Les salariés de l’Usine Fralib à Gémenos (13) près de Marseille luttent pour sauver les 182 emplois dans leur usine de production de sachets de thé, que le groupe de grande distribution veut fermer pour mieux délocaliser. Leur première réaction: trouver une solution alternative à l’inacceptable décision d’actionnaires lointains et maintenir la pression en observant ce 4 mai une nouvelle journée d’action.
Article publié dans la Nouvelle Vie Ouvrière
Comme un cauchemar récurrent.
Les voilà replongés au cœur de douleurs passées, revivant le déchirement de quitter la région natale, de laisser familles, amis, souvenirs, là-haut, à mille kilomètres.
Pour plus d’une cinquantaine de salariés de l’usine Fralib de Gémenos, entre Marseille et Aubagne, ce mauvais goût revient et le cauchemar recommence. A la fin des années 90, leur employeur, le groupe Unilever, propriétaire de Fralib qui produit les sachets de thé Lipton, leur a promis l’Eldorado. En Provence. Pour garder leur emploi, ils ont tout laissé au Havre. Passer d’un océan à la mer, d’un port à l’autre, de la Normandie à la Provence pourrait augurer d’une meilleure vie. La carte postale n’est pas si reluisante, mais au moins pour ces cinquante-quatre-là, l’emploi a été sauvé. Le temps de s’installer, de se reconstruire, de s’intégrer dans une autre culture… Entendre un autre accent, si chantant soit-il, n’est jamais aisé ; se faire de nouveaux amis non plus, mais la vie poursuit son chemin. Et puis il y a le travail. Vital. Tout cela prend du temps. A eux, il bien fallu treize ans pour apaiser le cœur et trouver là un pays…
Et soudain, le 28 septembre dernier, la nouvelle tombe. Unilever étudie la délocalisation de la production de Fralib en Pologne et en Belgique. Les 182 emplois de Gémenos sont menacés. Après six semaines de grève pour obtenir une augmentation des salaires et conserver une mutuelle au printemps 2010, c’est pour garder l’usine et les emplois qu’ils doivent lutter à présent. Du courage, ils en ont à revendre. De l’espoir, ils savent le reconstruire. Quant à la volonté, ils ont démontré par l’originalité de leurs actions qu’ils étaient capables de faire trembler la toute puissance économique. « Au niveau mondial, en 7 ans (2001-2007), 13,7 milliards d’euros de dividendes ont été versés aux actionnaires qui les ont empochés sans rien faire. Unilever France a fait remonter 750 millions d’euros de dividendes en 2008, après 300 millions en 2007, à sa maison mère », exposent les représentants du syndicat CGT.
En mars et avril dernier, c’est en partant de ce constat qu’ils ont soigneusement vidés les rayons de supermarché des produits Unilever dans toute la région marseillaise. Sans casse, sans violence, ils ont su populariser leurs actions. Face à un géant aux profits faramineux, les salariés de Fralib ne baissent pas les bras, aujourd’hui pas plus qu’hier. Pour l’intersyndicale CGT, CFE-CGC, soutenue par la majorité du personnel, l’heure n’est pas à négocier une somme d’argent pour quitter un travail qu’ils ne feront plus. L’heure n’est pas non plus à la grève longue. Il faut produire ce que l’on peut tant que la direction s’y emploie et surtout il faut une alternative. Il y a 182 emplois à conserver et un savoir-faire vieux de 118 ans. Car l’usine de Gemenos abritait autrefois la production de la célèbre marque Eléphant.
Rachetée par Unilever, elle s’est modernisée pour devenir rapidement un pôle de production pour toute l’Europe de l’Ouest. Pour le syndicat CGT, il est clair qu’Unilever fait des choix stratégiques depuis longtemps, contre l’emploi et la production locale. Pour quelle autre raison le niveau d’investissement a-t-il été aussi faible ? Sur les 85 millions d’euros d’investissements seulement 6% ont été attribués à Gémenos alors que l’usine polonaise en récupérait 42%. Depuis cinq ans, seulement 5 millions d’euros ont contribué à la modernisation de l’usine provençale.
Unilever et le tour de passe-passe fiscal
Dans le document diffusé à l’intérieur et désormais à l’extérieur de l’entreprise, les représentants du personnel expliquent la stratégie financière et fiscale du groupe;
« La réorganisation d’Unilever et l’installation de son centre opérationnel en Suisse lui permet de passer à travers la fiscalité française et ainsi de priver chaque année, depuis 2007, la collectivité nationale de 67 millions d’euros en toute impunité. En acceptant la fuite fiscale, en laissant Unilever poursuivre la casse de l’emploi et les délocalisations en Belgique et en Pologne, en démultipliant les cadeaux au patronat, le Gouvernement collabore à des politiques patronales de destruction du potentiel agroalimentaire national »
Ainsi Unilever fabrique et commercialise en France et dans le reste de l’Europe mais déclare ses revenus en Suisse sans que l’Etat français s’en émeuve.
