Alors que la saison théâtrale touche à sa fin en ces chaleurs de juin, les représentations de « Mai, Juin, Juillet » écrit par Denis Guenoun et mis en scène par Christian Schiaretti au Théâtre National Populaire se révèlent être bien plus que le simple récit de mai 68 au sein du monde culturel. La création artistique au théâtre lorsqu’elle s’inscrit autant dans l’actualité devient alors plus explicite qu’un journal.
Faire le choix d’un spectacle. Réserver sa place. Aller au théâtre le soir, au TNP en l’occurrence, avec toujours l’immense joie de s’asseoir au milieu d’une foule intelligente, attentive, presque silencieuse dans cette magnifique salle Roger Planchon où, tout a été conçu pour le confort du public et la rencontre avec les artistes. Avoir la chance inouïe d’être assis sur les premiers rangs, à hauteur humaine, tout près du plateau, au point de faire presque partie de l’histoire qui est racontée. Ce plaisir simple, sublime, est également un acte, car il porte en lui l’envie d’apprendre de découvrir, de ressentir bien plus qu’une histoire. Il met à disposition des artistes du plateau, des techniciens, du metteur en scène et de l’auteur une place de cerveau disponible comme dirait l’autre.
Christian Schiaretti, Denis Genoun, la troupe du TNP et les artistes de la maison des comédiens ont réussi à sublimer cet acte au-delà du simple plaisir. Mai, Juin, Juillet est une œuvre belle et enrichissante, qui au moment de sa création en 2012, possédait en elle le ferment politique d’un espoir dans lequel le peuple de gauche se reconnaissait. Le spectacle résonnait alors comme un apprentissage intellectuel nécessaire qui nous ramenait au passé emprunt de la nostalgie de 1968, avec la volonté d’un véritable changement de société d’aujourd’hui. C’était déjà splendide et riche de sens.
Trois ans plus tard, le texte de Denis Guenoun et la mise en scène de Christian Schiaretti ont encore plus de fraîcheur et d’humour, - les jeux de Stéphane Bernard et de Philippe Vincenot dans les rôles, entre autre, de Malraux et De Gaulle sont jubilatoires - et viennent nous rappeler que l’histoire est un éternel recommencement. Notre besoin de changer la société en profondeur est plus que jamais d’actualité et la culture est au cœur de ce besoin, même si l’espoir à une fâcheuse tendance à s’éclipser en ce moment. Denis Guenoun exprime un vœux : « Ce que je voudrais essayer de communiquer, par quoi je voudrais un peu contaminer les acteurs et si possible le public, ce serait d’une forme paradoxale de confiance, de confiance à travers l’échec. Une confiance dans la puissance d’invention de l’histoire. ». C’est réussi Monsieur Guenoun !
Dans sa première partie, « Mai, Juin, Juillet » démontre qu’une Révolution ne se décrète pas. Ce n’est pas un mouvement dans lequel se mêlent tout et n’importe quoi, de la plus généreuse idée au jugement le plus définitif, même lorsque ce sont les acteurs culturels aux brillants esprits qui prennent cette initiative. La Scène de la réunion de Villeurbanne le 21 mai 1968 a ceci d’édifiant et l’on ne peut s’empêcher de comparer ce qu’échangeaient les directeurs des centres dramatiques nationaux de l’époque avec les pratiques de leurs successeurs d’aujourd’hui.
Sont-ils devenus autres choses que ce qu’ils dénonçaient à l’époque, à savoir des gestionnaires, qui priorisent leurs propres créations, grâce au pouvoirs qu’il possèdent au détriment des autres artistes plus petits et ne possédant pas les mêmes ressources pourtant publiques ? Ne sont-ils pas devenus patrons d’industrie dans laquelle la précarité rayonne à tous les étages de cette Culture si arrogante parfois ? Précarité des subventions de l’état et des collectivités locales, précarité des productions, des créations comme des compagnies, précarité des théâtres et pour finir précarité des artistes au bas de l’échelle forment ensemble le système dans lequel toute la culture du spectacle vivant fonctionne.
Les tutelles, (Drac, Région, Villes) organisent ce système avec un certain cynisme tout en se renvoyant la responsabilité. C’est ainsi que la ville de Lyon abandonne les résidences d’artistes en milieu scolaire prétextant d’une baisse des dotation d’un Gouvernement qu’elle soutien. De leurs côtés, la plupart des programmateurs, malgré leurs contestations rarement énergiques, appliquent selon leurs propres critères de gestion, des règles qui fragilisent les artistes et les techniciens dans un opportunisme malsain, mais toujours dans l’intérêt de l’institution qui tantôt menace, tantôt récupère la qualité. Résultat la prise de risque artistique ou l’innovation se heurte aux rigueurs de gestion et c’est comme cela que certains massacrent « Lucrèce Borgia » ou « Les fourberies de Scapin », qui certes remplissent les salles, mais pour quelles traces laissées dans les esprits ? Le néant, le vide si ce n’est le souvenir du son et des lumières. Le grand show fait-il sens dans ces conditions ? Victor Hugo ou Molière ne méritent-ils pas mieux ?
