Près d’Annemasse, le chimiste Allemand Bayer, géant pharmaceutique, s’apprête à céder son activité industrielle. C’est là, sur le site historique de Gaillard que se produisent des médicaments connus de tous comme l’Aspro, le Rennie ou encore la Supradyne. Face à cette décision les salariés ripostent.
Article publié dans la Nouvelle Vie Ouvrière du 6 mai 2011
Dans le restaurant d’entreprise, l’atmosphère est un peu tendue. Le lieu est moderne, mais sans excès et très fonctionnel. Il est révélateur du niveau de richesse de l’entreprise. C’est la mi-journée. L’heure du changement d’équipes pour les salariés de Bayer du site Gaillard, près d’Annemasse (74). En deux séances, près de 130 personnes seront venues assister à l’assemblée générale proposée par le syndicat CGT. Toutes les catégories sont représentées. Cadres, agents de maîtrise ou employés ont tenu à avoir une version plus syndicale de leur avenir. Parmi les salariés, réunis en assemblée générale, il y a des membres de la direction. Une sorte d’intimidation qui n’effraie pourtant pas les délégués CGT.
« Vous n’avez rien à m’interdire »
Jean Pierre Bouvier annonce le résultat de l’analyse syndicale : « Nous refusons de signer un protocole d’accord. Nous refusons le plan industriel qui nous est proposé et nous allons engager un droit d’alerte. C’est la mise en danger du territoire qui sera le résultat de cette cession. Nous ne l’accepterons pas ! » Résume le secrétaire du syndicat CGT du site de Gaillard. La direction est prise d’un mouvement de panique qui se lit sur les visages. Au moment où Stéphane Tourneux prend la parole, elle tente l’intimidation. « Vous n’avez pas le droit de vous adresser aux salariés » s’essaye la DRH. La réponse du coordinateur CGT sera cinglante. « Je suis représentant CGT au sein du Groupe Bayer. Je suis ici chez moi au même titre que n’importe lequel d’entre nous. Vous n’avez rien à m’interdire et moi, je vous interdis de licencier 400 personnes ! » Dans la salle, une rumeur parcoure le personnel présent. Des sourires se lisent sur les visages. Cette fois l’intimidation de la direction a fait un bide. Elle a trouvé du répondant. Preuve que c’est possible. Il n’empêche, l’attitude des dirigeants en dit long sur les pratiques qui ont lieu à Gaillard. A la fin de l’AG, les salariés sortant de la réunion passent devant Stéphane Tourneux en le remerciant chaleureusement.
La cause de tout ce mouvement se trouve dans un document de 74 pages dans lequel le groupe Bayer décrit l’éventuelle cession partielle du site. Le document a été remis en toute légalité aux membres du comité central d’entreprise. Dans les soixante-dix premières pages il est rappelé la bonne santé financière du groupe et de l’entreprise. Tout au long de ces pages il est surtout question d’une concurrence féroce sur le marché pharmaceutique et d’une compétitivité ralentie. C’est l’argument du profit qui est retenu pour expliquer dans les 5 pages qui restent, qu’il faudrait revendre l’activité à un repreneur qui n’a pas encore de nom…
Dans un premier temps, la nouvelle n’a pas créé d’émotion particulière. Le site Gaillard a connu par le passé, nombre de changements de propriétaires.
Cette fois, c’est différent. Seule l’activité industrielle est concernée, pas la recherche. Pour résumer, le groupe Bayer envisage de revendre toute la production à un façonnier qui devra se plier aux règles du groupe.
Par le passé ce genre de méthodes a déjà fait ses preuves. Dans la chimie notamment et chez Ciba en particulier sur le site de Saint Fons (69) en 2006 (NVO Rhône-Alpes du 17 novembre 2006). La revente de l’activité au groupe américain Huntsman s’est soldée par une remise en cause de tous les accords collectifs au bout des 15 mois légaux, pour finir en plan social dans les mois qui ont suivi. A l’époque près de 20 millions d’euros prévus pour cette opération ont été provisionnés par Ciba. Huntsman n’a eu qu’à faire le sale boulot. Aujourd’hui cette usine est devenue une friche industrielle.
Même histoire pour Sanmina à l’Isle d’Abeau, où le groupe Helwett Packard a également revendu son activité pour mieux se débarrasser du personnel. Cette fois ci, la justice a rendu raison aux salariés, mais plusieurs années après la fermeture de l’établissement.
Sous-traité le plan social
Dans le cas de Bayer, il est à craindre que ce soit la même façon d’agir. Bayer pourrait sous-traité le plan social par un repreneur savamment choisi et rémunéré. C’est en tout cas le message que sont venus apporter ce jour là, Bruno Bouvier secrétaire général du comité régional CGT Rhône-Alpes, Jean Paul Larese secrétaire général de l’UD CGT 74, et Stéphane Tourneux, le coordinateur CGT pour le groupe Bayer. La mise en garde de ces responsables CGT avait valeur de pédagogie. Quelques heures avant cette fameuse AG. Ensemble avec l’aide du cabinet Sécafi et les représentants des salariés, une stratégie a été mise au point. Outre la réaction du coordinateur CGT en AG, les délégués et élus du personnel auront également profité du regard de militants avec plus de recul. L’expérience d’autres pratiques similaires, le choix des arguments et la nécessaire pédagogie qui a été choisie, sont autant d’aides précieuse que le syndicat de l’entreprise va pouvoir mettre au profit de ses décisions.
Un tabouret à trois pieds
Ainsi, le droit d'alerte permet de poser les bonnes questions, notamment lorsque des lignes de fabrication sont déjà délocalisées en Espagne. Ou encore pour quelles raisons les investissements ont-ils été réduits au cours de ces dernières années ? Comment conserver une activité de recherche, sans procédé industriel annexe, puisque celui-ci doit être cédé ? Parallèlement à cette action le syndicat s’est mis en tâche pour trouver une solution alternative au projet de la direction du groupe. « C’est comme un tabouret à trois pieds » explique Bruno Bouvier du comité régional, aux élus CGT de l’entreprise : « vous devez mener votre action en utilisant trois ressources. L’action syndicale, l’action juridique et l’action économique » précise Bruno. Si l’action syndicale mise en œuvre bénéficie de l’aide de militants bien organisés, l’économique s’appuiera sur l’aide précieuse des experts de Sécafi et le juridique grâce au recours d’un avocat spécialisé. Quand à l’information, la NVO s’engage à suivre depuis le début, l’épopée du site de Gaillard. Nous en rendrons compte régulièrement dans les prochains mois. A suivre !