La propagande et l'idéologie sont deux de mes sujets récurrents. Non que ça m'intéresse outre-mesure, mais comme on les rencontre souvent sans les identifier telles, ça m'intrigue. Ce sont les fondements de la vie en société humaine avec la rhétorique et le conditionnement. On peut dire que le conditionnement social est à la fois la résultante et la base des trois autres.C'est circulaire: on doit disposer d'une idéologie et maîtriser la rhétorique pour construire une propagande, laquelle permet de conditionner les humains, le but étant de les amener à adhérer à cette idéologie et d'émettre des propos s'articulant sur le type de rhétorique favorable à elle, donc une certaine sorte de propagande; et une fois cela acquis, on en use à la fois pour tenter de faire de nouveau adeptes et pour procéder à un auto-renforcement de son propre conditionnement. Les médiateurs, et notamment les journalistes, sont des humains comme les autres, donc ils sont conditionnés pour réagir à et participer à la diffusion d'une certaine propagande liée à une certaine idéologie formulée dans un certain type de rhétorique. Pour que ça réussisse, il faut que ce soit “inconscient”, cela y compris quand on fait consciemment de la propagande: de même que, passée la période initiale de conditionnement, on pratique la station et la marche bipèdes “inconsciemment”, on décide consciemment de se déplacer mais sauf incident on ne pense pas consciemment à chaque moment du déplacement, on décide consciemment de dire quelque chose mais on ne pense pas à chaque moment du discours. Il y a une forme d'illusion, celle de la construction d'un discours. Comme je le raconte dans divers textes, le plus souvent j'écris au fil du clavier, ou de la plume (du stylo plutôt) même si plus rarement désormais – pour anecdote, je vais reprendre ma plume sous peu pour écrire à une personne qui n'est joignable que par courrier papier, tiens ben, je suspends ce billet pour commencer ma correspondance (suspension de la suspension, je reprendrai mon courrier plus tard) – et j'ai pu constater que mes écrits ne sont pas moins cohérents ou plus incohérents que ceux que je lis et qui pour certains sont censément le résultat d'un long travail de conception et de corrections.
Fondamentalement, que veulent le rédacteur qui écrit sans préméditation et celui qui remet vingt fois sur le métier son ouvrage? Exprimer... Euh! Exprimer “quelque chose”. Disons, “leur pensée”. Remettrais-je vingt fois mon ouvrage sur le métier, serait-il plus “ma pensée” que si je ne le faisais pas? Le même qui fait cette proposition de remettre vingt fois sur le métier propose dans le même texte que ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément: remit-il vingt fois son ouvrage sur le métier avant d'en arriver à cette sentence, ou les mots lui en vinrent aisément? Qu'importe: on remet toujours vingt fois sur le métier son ouvrage, et chaque fois les mots vous viennent aisément, pour autant que l'on conçoit bien. De mon point de vue, les deux propositions de Boileau sont exactes: si l'on conçoit bien, les mots s'énoncent clairement, mais il vaut de remettre vingt fois sur le métier parce que notre propre conception évolue. J'écris au fil du clavier car il ne m'ennuie pas de reprendre vingt fois le même thème. On peut faire l'hypothèse que telle variante représente l'énonciation claire, or toutes celles intermédiaires sont probablement aussi claires et celle supposée claire ne l'est que pour le premier juge, son auteur. Les Juifs ont compris cela de longue date et pratiquent depuis longtemps cet art de l'exégèse à plusieurs dans les yechivot, où «l'étude se fait par groupe de deux, avec élucidation du texte araméen, joutes oratoires et raisonnements subtils très techniques, généralement suivie ou précédée d'un cours magistral». Le but général des études dans une yeshiva est de passer au-delà du jugement initial, que ce soit celui de l'auteur ou de son lecteur, de son propre jugement. Il ne s'agit pas de se libérer de ses conditionnements ou de sa rhétorique mais de les élucider: ne plus être dans le conditionnement social et dans la rhétorique c'est ne plus être dans l'humanité; ne pas se savoir conditionné et rhéteur c'est ne pas y être pleinement.
