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Billet de blog 29 octobre 2024

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Une vieillerie très actuelle

Pas très vieille cela dit, en date du 25 juin 2022. Je ne la publie pas directement juste pour conserver la trace de sa date de création car pour ce qui est de la datation des textes publiés, Mediapart ce n'est pas le top du top...

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Ouais, dès qu'on publie le texte est daté du jour de sa publication, non du jour de sa création, et ça m'ennuie, d'où ce souci: tant qu'il reste à l'état de brouillon c'est bien la date de création qui est mentionnée. Je suis tombé sur ce brouillon en cherchant un autre texte, que je n'ai pas (ou pas encore) trouvé, j'ai cru que ça pourrait être celui-ci, vu son titre, mais non. En revanche il m'a paru d'un certain intérêt, pour démontrer qu'une personne ayant du discernement pouvait anticiper sur l'évolution récente de la situation politique en France (depuis la séquence allant du début de l'année 2024 à, en gros, la fin-juillet ou le début août de la même année) une semaine après le second tour des législative de 2022.

Avant de le publier ci-après, je tiens à mentionner que depuis quelques mois j'ai eu droit plus d'une fois à une nette incompréhension qui parfois conduisit à des insultes de la part de certains abonnés de Mediapart, tant mon analyse du contexte est contradictoire de celles les plus courantes et aussi, les plus courues, celles qui confortent ces abonnés dans leurs analyses inexactes du contexte. Le billet.


République parlementaire.

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C'est l'organisation politique de la France, pour le régime c'est tendanciellement une oligarchie avec un poil d'aristocratie et une touffe de poils de ploutocratie.
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Les commentateurs sportifs analystes politiques tendent à supposer une autre organisation, un “régime présidentiel”, alors que le régime est oligarchique; les mêmes prétendant que la France est une démocratie, mais une démocratie monarchique ou une monarchie démocratique, aussi contradictoires soient les deux termes.

Formellement, la France est quelque chose comme une aristocratie pour partie sélective, pour partie élective, c'est-à-dire qu'elle distingue ses élites “par le mérite” ou “par le plébiscite”, sur concours ou lors d'une opération de vote. C'est formel. Comme la majorité des régimes aristocratiques celui-ci a évolué vers l'oligarchie, et d'autant plus facilement ici que ni la IV° ni la V° Républiques n'ont modifié significativement la superstructure, laquelle était sur sa fin celle d'une république oligarchique.

Cela posé, l'organisation effective de la superstructure est celle d'une oligarchie parlementaire, dans le régime actuel il y a séparation des pouvoirs, et celui des trois qui “représente le peuple”, la nation, est le Parlement, en tout premier l'Assemblée nationale. La France étant supposément une démocratie, le monarque est le peuple, donc son représentant est le monarque par procuration, le Parlement.

À trois reprises les commentateurs sportifs analystes politiques ont eu la démonstration que le régime français n'est pas une monarchie élective, en 1986, en 1993 et en 1997, ces trois fois le président de la République n'a pas obtenu une majorité à l'Assemblée nationale, et ces trois fois il fut impuissant, car le gouvernement est certes nommé par l'Exécutif mais doit émaner de la majorité, même relative, à l'Assemblé nationale. L'actuel Exécutif n'a pas une majorité relative au sens courant, l'écart entre le nombre des députés de la coalition présidentielle et la majorité absolue est trop important pour qu'il puisse sans un accord de gouvernement avec l'un au moins des autres partis comptant plus de quarante élus avoir la certitude que ses lois passeront. S'y ajoute le fait que contrairement à Michel Rocard en son temps, l'Exécutif actuel ne dispose plus de l'Arme de Dissuasion Massive, le “49.3”, qui désormais ne peut servir qu'une fois par session parlementaire, donc au plus deux fois par an. Cela dit cet alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution actuelle n'est pas prévu pour empêcher le Parlement de s'exprimer librement sur un texte mais avant tout pour accélérer l'adoption d'une loi, il n'est utilisable que si on est certain de ne pas trouver devant soi une majorité contre. Ce qui n'est pas le cas actuellement.

