Où sont donc les barbares ? Sont-ils du côté de ceux qui cassent les vitrines, les abris-bus ou les véhicules des quartiers riches de la capitale, où sont-ils du côté des civilisés qui chaque jour cassent le lien social indispensable à toute relation humaine dans l’organisation de la société ? « Si nous étions forcé à l’option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares. » Victor Hugo 1
Comment des salariés-es d’administrations ou de grandes entreprises de droit privé, exerçant des fonctions de services publics peuvent considérer les citoyens de ce pays avec autant de mépris, de désinvolture et un tel esprit de zèle, lorsqu’il s’agit de rendre la vie encore plus difficile ? Même dans les syndicats, dans les partis politiques, dans les fondations, les mutuelles ou les grandes associations d’utilité publique ou d’intérêt général, ce phénomène est également présent.
La froideur des normes et des règlements tatillons jusqu’à l’absurde conduit des êtres humains à se comporter comme des prédateurs passifs, - voire très actifs dans le cas de la police, - envers d’autres êtres humains. Notre société n’a donc plus la moindre once d’humanité dans ses rapports du quotidien ? Chaque jour l’actualité ou les simples difficultés de la vie renvoient cette triste réalité.
Dans les organismes sociaux, les consignes pour rendre la vie des assurés plus compliquée sont ordonnées. Le pire c’est qu’elles sont respectées, voire appliquées avec zèle. La trouille de la sanction a eu raison du nécessaire bon sens humain. La méchanceté froide remplace peu à peu l’empathie et la gentillesse. L’écran a remplacé, la parole, le contact humain et le regard des yeux humides que des cernes soulignent douloureusement. Dès lors, caché derrière son logiciel de courrier ou son traitement de texte le ou la quidam se croit autoriser de mépriser celui ou celle qui recevra son verbiage insipide, méchant par lâcheté et déshumanisé par la normativité.
La bêtise remplace peu à peu le bon sens et nous devons accepter l’inacceptable. « Je fais bien mon travail » répliquent les inconscients qui se sentent mis en cause. Cette phrase aux couleurs de fascisme, de totalitarisme de nazisme même, résonne chaque jour sans que l’on s’en émeuve, renvoyant dans le mur le demandeur d’emploi qui voit ses indemnités supprimées, l’assuré social qui n’aura pas de remboursement, ou l’étranger qui n’a pas la bonne couleur de peau. Du nazisme oui, il s’agit bien de cela lorsque l’on fait si bien son travail à ce point sans autre forme de conscience que l’absurdité qui conduit au désastre, voire au suicide sur le lieu de travail. Comment résister face à la bêtise, à l’ignorance d’une souffrance même lorsqu’elle vous crève les yeux.
L’absence de libre-arbitre, d’esprit critique ou de simple indignation est devenu le modèle à suivre. Les journalistes des plateaux de télévisions ou de radios du service public font bien leur travail lorsqu’ils ignorent volontairement face à la répression policière, les éborgnés, les amputés les blessés et les morts ou orientent leurs questions du genre ou : « est-ce si absurde de considérer que vivre plus longtemps peut s’accorder avec travailler plus longtemps ? » Les petits cadres font bien leur travail à Pôle emploi où tout est organisé afin de réprimer, soupçonner, et finalement maltraiter les privés d’emploi. Les fonctionnaires préfectoraux font bien leur travail lorsqu’ils affichent la règle normative face à la demande d’asile. Se retrouver dans une banque, en face d’une gamine de trente ans à peine, qui sûre de son fait vous donnera des leçons de vie sur votre épargne, votre retraite ou votre manière de vivre est tout simplement insupportable. Tout cela parce que la gamine a été formatée, comme nos petits journalistes des matinales radiophoniques, comme les petits fonctionnaires ministériels qui fomentent les sinistres projets d’une société à la dérive qui a perdu tout sens commun.
Face à cette médiocrité ambiante, une autre gamine de seize celle-là a réussie à faire enrager les donneurs de leçon et toutes « ces têtes à claques » qui vomissent leur fiel sur les écrans colorés de ce pays devenu si gris. Elle a osé l’émotion vraie, intacte. Pas cette émotivité du fait divers sordide sur laquelle l’actualité va se concentrée ; Non une vraie émotion, juste humaine avec de simples mots qui renvoie les puissants à leurs rêves d’enfants. Insupportable était ce sentiment pour les éditocrates et le flot de méchanceté, de cynisme et d’insultes qui s’en est suivit est édifiant. La petite suédoise a fait mouche !
En regard de cela, les contorsions du gouvernement face à la catastrophe industrielle de Rouen, qui une fois encore tente la froideur de la langue de bois, ou s’autorise sa propre émotivité alors que sa responsabilité est avérée, devant les micros médiatiques, ne font plus recettes. La bureaucratie normative et les éléments de langages ont ceci de paradoxal que nous assistons dans ce pays, à la politique ultra-libérale la plus débridée qui soit, à une forme de fonctionnement digne des grandes heures de l’ère soviétique. Osons la mauvaise blague !
Le capitalisme c’est l’exploitation de l’homme par l’homme et le stalinisme c’est l’inverse.
1 - Les Misérables (Victor Hugo) extrait :
Le faubourg Saint-Antoine est un réservoir de peuple. L'ébranlement révolutionnaire y fait des fissures par où coule la souveraineté populaire. Cette souveraineté peut mal faire; elle se trompe comme toute autre; mais, même fourvoyée, elle reste grande.
En 93, selon que l'idée qui flottait était bonne ou mauvaise, selon que c'était le jour du fanatisme ou de l'enthousiasme, il partait du faubourg Saint-Antoine tantôt des légions sauvages, tantôt des bandes héroïques.
Sauvages. Expliquons-nous sur ce mot. Ces hommes hérissés qui, dans les jours génésiaques du chaos révolutionnaire, déguenillés, hurlants, farouches, le casse-tête levé, la pique haute, se ruaient sur le vieux Paris bouleversé, que voulaient-ils?
Ils voulaient la fin des oppressions, la fin des tyrannies, la fin du glaive, le travail pour l'homme, l'instruction pour l'enfant, la douceur sociale pour la femme, la liberté, l'égalité, la fraternité, le pain pour tous, l'idée pour tous, l'édenisation du monde, le Progrès; et cette chose sainte, bonne et douce, le progrès, poussés à bout, hors d'eux-mêmes, ils la réclamaient terribles, demi-nus, la massue au poing, le rugissement à la bouche. C'étaient les sauvages, oui; mais les sauvages de la civilisation.
Ils proclamaient avec furie le droit; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l'épouvante, forcer le genre humain au paradis. Ils semblaient des barbares et ils étaient des sauveurs. Ils réclamaient la lumière avec le masque de la nuit.
En regard de ces hommes, farouches, nous en convenons, et effrayants, mais farouches et effrayants pour le bien, il y a d'autres hommes, souriants, brodés, dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches, en gants jaunes, en souliers vernis, qui, accoudés à une table de velours au coin d'une cheminée de marbre, insistent doucement pour le maintien et la conservation du passé, du moyen-âge, du droit divin, du fanatisme, de l'ignorance, de l'esclavage, de la peine de mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le sabre, le bûcher et l'échafaud.
Quant à nous, si nous étions forcés à l'option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares.
Mais, grâce au ciel, un autre choix est possible. Aucune chute à pic n'est nécessaire, pas plus en avant qu'en arrière. Ni despotisme, ni terrorisme. Nous voulons le progrès en pente douce. Dieu y pourvoit. L'adoucissement des pentes, c'est là toute la politique de Dieu.