Les médiateurs... Ils sont comme vous et moi (d'autant si vous qui me lisez êtes médiatrice ou médiateur de profession), des humains, donc des rhéteurs et des propagandistes. Où ils ne devraient pas être comme vous et moi, ils devraient se savoir faire de la rhétorique et de la propagande. Remarquez, sans figurer parmi les médiateurs professionnels je me sais rhéteur et idéologue, possible que ce soit votre cas, je veux dire: si chacun peut le savoir, ceux qui travaillent dans les médias le doivent, afin d'éviter de faire à leur insu du renforcement de conditionnement, et de le faire donc à leur su. Communiquer et renforcer des conditionnements c'est tout un donc on ne doit pas avoir l'illusion de la neutralité et de l'objectivité, ça évitera de le faire sans le savoir
L'idée de ce billet m'est venue en entendant une journaliste de France Culture dire à la fin de son journal, en introduction du bulletin météo, que «c'est par la Catalogne que le ciel va se dégrader aujourd'hui». En toute hypothèse elle croit énoncer un fait d'évidence dans un discours objectif valable partout et pour tous. Or, vu la date de ce journal (jeudi 27 août 2019 à 8h) elle n'a pu manquer d'évoquer le “changement climatique” dont une des conséquences supposées est la “catastrophe écologique” des grands incendies en forêt amazonienne brésilienne, qui démontre que l'arrivée d'un temps pluvieux n'est pas en soi une “dégradation”. La même journaliste aura je suppose évoqué dans ce journal ou le fit auparavant, ou le fera par après, le fait que dans la presque totalité des départements métropolitains (environ 80), on est en “alerte rouge” ou en “alerte orange” pour ce qui concerne l'eau, par manque durable de précipitations. Il y a trois ou quatre jours, donc le 24 ou 25 août, j'entendais sur la même radio que la ville de Guéret, dans la Creuse, a des problèmes d'approvisionnement en eau potable, ce qui est indicatif d'une dégradation de la météorologie mais inverse de celle postulée par Clara Lecocq Réale dans son journal du 27. Je ne sais pas si vous connaissez la Creuse mais jusqu'à récemment ce n'était vraiment pas le département de France qui semblait le plus susceptible de subir ce genre de problèmes, elle se situe au nord du Massif Central et doit son nom à une rivière qui forme un des affluents de la Vienne, qui constitue elle-même, dixit Wikipédia, «l'un des principaux affluents de la Loire, avec l'Allier et le Cher, et le plus gros en termes de débit», la Creuse constituant le principal affluent de la Vienne, débit moyen de la Creuse, 85 m3/s, de la Vienne, 210 m3/s, la première apporte donc près de la moitié du débit de la seconde. Du moins, en temps ordinaire. Ces rivières prennent leur source dans le Massif Central , comme beaucoup des plus importants cours d'eau français du quart sud-ouest du pays, qui constituent parfois des affluents de fleuves ayant leur source ailleurs (Alpes, Jura, Pyrénées...); qu'un département comme la Creuse, qui inclut une partie de la zone la plus contributrice de ces cours d'eau, le plateau de Millevaches, se trouve dans une situation critique de ce genre, indique clairement où se situe la “dégradation” météorologique en cette fin août 2019.
Tout aussi clairement, Clara Lecocq Réale «fait de la propagande sans le savoir», elle énonce sa sentence, «c'est par la Catalogne que le ciel va se dégrader aujourd'hui», sur le ton de la vérité d'évidence. Les médiateurs, spécialement les journalistes, établissent une séparation entre ce qui ressort du “fait” et ce qui ressort du “commentaire”, de ce point de vue, la “dégradation du ciel” serait de l'ordre du fait. Bien sûr cette séparation est artificielle et même, artificieuse, car tout discours est un commentaire et un fait, mais ne donne jamais à voir ou entendre un fait autre que lui-même. Le bulletin météo ne fait pas le temps ni ne le présente en sa réalité, il s'agit d'un commentaire sur le temps qu'il fait, qu'il a fait, et surtout sur celui qu'il fera, et il a une visée, induire ou guider des comportements. Pourquoi s'informer sur la réalité? Pour pouvoir déterminer comment y agir. Les médias nous informent de manière indirecte sur des réalités distantes dans l'espace et dans le temps en procédant à une sélection restreinte de faits et en les interprétant au filtre de sa propre représentation de la réalité et de sa propre interprétation de ce qui importe qu'a chaque médiateur, ou chaque média – il se peut, il arrive souvent, que les médiateurs ne considèrent pas important ce qu'ils rapportent ni n'adhèrent à l'idéologie implicite ou explicite qu'ils propagent, si par circonstance on trouve un emploi, je ne sais, au Figaro ou à Libération, sans spécialement adhérer à l'idéologie de base de ces quotidiens, on s'y conformera cependant, et si même on avait idée de tenter d'y propager une autre idéologie ça ne changerait rien car le sens d'un discours est donné par le lecteur ou l'auditeur, il est d'ailleurs notable que chaque fois qu'a lieu un événement fortement marqué politiquement, la médiatrice de Radio-France évoque des courriers qui sur les mêmes émissions s'émeuvent, les uns qu'elles tirent trop à droite, les autres qu'elles tirent trop à gauche.
Donc, Clara Lecocq Réale fait de la propagande en postulant que «c'est par la Catalogne que le ciel va se dégrader aujourd'hui». J'ai ma propre compréhension de ce qu'est la propagande mais peu importe, j'use souvent pour mes concepts de terme assez usuels et très marqués car ça me permet de faire assez aisément comprendre de quoi je parle. Selon le TLF, le Trésor de la langue française, la propagande est une «action psychologique qui met en œuvre tous les moyens d'information pour propager une doctrine, créer un mouvement d'opinion et susciter une décision». Le seul mot que je ne retiens pas est «psychologique», la propagande est une action, voilà tout. Certes elle “vise les esprits” mais pour cela elle doit toucher les corps, le propagandiste agit, il conçoit ses campagnes, prépare ses discours, les met en forme et les diffuse, et il compte agir non sur les esprits mais sur les yeux et les oreilles, en espérant mais sans certitude que ça atteigne les esprits de la manière prévue, ce qui n'est pas garanti, les idéologues et propagandistes du Front national ou de En Marche! pourront faire tous leurs efforts qu'ils n'atteindront jamais mon esprit avec l'effet escompté par eux parce que je ne suis pas réceptif à ce type de propagande, je comprends leurs discours et suis même capable de les interpréter selon ce qu'ils escomptent mais ça n'aura pas sur moi l'effet de me convaincre de lire la réalité au filtre de leur idéologie. La propagande diffusée par Clara Lecocq Réale et l'ensemble de la rédaction de France Culture peut en revanche emporter ma conviction et en tout cas le plus souvent j'ai tendance à accepter leur interprétation de la réalité même si je n'y adhère pas strictement, reste que c'est de la propagande, toujours: tout discours «met en œuvre tous les moyens d'information pour propager une doctrine, créer un mouvement d'opinion et susciter une décision». Pour le dire autrement, qu'est-ce qui nous motive à communiquer avec des pairs, des semblables, selon le mode propre aux humains? Inciter des tiers à se comporter d'une manière qui correspond à ce qui nous semble favoriser nos propres visées. Écrivant ce texte, je suppose que mon possible lectorat considérera mes propos valides et en tiendra compte dans sa compréhension de certaines activités sociales telles que le journalisme et autres activités médiatiques; quand Clara Lecocq Réale conçoit son journal elle suppose que ses auditeurs considéreront pertinents son choix de nouvelles et la présentation qu'elle en fait, et suppose contribuer à l'élaboration d'une opinion publique. Je parle de manière générale et ne fais que reprendre ici les propos mêmes des journalistes et autres médiateurs qui, selon ce qu'ils en disent, contribuent au “débat public” et sont supposément un rouage essentiel du débat démocratique.