Selon moi, ce qu'expérimente l'actuel Exécutif est que l'ordre dans lequel les représentants sont élus n'a aucune incidence sur la représentativité, soit de l'Assemblée nationale, soit du chef de l'État, les présidents ne sont que rarement élus sur leur programme, au cours de la V° République les deux seuls présidents avec lesquels le programme eut une certaine importance sont de Gaulle en 1965 et Mitterrand en 1981, dans tous les autres cas il n'en eut aucune, et pour les présidentielles de 2017 et 2022 moins que jamais puisqu'une part significative des votes Macron du deuxième tour étaient des votes anti-Le Pen.

Partir de l'hypothèse qu'en votant pour lui les électeurs ont voté pour son programme est une imbécillité, si c'était le cas il aurait du recevoir en 2022 plus de voix aux deux tours, son adversaire des deux élections moins de voix aux deux tours, et au second tour il aurait du obtenir une différence en pourcentage d'exprimés au moins égale en 2022 qu'en 2017, et rien de cela n'advint: en nombre de voix et en pourcentage il a progressé au premier tour mais régressé au second, son adversaire a progressé aux deux tours, et la différence est significativement plus importante pour les deux, Macron a perdu près de deux millions de voix et près de 4% d'exprimés, Le Pen gagné plus de deux millions et demi de voix et bien sûr – ce sont des vases communicants –, près de 4% des exprimés. À sa place... Rien, à sa place rien vu que je n'y suis pas.

Ce que le provisoirement actuel Exécutif semble ne pas percevoir, ou prétend ne pas percevoir, est qu'on se trouve en situation de “cohabitation”, un nom peu pertinent, les pouvoirs sont toujours en cohabitation, ils occupent ensemble le pouvoir, qu'ils soient en concordance ou discordance, on parlerait plus exactement de discordance justement, l'Exécutif et le Législatif “ne sont pas sur la même longueur d'onde”, ne partagent pas la même idéologie. L'inédit est que ça advient dans l'ordre inverse des cas antérieurs mais ça ne change rien au fait: l'Exécutif n'a pas de majorité absolue et se révèle incapable d'obtenir une majorité relative suffisante pour être sûr de faire passer ses lois sans trop devoir les amender. Bien sûr les négociations peuvent finalement aboutir mais ça implique une impossibilité de réaliser le postulat de cet Exécutif, de réaliser le projet présidentiel tel que proposé.

Les députés d'opposition n'ont aucune raison de se plier aux demandes de l'Exécutif, en gros, un accord minimaliste dans lequel il ne sera pas question de changer quoi que ce soit au projet de gouvernement, dans l'année qui vient le président ne pourra pas user d'une autre arme massive et destructrice, la dissolution de l'Assemblée nationale. Et un an d'impuissance c'est long, très long. D'autant que dans la configuration actuelle il ne peut y avoir ni une majorité gouvernementale ni une majorité d'opposition.

Je me demande ce que sera la suite. Le contexte étant imprévisible, son devenir l'est tout autant...


Publié le 29 octobre 2024. Outre quelques corrections orthographiques et syntaxiques, plus deux modifications sémantiques, j'ai fait une très légère modification: dans la versions non publiée j'ai (méchamment) écrit «les commentateurs sportifs politiques», changé en le tout aussi aimable «les commentateurs sportifs analystes politiques», le reste est inchangé. Ci-après, un petit commentaire sur ce texte.


En toute hypothèse, “Macron” (c'est-à-dire non pas l'individu Emmanuel Macron mais la poignée d'individus qui conçoit et met en œuvre ses décisions, et dont il fait partie ou non, je n'en sais rien) a estimé peu judicieux de dissoudre l'Assemblée nationale en juin 2023, pour bien des raisons dont certaines évidentes – dont: tenter de constituer une majorité absolue; éviter un laminage complet de la coalition présidentielle et par contrecoup l'émergence d'une majorité très à droite ou très à gauche; disposer d'un “bon motif” (ne pas renouveler l'expérience désastreuse de 1997, une dissolution qui apparaisse injustifiée et qui résulte en une abstention forte des potentiels électeurs “macronistes”) –, et s'il y en a de non évidentes je ne les connais pas plus que vous, ces trois là suffisent.

