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Billet de blog 28 octobre 2025

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Préface de la première édition.

Il s'agit d'une partie de la préface d'un ouvrage assez consistant d'Arthur Schopenhauer – dans la sixième édition de sa traduction française de 1890 elle comptait 1300 pages et même dans un format plus dense elle en compte encore près de 900 – près 750 même en en retirant des parties sans grand intérêt.

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L'ouvrage en question est celui de Schopenhauer dont, autant que je sache, le titre est le plus connu parmi ses œuvres, Le Monde comme volonté et comme représentation. De là à dire que c'est son ouvrage le plus connu, il y a une distance, j'en parle d'autant plus à l'aise de je ne l'ai pas lu, ou pas encore, comme une majorité de mes contemporains, y compris ceux qui ne connaissent que le nom de l'auteur et celui de son ouvrage et n'hésitent pas, ce que je ne risque pas de leur reprocher, à discuter son contenu, pour celui-là je ne m'y aventurerais pas, j'apprécie trop le style de son auteur pour me le permettre mais n'hésite jamais à discuter du contenu d'un bouquin que je n'ai pas lu pondu par un auteur dont les écrits sont de peu d'intérêt dans la forme, le fond ou les deux. Schopenhauer a une réputation d'auteur et de penseur pessimiste alors qu'il n'est que réaliste, comme en outre il manie assez souvent l'humour et l'ironie ça ne peut qu'ajouter à cette réputation, les philosophes “matérialistes” et “idéalistes”, y compris ceux qui ne dédaignent pas de manier l'ironie (mais non l'humour) ont une tendance certaine à supposer qu'un auteur qui ne donne pas une forme “sérieuse” à ses ouvrages est du genre “pessimiste”. C'est parfois le cas mais non toujours. En fait, “matérialistes” et “idéalistes” partent d'une hypothèse commune, les textes “sérieux” sont “réalistes”, ceux “non sérieux” étant donc “irréalistes”; et si les auteurs “sérieux” ne sont pas tous qualifiés d'optimistes, ceux “non sérieux” sont toujours supposés “pessimistes”, car comme le dit un lieu commun «l'humour est la politesse du désespoir», et un désespéré nécessairement un pessimiste. Les “idéalistes” et les “matérialistes” sont des cons.

J'aurais bien fait quelques commentaires à ce début de préface, possible que j'en fasse plus tard, j'ai juste à en dire ceci: le conseil d'Arthur Schopenhauer, lire le livre deux fois, vaut pour tout texte dont on peut dire qu'il exprime une «pensée une» plutôt qu'un «système de pensées» – j'y ajoute qu'on peut se dispenser de la première lecture des ouvrages de philosophie systématique.


PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION
––––––––

Si l’on veut lire ce livre de la manière qui en rend l’intelligence aussi aisée que possible, on devra suivre les indications ci-après.Ce qui est proposé ici au lecteur, c’est une pensée unique. Néanmoins, quels qu’aient été mes efforts, il m’était impossible de la lui rendre accessible par un chemin plus court que ce gros ouvrage. – Cette pensée est, selon moi, celle que depuis si longtemps on recherche, et dont la recherche s’appelle la philosophie, celle que l’on considère, parmi ceux qui savent l’histoire, comme aussi introuvable que la pierre philosophale, comme si Pline n’avait pas dit fort sagement: «Combien il est de choses qu’on juge impossibles, jusqu’au jour où elles se trouvent faites». (Hist. nat., VII, 1.)

Cette pensée, que j’ai à communiquer ici, apparaît successivement, selon le point de vue d’où on la considère, comme étant ce qu’on nomme la métaphysique, ce qu’on nomme l’éthique, et ce qu’on nomme l’esthétique; et en vérité, il faut qu’elle soit bien tout cela à la fois, si elle est ce que j’ai déjà affirmé qu’elle était.