Il faut comprendre qu'affirmer que les médias font de la propagande n'est pas un jugement mais un constat, pour le redire, communiquer et faire de la propagande sont des quasi-synonymes, la question est plutôt ici la conscience ou l'inconscience du fait. Je suis persuadé que si je disais à Clara Lecocq Réale qu'en tant que journaliste elle fait de la propagande elle nierait le fait. Je lui poserais alors cette simple question: pourquoi dire que «c'est par la Catalogne que le ciel va se dégrader aujourd'hui»? Ce à quoi elle me dirait probablement que c'est une information factuelle. Or, il y a très peu d'information dans cette nouvelle, beaucoup d'approximations et plusieurs opinions subjectives. Pour reprendre le point déjà discuté, considérer qu'un temps de pluie est une dégradation après un temps sans pluie n'est pas un fait mais une opinion, laquelle n'est pas partagée par les personnes pour qui la pluie est une nécessité, il s'agit de l'opinion d'une citadine pour qui la pluie est nécessairement une nuisance. Bien sûr, comme tout journaliste Clara Lecocq Réale est schizophrène puisque dans le même journal elle considère le manque de précipitations comme un mal quand elle traite des incendies puis les précipitations comme un mal quand elle considère la météo locale du jour. Vous connaissez j'espère la théorie du mort kilométrique, dont le nom exact est la loi de proximité, «le principe suivant lequel les informations ont plus ou moins d'importance suivant leur proximité par rapport au lecteur». Les journalistes ont la fâcheuse tendance de s'exclure du corps social au prétexte qu'ils ont une approche objective et informée des faits, cette loi ne vaut pas que pour les lecteurs et les médiateurs y sont tout autant soumis. Très souvent, les journalistes se légitiment de «ce que veut le public» alors que c'est souvent leur propre attente qui est en cause. Il y a quelques années j'avais fait une critique d'une émission qui eut lieu le lendemain ou le surlendemain des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis – après vérification, le lendemain – dans un texte sur un sujet connexe, «Divinations (ou: Madame Irma vous parle de la presse)». Pour me citer:
«Fondamentalement les journalistes, sous un discours rationalisant (le dogme de la transparence, ce que veut le public, les nécessités de l'information, etc.), n'ont pas plus de recul, et parfois moins, que ce fameux "public" et son (mauvais) goût dont ils se légitiment pour dire n'importe quoi n'importe comment sur n'importe quel sujet.
Parfois moins de recul. Pour terminer sur ces attentats du 11 septembre 2001, je me souviens de la distance incroyable entre les véritables aspirations du "public" et le discours des médias: si au début il y eut bien un mouvement de sympathie envers les Américains, après trois semaines les gens s'en fichaient, pourtant, les attentats et leurs séquelles occupèrent une bonne part des unes jusqu'à fin décembre. Pourquoi? Parce que «nous sommes tous Américains», dans la perception des journalistes. En se mobilisant pendant trois mois sur les attentats, puis les préparatifs de guerre américains, puis la guerre en Afghanistan, en soutenant encore une fois "sans états d'âme" toutes les actions de l'administration américaine, pour s'apercevoir encore une fois, "mais un peu tard", que tout ça n'était pas blanc-bleu, les principaux médias ne se faisaient pas l'écho de "l'opinion", mais celui de leurs propres peurs, leurs propres attaches, leurs propres convictions».
Et sur la question de «ce que veut le public», un autre billet, «Auto-défense», qui traite plus précisément de cette émission du 12 septembre 2001:
«Constat: nos braves journalistes prennent leur cas pour une généralité, ils mentent et se mentent, quand de temps à autre leurs auditeurs-spectateurs parviennent à leur faire parvenir leur opinion ils n'en tiennent pas compte ou ne la comprennent pas, bref, nous ne sommes pas sortis de l'auberge espagnole que sont les médias…».
Cette émission n'est pas le tout des opinions des auditeurs-spectateurs ni des médiateurs, néanmoins il est remarquable de constater que les «personnes du public» qui interviennent disent toutes, vous en faites trop et on en a marre, on ne veut plus de ce cirque indécent, obscène, et que tous les médiateurs se légitiment de «ce que veut le public» pour contester… ce que leur disent les membres du public.