Selon le syndicat, la société USCC a été créée en 2007 et depuis, enregistre des bénéfices de l’ordre 200 millions d’euros chaque année. Eviter la déclaration de tels résultats sur le territoire français, évite au groupe Unilever d’avoir à payer 67 millions d’Impôts. « Nous aimerions bien que la cours des comptes se penchent sur genre d’informations, mais visiblement cela ne dérange personne, alors que l’on nous promet de fermer notre usine ! » souligne Olivier Leberquier secrétaire du Syndicat CGT chez Fralib.
Les salariés proposent une alternative
La proposition des représentants du personnel est simple : « Nous avons, une usine, un savoir faire, une marque (Eléphant NDLR) et 182 salariés qui connaissent leur travail », prévient Olivier Leberquier, devant une trentaine de salariés inquiets et réunis pour l’heure d’information syndicale. « C’est cela que nous devons porter. La forme juridique que prendra cette activité, ce n’est pas à nous de la définir aujourd’hui. Mais cette usine, elle est à nous et nous pouvons étudier avec l’aide d’experts toutes les solutions que l’on nous proposera. Même si Unilever finit par proposer de conserver l’usine », insiste le délégué. Les premiers à être sollicités sont les élus locaux. Député, conseiller général ou conseiller régional ont été contactés par les élus du personnel.
Les exemples d’aide à la reprise d’une activité industrielle ne manquent pas.
En Poitou-Charentes où le conseil régional à investit chez Heuliez ; En Rhône-Alpes où la région a créé un fonds de garantie pour l’aide aux repreneurs. L’usine Rieter, devenu Ritme est restée dans les mémoires à Valence. Et puis il y a les luttes plus récentes et plus proches du site provençal qui ont connu un dénouement heureux, comme sur le port de Marseille avec l’Union Naval Marseille (UNM), champion de la réparation navale, ou encore la lutte des cheminots de Miramas qui a permis de maintenir le triage et les emplois.
Dans la salle de réunion située juste au dessus des chaînes de production Fralib, les salariés présents sont inquiets. Ils aimeraient des promesses, des engagements ou des certitudes que leurs délégués ne peuvent pas leur donner. Si personne ne conteste l’idée de faire vivre la marque Eléphant, nombre de salariés s’inquiètent des rumeurs propagées dans l’entreprise. « Si personne ne veut reprendre l’activité, est-ce qu’on pourra quand même négocier le plan social », demande l’un d’eux. « Il sera toujours temps de le faire », répond le délégué. « ça peut être long, mais il ne faut pas commencer par jeter l’éponge. Nous devons d’abord étudier toutes les solutions qui permettent de maintenir les 182 emplois. L’argent d’un plan social est top vite dépensé. On rembourse les dettes en premier. Ensuite on change de voiture et en quelques mois il n’en reste plus rien… », prévient Olivier Leberquier, qui a traversé l’expérience du Havre. Il rappelle les noms de ceux qui ont tout perdu, ou de ceux qui ont cru faire une bonne affaire, il y a treize ans. L’illusion n’aura duré que le temps d’un espoir. Quelques mois, avant de se retrouver avec une pension minable et des dettes abyssales. Dans cette lutte qui dure depuis plusieurs mois, les salariés tiennent à garder la tête froide. Faire vivre la marque Eléphant est une partie de bras de fer avec le groupe Unilever. . « Il faut attaquer Unilever là où ça fait mal », déclare Gérard Cazorla, élu CGT au comité d’entreprise : « au porte-monnaie ! ». Le groupe Unilever qui a réalisé en 2009 un bénéfice net de 3,66 milliards, estime aujourd’hui que la marge financière de cette unité n’est pas suffisante pour la conserver. Les actionnaires en veulent plus, alors que coût du travail dans une boite de sachets de thé vendu à 1,80 euros produit à Gemenos représente, cotisations totales 16 centimes d’euros d’après une étude réalisée par le syndicat CGT.
Les salariés ont donc proposé au début de leur lutte, de lancer un appel au boycott des produits Lipton. A suivre...
Info de dernière minute. Le Comité d'Entreprise dénonce la pratique de l'employeur (Fralib) qui ne fourni toujours pas les documents exigés par les élus du personnel. Or, ces pièces manquantes sont nécessaire à l'avis du CE puisqu'elles doivent justifier, par des réponses précises et argumentées les raisons qui pousse Unilever à arrêter la production sur le site de Gemenos.
Dans un communiqué, la direction par la voie du Président du Comité d'entreprise de Fralib indique que le refus du CE de donner un avis repousse la décision d'un arrêt d'activité au 31 juillet 2011 pour laisser le temps à une cellule de reclassement de faire son travail.