Quand il s’agit d’un système de pensées, il doit nécessairement se présenter dans un ordre architectonique: en d’autres termes, chaque partie du système en doit supporter une autre, sans que la réciproque soit vraie; la pierre de base supporte tout le reste, sans que le reste la supporte, et le sommet est supporté par le reste, sans supporter rien à son tour. Au contraire, lorsqu’il s’agit d’une pensée une, si ample qu’elle soit, elle doit s’offrir avec la plus parfaite unité. Sans doute, pour la commodité de l’exposition, elle souffre d’être divisée en parties; mais l’ordre de ces parties est un ordre organique, si bien que chaque partie y contribue au maintien du tout, et est maintenue à son tour par le tout; aucune n’est ni la première, ni la dernière; la pensée dans son ensemble doit de sa clarté à chaque partie, et il n’est si petite partie qui puisse être entendue à fond, si l’ensemble n’a été auparavant compris.– Or il faut bien qu’un livre ait un commencement et une fin, et il différera toujours en cela d’un organisme; mais, d’autre part, le contenu devra ressembler à un système organique: d’où il suit qu’ici il y a contradiction entre la forme et la matière.

Cela étant, il n’y a évidemment qu’un conseil à donner à qui voudra pénétrer dans la pensée ici proposée: c’est de lire le livre deux fois, la première avec beaucoup de patience, une patience qu’on trouvera si l’on veut bien croire bonnement que le commencement suppose la fin, à peu près comme la fin suppose le commencement, et même que chaque partie suppose chacune des suivantes, à peu près comme celles-ci la supposent à leur tour. Je dis «à peu près», car cela n’est pas exact en toute rigueur, et l’on n’a de bonne foi rien négligé de ce qui pouvait faire comprendre d’emblée des choses qui ne seront entièrement expliquées que par la suite, ni rien en général de ce qui pouvait contribuer à rendre l’idée plus saisissable et plus claire. On aurait même pu atteindre jusqu’à un certain point ce résultat, s’il n’arrivait pas tout naturellement que le lecteur, au lieu de s’attacher exclusivement au passage qu’il a sous les yeux, s’en va songeant aux conséquences possibles; ce qui fait qu’aux contradictions réelles et nombreuses qui déjà existent entre la pensée de l’auteur, d’une part, et les opinions du temps et sans doute aussi du lecteur, d’autre part, il peut s’en venir ajouter d’autres, supposées et imaginaires, en assez grand nombre pour donner l’air d’un conflit violent d’idées à ce qui en réalité est un malentendu simple: mais on est d’autant moins disposé à y voir un malentendu, que l’auteur est parvenu à force de soins à rendre son exposé clair et ses expressions limpides au point de ne laisser aucun doute sur le sens du passage qu’on a immédiatement sous les yeux, et dont cependant il n’a pu exprimer à la fois tous les rapports avec le reste de sa pensée. C’est pourquoi, comme je l’ai déjà dit, la première lecture exige de la patience, une patience appuyée sur cette idée, qu’à la seconde fois bien des choses, et toutes peut-être, apparaîtront sous un jour absolument nouveau. En outre, en s’efforçant consciencieusement d’arriver à se faire comprendre pleinement et même facilement, l’auteur pourra se trouver amené parfois à se répéter: on devra l’excuser sur la difficulté du sujet. La structure de l’ensemble qu’il présente, et qui ne s’offre pas sous l’aspect d’une chaîne d’idées, mais d’un tout organique, l’oblige d’ailleurs à toucher deux fois certains points de sa matière. Il faut accuser aussi cette structure spéciale, et l’étroite dépendance des parties entre elles, si je n’ai pu recourir à l’usage, précieux d’ordinaire, d’une division en chapitres et paragraphes, et si je me suis réduit à un partage en quatre portions essentielles, qui sont comme quatre points de vue différents. En parcourant ces quatre parties, ce à quoi il faut bien avoir garde, c’est à ne pas perdre de vue, au milieu des détails successivement traités, la pensée capitale d’où ils dépendent, ni la marche générale de l’exposition. – Telle est ma première et indispensable recommandation au lecteur malveillant (je dis malveillant, parce qu’étant philosophe il a affaire en moi à un autre philosophe).

(Traduction d'Auguste Burdeau)

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