Les journalistes ont une idéologie, et elle s'articule sur des dogmes. Un auteur en a proposé une étude dans le livre Les mythes professionnels des journalistes. État des lieux en France, dont on peut lire un exposé rapide sur cette page. (j'évite la promo de mes propres pages mais si vous voulez en lire une version plus agréable à l"œil je vous conseille cette page: le texte est le même mais la mise en forme améliorée). Le texte est assez critique, ce que je ne peux guère reprocher à l'auteur, mais bien sûr ça ne retire rien au travail des journalistes, généralement honnête et somme toute assez neutre, ce que pointe Le Bohec, et ce que je pointe aussi, est le fait que quand on a une fausse représentation de soi et de son activité on est fatalement en risque de faire des choses sans avoir une claire conscience de sa pratique réelle et des conséquences qu'elle a effectivement. Le conditionnement par renforcement est la base de la socialisation, la communication en est le moyen, sa mise en œuvre “inconsciente” peut avoir des résultats inattendus.
Les mythes 14 et 27, l'extériorité et l'objectivité, se renforcent circulairement. Que l'on puisse en effet considérer qu'il y a «une impossibilité à être objectif pour les journalistes» n'empêche pas lesdits journalistes de postuler cette objectivité, précisément «parce qu'ils revendiquent une position rhétorique d'observateur et narrateur par rapport aux événements, [qu'ils] sont réellement extérieurs aux événements et ne participent pas à la réalité sociale»; il y a bien sûr un paradoxe puisque, mythes 26, 36 et 38 notamment, si leur fonction est de se faire le miroir de la réalité, en premier de celle sociale, s'ils ont un rôle démocratique et si la validité de leur travail repose sur une sélection pertinente des informations, cela induit qu'ils sont des acteurs sociaux, qu'ils ont une fonction sociale et qu'ils contribuent à structurer cette société, donc que nécessairement ils ne sont pas objectifs et ne sont pas extérieurs aux événements et à la réalité sociale, ou alors leur «revendication [...] de remplir un “rôle démocratique”» serait vraiment, comme le dit Le Bohec, une «rationalisation a posteriori des rapports de forces avec les acteurs politiques». Il ne s'agit pas de savoir ici quelle est mon opinion là-dessus, autant que je sache il s'agit bien d'une rationalisation a posteriori, mais de savoir si oui ou non les médias on un “rôle démocratique”: si c'est le cas, alors les journalistes ne sont ni objectifs ni neutres ni n'ont une position extérieure, “hors société”; s"ils sont objectifs, neutres et extérieurs, alors il n'y a pas de raisons de leur supposer un “rôle démocratique” car considérer que la démocratie est à renforcer et défendre est une position sociale subjective et ne vaut que pour des acteurs sociaux impliqués, donc qui participent de la réalité sociale.
Remarquez, les journalistes ne sont pas réellement dupes de leurs mythes, pas plus que vous et moi ne les sommes des nôtres – ici je parle de vous en tant que “non journaliste”, que vous le soyez ou non: en dehors du boulot, et bien, vous êtes membre de la cité, comme moi, et dans ce cadre vos mythes sont autres: même s'il croit sincèrement mettre son idéologie au vestiaire quand il endosse son costume de journaliste, un médiateur qui range son costume en partant du boulot est un acteur social comme les autres et il récupère son idéologie au vestiaire en sortant. Cela dit, de toute manière les médiateurs n'ont pas vraiment l'opportunité de remiser leur idéologie ordinaire, celle qui ne coïncide pas avec leur idéologie professionnelle, quand ils prennent le boulot. Pour reprendre le cas de Clara Lecocq Réale, quand elle parle de l'actuel président du Brésil ou du dirigeant du parti italien la Ligue, les qualifie toujours de «dirigeant d'extrême-droite». Je n'ai pas vraiment d'opinion sur le sujet mais c'est possible qu'on puisse les réputer tels – bien sûr que c'est possible puisqu'elle le fait, je veux dire, c'est possible qu'ils aient réellement une idéologie d'extrême-droite mais je ne sais pas trop ce que c'est donc je réserve mon jugement là-dessus. Cela dit, je connais – pour les lire ou le entendre – pas mal de journalistes et médiateurs qui n'ont pas cet avis. C'est possible. Je n'ai pas d'opinion non plus là-dessus. Faut dire, tout ça n'est pas simple, par exemple je n'ai jamais entendu Clara Lecocq Réale qualifier Donald Trump de «dirigeant d'extrême-droite», si du moins je l'ai entendue plus d'une fois qualifier tels des membres actuels ou passés de son équipe, et entendue dire que ledit Trump avait des proximités idéologiques et effectives avec des mouvements et dirigeants réputés d'extrême-droite. Enfin, je ne suis pas sûr: il se peut qu'elle ait réputé Trump être d'extrême-droite mais il y a longtemps, courant 2016, parce qu'à l'époque, quand il n'était que candidat, ça se disait; pour une raison que je ne m'explique pas (c'est faux, je me l'explique, mais peu importe), depuis son élection les médiateurs “non idéologiques” ont cessé de le réputer tel. Ce qui m'amène à un autre point: un journaliste “idéologique” est-il un journaliste?
