Bonjour (camarade) Jean Luc, je choisi le tutoiement par respect fraternel et par humanisme. Dois-tu te présenter en 2022 ? Répondre trop rapidement par un oui ou un non, ne me paraît pas être à la hauteur de cette grande question. Tu éclaires mon esprit, comme celui de beaucoup de citoyens depuis des années et je ne suis quasiment jamais en désaccord avec toi sur le fond. Je ne me laisse pas intoxiquer par les polémiques stériles sur tes emportements, tes coups de colère - bien légitime à mon sens - dans ce monde cynique où l'émotivité des évènements prend le pas sur la raison. Aussi cette idée de demander notre avis sur ta candidature, je la salue et en félicite l'initiative. Encore un bel exemple de démocratie qu'il ne faut pas laisser passer.
Pour autant, cette idée de participer - encore une fois - à cette comédie prétentieuse, ne me parait pas raisonnable. Non pas parce que ce serait toi ou un-e autre, mais parce que je pense qu'il faut décrédibiliser cette V ème République et son représentant devenu monarque. Cette élection devenue la seule boussole des commentateurs et de ceux qui font la politique n'est plus la boussole du peuple depuis longtemps. La dernière comédie de 2017 a quand même été l'aboutissement de ce que les trahisons politiques et intellectuelles peuvent créer. Se terminer avec l'élection d'une marionnette aussi ridicule et dangereuse, dont le discours général fut aussi vide d'idées et rempli d'autant d'air, est quand même édifiant.
Cette élection, ce bal des prétentieux et des bonimenteurs file la nausée ! Elle écœure les citoyens jusqu'au dégoût. Un dégoût qui s'exprime par l'abstention record, par le désintérêt de la parole politique aussi noble soit-elle (même la tienne) et surtout, ce qui est plus grave, par la défiance vis à vis de tout projet de société aussi généreux soit-il. Plus personne n'est écouté, entendu, respecté. Plus rien n'a de grâce aux yeux des citoyens. Le cynisme est tel, que plus aucun programme ne sera légitimé par cette élection. Il n'y a plus de confiance. C'est le "tous pourris" qui semble être le thème fédérateur de la grande masse populaire que tu cherches à convaincre. Je crains qu'aujourd'hui ce ne soit plus possible tellement le gouffre qui sépare les citoyens de leurs représentants est immense. Nous devrions voter pour des représentants, nous sommes réduits à élire des "élites" qui décident à notre place.
Ma conviction est que les forces humanistes, écologistes ou progressistes, ce qui constituait un ensemble plus ou moins cohérent que l'on appelait la gauche il n'y a pas longtemps, cet ensemble hétérogène est incapable de mobiliser ses membres sur un projet politique commun. C'est dommage, c'est stupide, mais sans cette union, sans une même voix, sans un espoir immense et ambitieux, l'élection présidentielle est perdue d'avance. Si tu te présentes, tu ne seras pas élu. Pour tous tes ennemis, tes détracteurs, tes caricaturistes, tu seras celui qui en a fait une de trop. Tu seras celui qui a divisé par mégalomanie, même si ce n'est pas ce qui t'habite. A toute défaite il faut un coupable. Tu es le coupable idéal de tous, ce que je réprouve et qui me désole. Mais le cynisme ambiant de cette époque, l'absence de vue politique à long terme et la méchanceté généralisée ont pris le pas sur la raison.
A mon sens, l'ensemble de la "gôche" devrait se concentrer sur les seules élections "accessibles" sans union. Les législatives ! Elles restent le seul moment démocratique qui garde encore un peu de légitimité, si le Parlement ne se réduit pas à une chambre d'enregistrement du pouvoir en place. C'est le seul endroit dans lequel l'opinion des citoyens à encore une chance d'être respectée, pour peu que les candidats-tes députés-es se positionnent clairement pendant leur campagne et à l'Assemblée Nationale, dans de véritables enjeux de contre-pouvoir. J'irai même plus loin en disant que l'appartenance à une force politique affublée d'une étiquette, dans le cadre des élections législatives, est devenue une barrière à l'expression citoyenne dans les urnes. Les partis sont tous suspects. Les gens attendent de la sincérité, de l'émotion vraie dans les convictions. Ils cherchent une vision claire, radicale dans son expression et qui ne laisse pas la place au doute. Et du doute il y en a aujourd'hui.
Jospin à fait une énorme connerie en changeant le calendrier électoral, il a trahi - c'est dans l'Adn socialiste - la démocratie, le peuple et le parlement en juxtaposant la présidentielle aux législatives. Cette connerie, cette trahison, ce manque d'intelligence politique a détourné l'expression et le positionnement politique des députés-es, devenus du coup des godillots enfermés dans leur soutien au pouvoir, ou à leur groupe d'appartenance jusqu'à en perdre leur dignité. Redonnons une chance à la démocratie parlementaire, en se consacrant à la seule élection nationale qui s'appuie sur l'expression populaire dans les territoires, les circonscriptions. Changeons de stratégie !
En abandonnant l'idée de se présenter à la présidentielle, un-e candidat-e insoumis-e tel que toi crée une immense surprise et probablement un regain de respect et de sympathie dans l'opinion publique. Cette surprise apporte une inconnue à la présidentielle qui déstabilisera toutes les forces en présence. Pour les autres, qu'ils fassent ce qu'ils veulent, c'est leur problème s'ils souhaitent encore participer à cette comédie pathétique. J'imagine d'ici, les Olivier Faure, Yannick Jadot ou Fabien Roussel s'époumoner pour tenter de convaincre les citoyens qui ne les écoutent même plus, ne les connaissent même pas. Soyons grands, soyons malins, soyons cohérents. Comment combattre un système si nous continuons à fonctionner avec ses règles qu'il nous impose ? Il ne s'agit pas de renoncer, il s'agit au contraire de démontrer la supercherie. Il s'agit d'arrêter ce jeu cynique. Créer cette inconnue pourrait alors être utile aux candidats-tes député-es qui devront se positionner. Sachant qu'aucune majorité n'est pas acquise à l'avance et que l'abstention record fera perdre tout son sens à cette élection, nous pouvons ensuite renverser la table et proposer une autre République. Il faut démontrer que cette V ème République et son élection présidentielle ne sont plus le sujet. Il faut créer l'évènement politique, il faut faire peur à nos adversaires et les laisser se noyer dans leur propre fange.
Je ne suis pas grand chose d'où je suis, juste un citoyen qui en a marre de toute cette comédie. Juste un citoyen qui souhaite apporter une réflexion et qui sent bien que le pire arrive. Oui j'ai peur du monde que nous avons créé, soit par notre participation, soit par notre inertie ! Oui j'ai peur du fascisme vers lequel nous courrons et nous entrainent ces monstres qui nous dirigent. Oui j'ai peur de la violence qu'ils créent chaque jour par leurs décisions inhumaines, stupides, méchantes, incohérentes, dangereuses. Oui j'ai peur d'être seul à voir, peur d'avoir raison, peur de ne pas pouvoir te convaincre là-haut dans ta bulle. Tes explications sur ton éventuelle participation à cette mascarade ne m'ont pas convaincues. Rien n'est clair dans cette histoire, il faut renoncer et inventer autre chose.
Bien à toi, Jean Luc.
Olivier Perriraz