Certes, sauf en de rares époques le mal semble toujours beaucoup plus répandu que le bien mais il n'est jamais banal. Ce que constate Hannah Arendt, et qu'elle semble croire être une grande découverte, est que le mal est commis principalement par des personnes banales, ce qui n'est franchement pas une découverte, factuellement le bien, le mal, le ni bien ni mal sont en majorité le fait de personnes banales. Cela rend-il tant le bien que le mal banals? Non bien sûr, ce n'est jamais banal de bien agir, moins encore d'agir pour le bien, et de même pour mal agir et agir pour le mal. Le vrai banal, la vraie action non notable, est celle qui est commise sans intention particulière ni en bien ni en mal. Il peut certes en résulter un bien ou un mal, et puis? Disons: de toute action résulte un bien, un mal, ou ni un bien ni un mal. Parfois l'intention est le mal, parfois le bien, parfois ni l'un ni l'autre. Si on a l'intention d'agir pour le bien mais qu'on agit mal, qu'on réalise mal son action ou qu'on la réalise par un moyen mauvais, de fait on agit pour le mal, et en symétrie si on a celle d'agir pour le mal mais qu'on réalise mal son action ou qu'on la réalise par un moyen bénéfique, on agit pour le bien.
Ma réflexion découle de la découverte d'un auteur “maudit”. Pas vraiment maudit, il eut, autant que je sache, une vie bonne, mais comme auteur il est plutôt maudit, bien moins connu et reconnu qu'il ne le mérite. Cet auteur est Emmanuel Berl. Il a commis une seule erreur notable dans sa vie – des erreurs moins notables il en a certainement commis beaucoup mais c'est un cas ordinaire, le cas de tout le monde. Son erreur? Avoir cru un très bref moment, quelques jours, deux ou trois semaines au plus, à la “Révolution nationale” lavalo-pétainiste. Il crut surtout à la révolution, car comme il l'écrivit plus tard, s'il fut parfois patriote, il fut toujours un adversaire acharné du nationalisme. Croyant à la révolution il fit cette erreur de négliger l'adjectif qui l'accompagnait.
L'autre grande erreur d'Emmanuel Berl fut sa trop grande lucidité, source d'une intransigeance sans faille, et cela est encore moins pardonnable: aux salauds qui soutinrent le Régime de Vichy et surtout, la Collaboration, on a beaucoup pardonné, aux intransigeants on ne pardonne jamais. Mais comme on ne peut pas reprocher sans risque pour soi-même d'accabler un individu pour son intransigeance, on s'appuya sur sa brève erreur de quelques semaines pour déconsidérer tout le reste: un type qui a écrit pour le maréchal Pétain ne peut qu'être un type détestable.
Le mal n'est jamais banal, ni le bien, mais il est banal d'accabler le bien en le couvrant du masque du mal.