Le mythe 34, le “professionnalisme”, est intéressant: «malgré les allusions fréquentes à cette notion dans le milieu, il est impossible de trouver un savoir-faire commun à tous les journalistes qui permettraient d'expliquer leur appartenance à un même groupe professionnel». C'est logique: il n'y a pas de critère particulier, diplôme ou savoir-faire par exemple, pour devenir journaliste, moins encore pour devenir médiateur. D'une certaine manière le mythe 26 n'est pas faux, les médias sont des reflets de la société. Des reflets doublement déformants. Un reflet est en soi une déformation puisqu'il est l'image inversée et aplatie de la réalité, à quoi s'ajoute ce que relève Jacques Le Bohec, cette «quantité de phénomènes (loi de proximité, diversité des journaux...), dont la présence des médias dans la réalité n'est pas le moindre». S'y ajoute le fait que parfois un média est le reflet d'un autre média, ce qui censément devrait rétablir l'image dans son sens initial mais ça n'est pas si simple. Le cas du mythe 29, “l'opinion publique”, n'est qu'un cas particulier d'un cas général. Certes, «pour décrire “l'opinion publique” du pays qu'ils couvrent, [les correspondants à l'étranger] estiment que celle-ci peut à bon droit être repérée dans les éditoriaux de [leurs] confrères» mais donc c'est plus large, factuellement – et un sociologue comme Pierre Bourdieu l'avait déjà relevé – «l'opinion publique» est toujours une construction qui rend compte non d'une réalité observable mais d'une description partielle et le plus souvent partiale de la réalité. Cela dit, un média est le reflet de la réalité sociale d'une autre manière: c'est une société. Il n'y a pas de critère précis pour devenir journaliste ou médiateur parce que pour “refléter la réalité” un média doit avoir en son sein des compétences diverses, dans la profession même de journaliste il y a des métiers multiples, d'évidence les formations d'un photographe, d'un rédacteur, d'un infographiste, d'un éditorialiste, d'un dessinateur, etc., ne peuvent être les mêmes, et le plus souvent ces gens arrivent à la profession de journaliste sans en être passés par un école dédiée à former à cette profession, il ont un “professionnalisme”, celui de leur métier, mais il peut se déployer là ou ailleurs. D'une certaine manière, la mythologie des journalistes concerne surtout une part très limitée des membres de la profession, en gros, les reporters, tant les petits que les grands, ce qui fait que le plus souvent il y a un écart important entre cette mythologie et la réalité observable. Je ne parle pas ici de la discordance entre les mythes et la réalité des pratiques mais du fait que dans leur très grande majorité les journalistes ne sont pas des reporters, donc que ces mythes ne les concernent pas.
Là-dessus, et bien, la plupart des médias ont une idéologie explicite. Pas nécessairement une idéologie politique, pour autant qu'il existe une activité sociale qui ne soit pas politique, disons, pas nécessairement une idéologie partisane. Les médiateurs nomment cette idéologie “ligne éditoriale”. Parfois cette ligne suit celle d'une idéologie partisane (L'Humanité, Le Figaro, L'Opinion, Le Média, Radio Libertaire, Radio Courtoisie, Valeurs actuelles...), le plus souvent c'est une idéologie, disons, sociale, ce qui n'exclut pas un arrière-plan partisan, pour exemple l'idéologie qui sous-tend la ligne éditoriale de TF1 est “économique” et financière, il s'agit, comme l'expliqua son ancien PDG, Patrick Le Lay, de «vendre du temps de cerveau disponible», du fait les choix éditoriaux sont plutôt “de droite” et “conservateurs” mais c'est un moyen plus qu'une fin, le public visé étant lui-même plutôt de droite et plutôt conservateur, mais il y a aussi une idéologie partisane implicite plutôt “de droite” et “libérale” – économiquement libérale, s'entend. Ma radio préférée (la seule que j'écoute, à dire vrai), France Culture, et ma télé préférée (presque la seule qu'il m'arrive de regarder, bien que ces dernières années je la visionne indirectement vu que je ne dispose pas de poste de télévision), Arte, ont une idéologie de base qu'on peut dire démocratique et libertaire, en ce sens que le postulat qui préside à leur création est que l'on favorise l'autonomie des individus par le savoir et la réflexion. J'emploie le mot “libertaire” dans son sens général, «qui, en théorie comme en pratique va le plus loin possible dans le sens de la liberté individuelle absolue; qui est inspiré par ou qui se réclame d'un idéal ou d'une doctrine de liberté absolue»: ni Arte ni France Culture ne sont libertaires en un sens partisan, “anarchistes“ comme on dit; sans savoir si leur moyen d'y aller est valide, il y a ce donc ce projet de “libérer les individus” en leur donnant les moyens de réfléchir par eux-mêmes, ce qui implique notamment de laisser toutes les options partisanes de s'exprimer, y compris celles qui vont contre ce projet.