Ces questions, certes d’initiés forment pourtant le nœud qui empêche l’égalité d’accès à une culture diversifiée et éducatrice. Finalement à l’inverse de ce que propose aujourd’hui le TNP, la plupart des théâtre régionaux ou centres dramatiques nationaux ont renoué, peut-être malgré leur volonté, avec une culture élitiste dans laquelle se conjuguent rentabilité économique et précarité. Pour changer cela, il faut du courage politique et malheureusement la période et ce Gouvernement qui se dit socialiste en manquent singulièrement.
En cette période de bouleversements, la pensée devrait être structurée, disséquée, hiérarchisée avec des priorités soucieuses du besoin populaire. C’est l’inverse qui se produit, l’émotivité du fait divers reste la priorité des politiques dans un temps conditionné à l’immédiateté et à la sacro-sainte efficacité économique. Résultat, c’est le bordel ! Certes en 68 c’était un joyeux bordel, mais un bordel quand même. Aujourd’hui ce même phénomène se reproduit dans l’expérience du Front de Gauche par exemple, mais ce dernier est triste pathétique et aphone et comme en 1968 provoque incompréhensions, regrets et aigreurs.
Ce sont ces mêmes bleus à l’âme que l’on retrouve dans « Mai, Juin, Juillet » au travers de l’échange entre Jean Vilar et Jean-Louis Barrault, magnifiquement interprétés par Robin Renucci et Marcel Bozonet. L’émotion est forte, la gorge se serre devant l’impossible dialogue entre deux générations lorsqu’elles ne se comprennent pas. L’éternelle ingratitude d’une jeunesse qui se radicalise devant le mépris que lui affiche l’institution serait-elle donc toujours inéluctable ? Les artistes sont-ils condamnés à en être les victimes expiatoires ?
Barrault triste et désemparé dans son théâtre de l’Odéon, symbole du pouvoir politique, occupé par les étudiants incapables de définir une pensée collective. Vilar tout aussi triste et désemparé face aux jeunes devant la grille d’entrée de son festival populaire - qu’il était à l’époque – dans un dialogue de sourds où même sa personne n’est pas respectée.
Jean Vilar, Jean-Louis Barrault par Robin Renucci et Marcel Bozonet. Quelle affiche ! Ces deux derniers nous ravissent de leurs talents depuis plusieurs saisons au TNP. Deux immenses comédiens et metteurs en scène qui subliment tour à tour le mot Populaire dans chacun de leurs actes culturels. Seraient-ils eux-mêmes les Vilar et Barrault d’aujourd’hui ? Seraient-ils si près de leurs personnages ? Pourquoi pas après tout, tant leurs parcours respectifs sont authentiques. Dans cette rencontre, le talent de Christian Schiaretti se caractérise. Il est humain. Le metteur en scène crée à chaque nouvelle rencontre artistique le mélange de personnalités, de voix, de silhouettes qui sauront habiter les personnages. Performance encore plus grande lorsque ce sont une quarantaine de personnes qui se mélangent ainsi au plateau.
Ce choix, certes avec les moyens qu’il exige est aussi une généreuse réponse à la difficulté de vivre aujourd’hui pour des dizaines d’artistes. En tant qu’employeur et parce qu’il en a les moyens, le TNP à travers ce choix donne un bel exemple de soutien à ces artistes si mal traités dans notre société d’aujourd’hui. « Mai, Juin, Juillet » est né avec l’espoir formidable et immense de 2012 et de jours meilleurs pour la culture et les artistes. Il a dû survivre en Avignon en 2014 dans des conditions difficiles et avec la déception d’un pouvoir politique qui a trahi ses plus fidèles soutiens que sont les créateurs et les inventeurs d’histoires.
Ce n’est certainement pas avec le cynique mea culpa du premier ministre sur la baisse du budget de la culture, devant les stars du cinéma au festival de Cannes, ni même avec la loi en forme de coquille vide sur le régime des intermittents du spectacle, discutée en ce moment par des parlementaires godillots que nos espoirs pourront revivre. Au contraire de cela, la politique, ou plutôt l’absence totale de politique culturelle que le pays subit aujourd’hui sont les éléments d’un désespoir immense qui fait le lit du fascisme et de l’obscurantisme. Sans culture, les comportements et les pensées les plus primaires refont surface.
Dans « Mai, Juin, Juillet », le dialogue magnifique et énergique entre la Poésie et la Révolution rappelle au travers de deux femmes resplendissantes (Clémentine Verdier et Julie Brochen), que la pensée ou l’acte politique doit se nourrir en permanence de la culture. L’autre mauvais spectacle que nous donnent aujourd’hui l’exécutif et le personnel politique de ce pays à de quoi nous laisser songeur… Du coup, programmer à nouveau « Mai, Juin, Juillet » en cette fin de saison au TNP, en coproduction avec les Tréteaux de France et en pleine tempête sous nos crânes engourdis est un acte courageux d’éducation populaire. Remercions Christian Schiaretti pour cela, car le théâtre une fois de plus est un moment politique au sens le plus noble du terme, qui nous rappelle combien il est important qu’une société regarde son miroir bien en face. Le théâtre est ce miroir et il souhaitable qu’il soit bien astiqué.
http://www.tnp-villeurbanne.com/manifestation/mai-juin-juillet-mai-juin-14-15