Pourquoi alors celle de juin 2024? En premier, parce qu'il y eut alors un “bon” motif avec guillemets et un bon motif sans guillemets: le “bon” motif est celui de la peur, celle de la “peste brune“, formellement un très mauvais “bon” motif, cela dit, puisque cette décision eut sur le coup, et encore par après (encore aujourd'hui), contre l'évidence, comme résultat de faire anticiper l'arrivée au pouvoir de cette “peste brune”; le bon motif est le constat, après deux ans de vacance du pouvoir (du vrai pouvoir, celui législatif), de l'impossibilité de construire une majorité.

Les véritables analystes politiques ne sont pas des commentateurs sportifs, ils s'intéressent à autre chose qu'au finalistes de la course à l'Élysée et à celui qui franchit le premier la ligne d'arrivée, ils essaient de déterminer comment parvenir, dans un contexte défavorable, à créer une situation favorable à la réalisation d'un projet politique qui n'a pas réussi à s'établir et s'imposer malgré les apparences d'une certaine réussite. Et c'est ce qui advint en juin 2024: créer la situation d'une «chambre introuvable» inverse de celle de 1815, à laquelle celle de 2017 ressembla fort, non pas une désastreuse majorité absolue formelle contradictoire aux aspirations du pays réel mais une impossible majorité législative dans une configuration telle que que l'Exécutif puisse sans aucun risque constituer un gouvernement formé par le plus minoritaire parti issu des élections et la frange minoritaire de la coalition présidentielle. Avec l'hypothèse, qui semble hélas devoir se vérifier, que ça créerait à terme (un terme assez court) les conditions favorables à l'instauration d'une “dictature douce” (ou molle) censée préserver les institutions de la “chienlit”, celle “d'extrême-droite” ou celle “d'extrême-gauche”, ce qui censément justifierait une sorte d'état d'exception, qui laisserait à cet Exécutif les mains libres pour imposer contre les institutions même son programme politique.

Dictature douce ou molle, manière de dire: une dictature est toujours dure, mais peut en un premier temps se donner les apparences, sinon de la douceur, du moins de la modération: nous suspendons “provisoirement” les libertés publiques et privées pour “rétablir l'ordre républicain”, c'est “dans l'intérêt du pays” donc dans l'intérêt de tous.

Je publie ce billet et ce commentaire plus comme témoignage que comme instrument d'un hypothétique “éveil des consciences”: se savoir assez exact dans une analyse c'est aussi savoir que ça n'a aucune utilité. Comme l'écrivit un analyste brillant de la situation de son pays en 1936 et de celui voisin qui se préparait alors à s'annexer le sien:

«Ce sont toujours les contemporains d’une époque donnée qui connaissent le moins cette époque. Les événements les plus importants se déroulent sous leurs yeux sans éveiller leur attention et presque jamais les heures vraiment décisives ne trouvent dans leurs chroniques la considération qui conviendrait» (Stefan Zweig, Conscience contre Violence, ou Castellion contre Calvin, 1936).

Il parle dans cette partie du livre d'un «procès-verbal du Conseil de Genève du 5 novembre 1536» qui fut l'instant décisif pour donner, d'abord provisoirement (1536-1538) puis définitivement (de 1541 à sa mort), un pouvoir absolu sur la cité et sur la vie (et la mort) des citoyens de Genève à Jean Calvin, et il parle aussi, c'est l'objet du livre, d'un contemporain de Calvin,  Sébastien Castellion, qui sut très bien comprendre quels furent «les événements les plus importants se déroul[a]nt sous [ses] yeux [et] éveill[ant son] attention». Stefan Zweig en parlait d'autant plus à l'aise qu'il fut un Castellion de son époque, une rare voix (une rare voix audible, celles inaudibles ne comptent pas en ces circonstances) tentant d'éveiller les consciences, d'abord en 1916, en pleine Première Guerre mondiale, ensuite dans ces années 1932-1936, durant la montée de l'hitlérisme et l'instauration de la dictature nazie. Et puis? Les consciences endormies ne veulent pas qu'on les éveille mais il est toujours utile de montrer qu'elles le peuvent, qu'elles l'auraient pu, si elles se donnaient la peine de retenir les leçons du passé, et qu'hélas le plus souvent elles ne le veulent absolument pas. Il n'est pire aveugle...

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