La réponse à ma question, «un journaliste “idéologique” est-il un journaliste?», est donc simple: tout journaliste est “idéologique”, donc un journaliste “idéologique” est un journaliste, puisque tous le sont. C'est plus large bien sûr, tout humain est animé par une ou plusieurs idéologies, c'est ce qui en fait des êtres sociaux: pour participer à un groupe social et plus largement à une société il faut en accepter les règles, donc les idéologies qui les sous-tendent. Bien sûr, il y a des apories obligées, des «contradiction[s] insoluble[s] dans [des] raisonnement[s]», avec toute idéologie, parce qu'elle n'est qu'une réduction et une simplification de la réalité basée sur l'expérience, et comme le monde est étendu, complexe et changeant, toute hypothèse de conduite est nécessairement fausse, un raisonnement contradictoire, et c'est insoluble. Pourquoi Clara Lecocq Réale ne qualifie-t-elle pas Donald Trump de dirigeant d'extrême-droite? Parce que le dirigeant de la “première démocratie du monde” ne peut pas être d'extrême-droite. Accepter de le qualifier tel reviendrait à mettre en cause sa représentation du monde en tant que journaliste; en tant que personne privée, il se peut qu'elle le qualifie tel. Vous fréquentez des membres de groupements partisans, mouvement politiques ou religieux notamment? Vous participez de tels groupements? Alors vous le savez, appartenir à un tel groupement n'induit pas nécessairement l'adhésion à l'ensemble des dogmes ni même à l'idéologie. Bien sûr, plus le groupement est confidentiel plus l'adhésion est forte mais il y aura toujours, dans tout mouvement partisan, des personnes qui sont rentrées là parce qu'il y avait de la lumière et qu'il y faisait bon. Une manière plaisante de dire que l'entrée dans un groupe n'a pas toujours comme motif l'adhésion à son projet: entre les “héritiers”, ceux qui ont “perdu la foi” et ceux qui sont là par opportunisme (avoir une bonne place dans l'organisation, se taper la cloche, tirer un coup ou simplement, faire partie d'un groupe sans trop chercher à savoir quel est son projet, pour en être et voilà tout), il y a toujours un certain nombre, et dans les groupes les plus larges, un nombre certain de partisans dont on peut dire qu'ils ont une idéologie personnelle assez peu en accord avec celle du groupement. Comme le précise Jacques Le Bohec en présentant son étude,
«* Le propos vise à mettre en évidence un écart dont sont conscients une partie des journalistes entre les images sociales dominantes du journalisme en France et les pratiques professionnelles observables.
* Tous les journalistes n'adhèrent pas aveuglément à ces mythes professionnels: les degrés de croyance sont variables, allant de l'adhésion sans réserve à la mise en cause interne, parfois très virulente.
* Les mythes professionnels qui ont été repérés ne sont pas nécessairement cohérents entre eux; les journalistes ne sont en effet pas toujours d'accord sur la définition de leur profession et défendent parfois des conceptions divergentes.
* La mise au jour de mythes internes au journalisme français ne signifie pas que toutes les représentations de tous les journalistes sont infondées; on constate seulement que ces mythes tendent à saturer la vision officielle qui est diffusée».
Même si son orientation est un peu différente (il tend plutôt vers les sciences politiques et les sciences de l'information et de la communication), Le Bohec a une approche qui rejoint celle de la socio-psychologie, notamment en ce qui concerne les comportements de groupe. Celle-ci (sous le nom un peu fallacieux de psycho-sociologie) à mis en évidence le fait que la conformité aux règles du groupe prévaut sur les convictions personnelles. Le problème de base vient de ce qu'arrive un moment pour beaucoup de personnes où elles se supposent participer à certains groupes, voire à tous, par choix délibérés découlant de leurs convictions personnelles. Ce présupposé est nécessairement faux parce qu'on n'a pas choisi de naître et une fois né, on n'a pas choisi de vivre dans le cadre où s'est élaborée notre socialisation, et dès lors tous nos choix sociaux sont contraints. Bien sûr, ma proposition ne conviendra pas aux personnes qui considèrent qu'on a choisi de naître, ni à celles qui considèrent qu'une “cause première” a décidé de tout temps que nous naîtrions et vivrions la vie que nous vivons. Dans le second cas bien sûr le choix délibéré est antérieur mais notre parcours n'a rien de hasardeux, il y a pour chacun nécessité à vivre la vie qu'il vit. À considérer qu'on ne choisit pas ne naître dans un contexte qui postule la transmigration des âmes ou le Doigt de Dieu, et à considérer qu'on n'aura pas plus choisi, étant né dans des contextes qui ne prônent pas ces principes, ne les tiennent pas pour des dogmes intangibles, de rencontrer par après des discours qui les prônent; on choisira peut-être d'y adhérer, à condition de les connaître. L'univers dans lequel je vis étant tendanciellement stochastique, pas de raisons de supposer une prédestination, que ce soit sous la forme de la métempsychose ou de la Cause Première, du Grand Horloger, du Grand Architecte ou de l'Être Suprême. Remarquez, peu importe: si la prédestination est un fait, alors j'étais prédestiné à penser et écrire cela. Remarquez aussi, il y a quelque chose de boiteux avec ces histoires de prédestination. Passons. J'allais développer mais ça n'a pas le moindre intérêt, que les croyants croient et grand bien leur fasse tant qu'ils ne me bassinent pas avec leurs sonneries. Si le sujet vous intéresse – pas celui de la prédestination, je précise –, je vous conseille la lecture de cette «Introduction à la psychologie sociale» par Éva Louvet, quant à moi je vais en exploiter une partie pour étayer ma discussion.
