblablement très similaires à celle connue le sont effectivement, ça n'améliore pas considérablement la fiabilité effective de notre représentation mais du moins ça permet avec beaucoup de vraisemblance de, que dire? En calculer l'effectivité sans trop d'erreurs. Comme l'univers au-delà d'une quarantaine de milliers de kilomètres de rayon à partir du centre de ma planète m'intéresse modérément je puis dire que pour cette zone extrêmement limitée de l'univers ma représentation est assez consistante, assez exacte. Très schématique toujours mais du moins assez fiable. D'où mon hypothèse qui est le plus souvent confirmée par les faits que ma représentation de la réalité immédiate selon laquelle il est très similaire à ce qu'il était hier, et la semaine passée, et le mois passé, et l'année passée, et en gros les trois ou quatre derniers siècles, a une assez forte consistance. Ce qui me permet d'anticiper assez fiablement son état dans un jour, une semaine, un mois. Au-delà ça commence à être flou mais du moins, une projection sur environ trois ou quatre décennies est de l'ordre du possible: il ressemblera beaucoup à ce qu'il est ce jour.
Quel intérêt? C'est cela qui me permet d'être bien-veillant. Si le système social censé m'informer de l'état du monde m'indique une chose aussi peu vraisemblable que la transformation radicale de la réalité dans les semaines, les mois, les années à venir, disons, une transformation radicale à horizon d'un lustre à deux décennies, je saurai alors que ce système est défectueux car c'est impossible: à un tel horizon la réalité observable, effective, sera en gros la même que celle actuelle. Dans les détails non, en gros oui. Du coup, celles et ceux qui m'affirment que cette fausse représentation, ou plus précisément qu'une de ces fausses représentations est “vraie”, je saurai que ce sont des mal-veillant. Ce qui n'est pas un problème en soi. Cela deviendra un problème seulement si un nombre important de ces mal-veillant se coalise, pour faire advenir ou empêcher qu'advienne ce qui ne peut advenir. Et encore plus s'ils décident de se combattre, les uns pour empêcher qu'advienne ce que les autres veulent voir advenir et qui ne peut advenir, les autres, en symétrie, pour empêcher les uns d'entraver l'advenue de ce qui ne peut pas advenir. Ça crée du désordre, et le désordre est antibiotique. On appelle ça de l'entropie. Or, le principe de base de la vie est, réduire localement le niveau d'entropie, donc tout ce qui contribue à l'augmenter va contre elle. Je suis défavorable à ça, j'aime la vie, j'aime vivre, donc je n'apprécie pas beaucoup ceux qui agissent contre la vie en général, contre la mienne en particulier.
Si bien sûr je vivais dans un monde de paix et d'harmonie je serais beaucoup moins bien-veillant, me contentant d'être veillant, mais ça n'est pas le cas, je vis dans un monde peuplé de mal-veillant, et en plus de mal-veillant très actifs, c'est pour cela qu'ils font dangereusement monter le niveau d'entropie, corrélé au niveau local d'agitation. J'ai l'intention, dans les jours, les semaines, les mois à venir d'inciter les mal-veillant à se calmer, à s'agiter moins. Et si je ne parviens pas à les en persuader, j'ai la ferme intention de les y obliger, en suscitant chez eux la crainte des conséquences s'ils ne font pas selon mon désir, et si vraiment je n'y arrive pas, en les éliminant. Eh! S'ils veulent vraiment la fin de la vie je suis d'accord, à la seule condition que ce soit la fin de la leur, non de la mienne.
Compris, les mal-veillant? Vous vous calmez ou je m'en occupe, et ça sera saignant. Pour vous.