Fin novembre le Parlement a adopté une loi régissant l’utilisation des semences de fermes. Entre taxe et interdiction ce texte remet en cause la liberté de produire et de replanter les semences par les paysans. Le monde agricole devient ainsi, aussi fou que l’industrie sur fond de rentabilité financière. On marche sur la tête en oubliant la terre.
Article publié dans la Nouvelle Vie Ouvrière du 13 janvier 2012
Le monde ouvrier s’apparente au monde paysan. Dans les deux cas, le travail est source de vie et soumis aux mêmes turpitudes et surtout aux mêmes diktats imposés par la rentabilité financière immédiate. Ainsi quelle différence peut-il y avoir entre un groupe international propriétaire d’usine, qui décide d’augmenter ses dividendes en aggravant les conditions de travail, et un grand groupe agroalimentaire qui impose toujours plus de quantité en payant de moins en moins cher la production au paysan ? Le monde agricole nourrit la population et la politique capitaliste détruit ce qui fait l’agriculture. C’est peut être simpliste aux yeux de certains mais pourtant réel dans le quotidien des paysans comme dans celui des salariés de l’industrie.
Ainsi, lorsque Lactalis, industriel des aliments et produits laitiers impose l’augmentation d’une capacité de 100 000 litres supplémentaire à Daniel, producteur Auvergnat qui assure déjà 500 000 litres par an et qui peine à atteindre l’équilibre sur son prix de revient, ce dernier devra augmenter le nombre de bêtes et toutes les procédures d’une longue journée sans avoir l’assurance de gagner plus. Et pas question d’embaucher, il vit déjà avec des revenus en dessous du Smic. L’industriel n’en a cure et menace aussitôt de se fournir ailleurs. Le chantage à l’emploi et à la précarité fonctionne bien ainsi et s’enrichie de lois qui font la part belle à ces mêmes puissants groupes agroalimentaires.
Le Parlement vient ainsi de voter fin novembre une loi qui remet en cause une pratique ancestrale, basée sur des centaines d’années de fonctionnement agricole mais aussi sur la simple logique de la nature permettant à un végétal de transmettre sa propre semence que le paysan pourra à nouveau planter pour produire ainsi l’année d’après.
Redevance-racket
La loi adoptée dans la nuit du 28 au 29 novembre 2011 imposera ainsi une taxe, véritable redevance à payer par les agriculteurs aux semenciers industriels tel que Villemorin, Desprez ou pourquoi pas Monsanto ou RAGT pour les semences dites de fermes. Les paysans qui produisent, sèment, récoltent, replantent et échangent le fruit de leur travail depuis la nuit des temps se retrouvent ainsi pieds et poing liés à la merci des grands groupes industriels du secteur, pour une fois encore des enjeux de profits et de rentabilité financière.
Les lobbies fonctionnent à plein régime et les députés se retrouvent en situation de corruption intellectuelle et finissent par voter ce genre d’imbécillité.
Le profit jusqu’à l’absurdité
La loi propose également de restreindre le droit à ressemer, ne l’autorisant que sous forme dérogatoire, par décret et que pour certaines espèces. Les droits des agriculteurs se retrouvent ainsi bafoués et encore limités, alors que du côté de la recherche c’est là aussi la course au profit jusqu’à l’absurdité. Ainsi, la dernière chaire sur l’étude des sols à purement et simplement disparu de l’université de la Sorbonne à Paris. Une aberration supplémentaire qui est à mettre en lien avec les puissants lobbies là encore des industriels du secteur de l’engrais agricole. Comment par exemple, dans l’avenir, nos chercheurs pourraient-ils créer de nouvelles espèces résistantes sans savoir dans quels sols elles peuvent être utilisées ? De cela ni les députés, ni les ministres et encore moins les industriels n’ont à ce soucier puisque l’important c’est la rentabilité immédiate.
Le risque à terme sera de se retrouver avec une standardisation des cultures avec une réduction de la diversité génétique des plantes, véritable garant de la sécurité alimentaire face au risque de climatique ou pire en cas d’épidémie. 200 000 agriculteurs français sont ainsi concernés par cette loi. Ce monde qui marche sur la tête des agriculteurs, veut les empêcher de replanter les semences issues de leurs propres productions. Comme dans le monde industriel cette loi a été adoptée sans consultation des organisations syndicales. La Coordination rurale, la Confédération paysanne et d’autres organisations ont eu beau protester, rien y fait. On interdit, ou on taxe !
Les producteurs de lait ou de viande ont ainsi l’interdiction d’abattre leurs propres bêtes, pour leurs besoins personnels sans passer par toute la chaîne industrielle de l’abattage et engraisser au passage les intermédiaires.
Ainsi pour Jean Luc en Bourgogne nivernaise, qui élève une quarantaine de bête destinées à la viande, une fois le blé moissonné, qui devrait lui assurer un petit supplément de revenu, la coopérative du coin déduira les achats d’engrais, de semences ou de matériel pour une note finale proche de zéro. Du coup l’agriculteur a le sentiment d’être un fonctionnaire de l’Europe puisque ses revenus annuels définitifs correspondent à quelque chose près au montant de la subvention européenne… 8000 euros par an.
Partout dans les campagnes, la loi surveille, impose des règles absurdes toujours au profit des plus riches. Il n’y pas que dans les usines que le capital est devenu fou. Face à cela il y a des réponses comme la création du Lams.
L’alternative de Lydia et Claude Bourguignon
Comme le révélait le magazine Interdépendance dans son Numéro 83 du dernier trimestre 2011, ce laboratoire d’analyse microbiologique des sols est né de l’initiative d’un couple d’anciens chercheurs de l’institut national de recherche agronomique (Inra), opposés aux pratiques industrielles. Lydia et Claude Bourguignon parcourent ainsi le monde pour proposer des solutions au retour d’une terre naturelle, véritable matière vivante dont il faut tenir compte pour cultiver. Ils proposent ensemble la formation d’une nouvelle génération d’agronomes, sensibles à la microbiologie des sols en opposition totale avec ce qu’ils appellent les méthodes guerrières de l’agriculture intensive. Ainsi peut-être et grâce à ce genre d’initiatives personnelles, la terre pourrait-elle être plus généreuse partout. A condition toutefois, que l’on puisse y planter des semences librement produites et qui ne soient pas empoisonnées par le pognon ! Car celui là, il ne pousse pas en terre.
L'ensemble des photographies accompagnant cet article, publié sur 6 pages dans la NVO est consultable sur:
http://www.olivier-perriraz.com/2011/11/notre-nourriture-est-leur-travail.html
EN SAVOIR PLUS
A consulter, le site de Lydia et Claude Bourguignon
http://www.lams-21.com/