Certes je me moque des partisans du choix de naître ou de la Cause Première mais vous aurez relevé j'espère que je me moque aussi de ma position, je veux dire: je ne suis pas moins “idéologique” que quiconque, ma postulation d'un univers stochastique découle de ma propre représentation de la réalité. Disons, ma propre dogmatique a un avantage sur celle des partisans de la métempsychose ou du doigt de Dieu, elle s'appuie sur les faits démontrables et reproductibles en tout temps et en tout lieu, ça ne certifie pas qu'elle soit vraie mais du moins est-elle plus efficace quand on fait de la prospective. Or, s'informer et informer vise le plus souvent à prévoir: considérer l'univers globalement imprévisible et localement assez prévisible se révèle le plus souvent plus efficace pour faire de la prospective que de considérer l'univers globalement prévisible, localement imprévisible. Pour exemple, le gouvernement français actuel: il semble baser son idéologie entre autres sur l'hypothèse que l'univers, et spécialement le monde social, sont globalement prévisibles, ce qu'invalide le constat que chacune de ses décisions a des conséquences qu'il n'a pas prévues, qui vont contre la réalisation de ses projets selon le schéma qu'il postule. Je ne voudrais pas que l'on pense que je suppose nos gouvernants être des imbéciles (bien qu'au moins un tiers des membres de l'actuel gouvernement français ne fait pas preuve d'une capacité éminente de discernement mais bon, c'est pareil dans n'importe quel groupe social, qui compte nécessairement un nombre important de personnes d'une intelligence restreinte), en fait je présume qu'entre autres choses ces gouvernants et surtout leurs conseillers ont une connaissance certaine de la psychologie sociale ou de son versant économique, qui reprend dans un domaine restreint et dans un axe limité certains concepts de la socio-psychologie, par contre ils n'en tirent pas toutes les conséquences.
Il y a une chose difficile à concevoir: ce qui vaut pour les groupes vaut pour tous les groupes. Prenez le cas du «conformisme, [du] changement de comportement dans le sens du comportement d’un groupe (majoritaire); [de la] mise en adéquation de son comportement avec les normes sociales en vigueur»:, et de l'«influence normative, [la] forme d’influence basée sur le respect des normes établies par le groupe, [quand] l’objectif de l’individu est d’être accepté par le groupe, d’être jugé positivement par les autres membres du groupe, ou, tout du moins, d’éviter la désapprobation sociale»: cela vaut pour tout groupe, même ceux qui “manipulent les groupes”. Pour être clair, connaître les mécanismes du conformisme et de l'influence normative ne fait pas qu'on y échappe dans le sein de son propre groupe: En Marche! est un groupe avec une idéologie et un projet, et dans ce cadre ses membres se plient à la norme et font preuve de conformisme. Je ne développerai pas trop, je vous renvoie donc au texte d'Éva Louvet, toujours est-il, si l'on fait passer la dogmatique avant l'observation des faits, immanquablement on sera dans l'erreur, et la connaissance des phénomènes d'influence sociale n'y changera rien. Sans préjuger de malhonnêteté de leur part, je suis fasciné par le fait que quand ils sont confrontés à une oppositions nos gouvernants et leurs soutiens ne manquent de dire que leur erreur est de ne pas avoir fait assez de pédagogie. Il m'arrive de dire que les mots n'ont pas de sen, ce qui ne m'empêche de savoir que ceux qui les emploient leurs en donne un: la pédagogie, et bien, c'est l'«instruction, [l']éducation des enfants, de la jeunesse», ou la «science de l'éducation des jeunes, qui étudie les problèmes concernant le développement complet (physique, intellectuel, moral, spirituel) de l'enfant et de l'adolescent». Quand ils disent qu'ils ont manqué de pédagogie, nos gouvernants et leurs soutiens nous disent assez candidement et explicitement qu'ils nous considèrent des enfants, et nous disent implicitement qu'eux sont des adultes, que nous n'en sommes pas et n'en seront jamais, que «le peuple est un enfant», et disent enfin qu'ils ne participent pas du peuple. Ce qui est d'ailleurs assez clairement apparu dans diverses déclarations de notre président, de notre premier ministre, et quelques autres ministres et conseillers de ce gouvernement, dès qu'ils eurent affaire a une opposition forte, spécialement durant la «crise des Gilets Jaunes». Intéressant de constater que même notre ministre de l'éducation explique que ses réformes rencontrent des problèmes parce qu'il a «manqué de pédagogie»: pour lui, les éducateurs et les parents sont des enfants...
Les journalistes et autres médiateurs donc, et spécialement Clara Lecocq Réale. Je n'ai rien contre elle, je l'aime bien, enfin, j'aime bien sa voix, ce qui est primordial en matière de radio, et en plus elle m'a l'air d'une personne intelligente et plaisante – je dis ça, rapport à ses interactions avec les chroniqueurs et animateurs des émissions où elle produit ses journaux, où elle fait généralement preuve d'esprit et a de la répartie. La voix... Elle fait passer beaucoup de choses. Par exemple, je sais que Clara Lecocq Réale est une personne assez souriante parce que ça passe dans sa voix. Certains – beaucoup – se fient plus à leurs yeux qu'à leurs oreilles, ce qui me semble une erreur, on peut peindre sur son visage l'image de la bienveillance ou de la bonne humeur, on ne peut que difficilement et brièvement les simuler par la voix. J'ai beaucoup plus confiance en l'olfaction et l'audition qu'en la vision. Je ne sais rien de plus de Clara Lecocq Réale que ce que j'en entends sur ma radio, je l'ai prise comme exemple simplement parce que ce billet part, comme dit, de l'audition de cette sentence, «c'est par la Catalogne que le ciel va se dégrader aujourd'hui». On croit souvent que la propagande porte sur des domaines somme toute restreints, les sujets “politiques” ou “sociaux” ou “religieux”: tout ce qui passe par la communication est social et tout ce qui est social est politique, concerne la cité, le religieux compris, la météorologie comprise. La notion de dégradation du temps est idéologique, elle part de l'hypothèse indémontrable qu'il y a un temps “optimal” ou “gratifiant” et que tout écart à ce temps est une dégradation. D'évidence, il est des conditions climatiques défavorables aux humains: en-deçà ou au-delà d'une certaine température, d'une certaine hygrométrie et au-delà d'une certaine vitesse de déplacement atmosphérique, de vent, leur survie est compromise à court terme. Entre ces extrêmes il y a des situations plus ou moins confortables qui ne sont pas en soi des améliorations ou des dégradations. Je suis comme la plupart des humains, je n'ai pas un goût immodéré pour la pluie et quand elle vient je m'en protège, par contre il me semble qu'on peut considérer les précipitations comme une amélioration de la météorologie si elles se produisent après une longue séquence sans pluie qui s'accompagne d'une forte insolation. D'évidence, pour les habitants de Guéret, et pour ceux de mon petit Liré aussi, qui se situe dans la même zone que Guéret relativement au Massif Central, plus au nord (environ 80km) mais dans le même bassin, à l'ouest du Cher et à l'est de l'Indre (je parle des rivières, non des départements, vu que je réside dans le Cher, d'ailleurs il serait difficile d'être à la fois à l'est du département de l'Indre et à l'ouest de celui du Cher vu que le premier est à l'est du second, donc le second à l'ouest du premier...), un temps de pluie et une température plus modérée seraient considérées comme une amélioration.
Je le disais précédemment, émettant sa sentence Clara Lecocq Réale considère probablement tenir un propos neutre de l'ordre du constat alors que c'est une opinion découlant de ce qui représente pour elle “le bien” en matière de météorologie. Soit précisé, très probablement elle a un rapport personnel immédiat à la météo qui ne correspond pas à cette représentation qui induit la forme de son discours, je veux dire, il est probable (en fait, je sais qu'il est certain car je l'ai entendue déplorer à titre privé “la canicule” dans ses échanges informels avec d'autres intervenants de la radio) que pour elle aussi un peu de pluie et une baisse modérée de la température seraient souhaitables. Quand on compose un journal (à la radio, les speakers sont les auteurs de leur discours) on s'appuie non sur son ressenti propre ou sur son idéologie personnelle mais sur un ressenti abstrait et sur l'idéologie professionnelle en vigueur dans son média, plus spécifiquement dans sa rédaction, de ce point de vue, la pluie venant après le soleil est “une dégradation” dans cette dogmatique. Elle a, dira-t-on, la représentation d'un “humain moyen résidant en France” qui apprécie le soleil et la chaleur, déprécie la pluie et le froid, et pour qui le passage d'un cas à l'autre et un “moins bien”, une dégradation. Ce qui vaut pour la météorologie, qu'on peut considérer comme un cas mineur, vaut pour le reste. Comme je le relevais, la même Clara Lecocq Réale a l'habitude de reprendre de formules toutes faites dans de nombreux cas, la qualification du président du Brésil et de celui de la Ligue en tant que «dirigeant d'extrême-droite» par exemple – une sorte d'épithète de nature, «qui exprime une qualité permanente, intrinsèque de l'être ou de la chose désignés». En sens inverse, les journalistes et médiateurs, au prétexte de neutralité, tendent à reprendre des qualifications produites par d'autres acteurs sociaux sans trop s'interroger sur leur validité. Pour exemple, une étude un peu ancienne sur un article rédigé dans le quotidien Le Monde par le Piotr Smolar dans l'article, republié ici, «Les Juifs, ou juifs». Cette brève étude faite en passant relève les impensés du rédacteur de l'article du Monde, des éléments qui de son point de vue sont de l'ordre du fait alors qu'une personne qui ne participe pas de son groupe professionnel aura une appréciation différente. Comme je le mentionne,
«écrire “Parmi les autres, aucune surprise en vue. Les 20 endroits sont tous apparus dans les médias [etc.]”, c'est considérer que, quoi qu'on pense de la politique actuelle de l'Intérieur, il y a effectivement des “quartiers” dont la détermination comme “zones de non droit” n'est pas surprenante, ergo qu'il y a effectivement de telles zones, ce qui bien sûr est faux[4], et surtout, que la médiatisation de certaines zones pour certains faits est un “certificat objectif de nondroi-ité”, ou un truc du genre, et là non plus ce n'est pas de la première évidence».
Pour mention, la note 4: «Ou du moins, qui n'est pas vrai dans le sens où on nous le présente habituellement: le dogme de la “non-droi-ité” pose que, dans certaines zones, les habitants ne respectent pas le droit; en réalité, on voit l'inverse, en ce sens que, comme dit, l'État applique à ces zones des règles hors du droit commun».
Bien sûr, cette question de “non-droit” ne correspond pas à ma propre appréciation, dans les faits toute partie du territoire de la France est soumise au droit, par contre il y a effectivement des zones (les plus nombreuses) qui sont soumises au droit commun et d'autres soumises à un droit d'exception, que ce soit en leur défaveur (les “cités de banlieue”) ou en leur faveur (les fameux et seuls vrais ghettos en France métropolitaine, les “ghettos de riches”, qui échappent eux aussi très largement au droit commun pour le bénéfice de ses habitants, du moins ceux riches). Je ne fais ici que reprendre des expressions produites ou diffusées par les médias, qui ont une base idéologique implicite jamais interrogée: qu'on accepte ou qu'on refuse les politiques publiques qui les vise, rarement les utilisateurs de l'expression “zones de non-droit” remettent en cause cette supposée absence de droits dans ces zones.
Bon, ce billet me semble assez avancé, je vais le publier en l'état sans supposer le développer plus, comme je le dis régulièrement je n'ai pas de message tout cuit à délivrer, mon but est de proposer des pistes de réflexions, sans plus.