Appuyée par le conseil Régional Rhône-Alpes, l’intersyndicale CGT, CFDT, FSU et Unsa, composée de militants de moins de 30 ans, a participé au train de la mémoire conçu par les organisations italienne CGIL, CISL. Partis de Milan, ils ont, après un long voyage en train découvert la réalité des camps d’extermination nazis en Pologne. Témoignages

Article publié dans la Nouvelle Vie Ouvrière (NVO) du 20 avril 2012
Les pas sur le sol, crissent sur le mélange de terre battue noire et parsemée de petits cailloux. Ici, le silence est de règle. La guide a prévenu « ce n’est pas un musée, c’est un cimetière !». Le petit groupe qui s’avance est silencieux. Attentifs, ceux qui le composent écoutent la douce voix de la jeune femme devant eux. Ils ont un casque sur les oreilles, relié à un émetteur à haute fréquence. Elle parle doucement, précisément, mêlant émotion et gravité à la fois. Son jeune auditoire, ainsi déambulant dans ses pas, la suit religieusement et au fur et à mesure du récit, construit dans sa mémoire les détails, les images et les peurs qui feront de cette expérience un inoubliable souvenir. C’est le but, nous sommes à Auschwitz. Dans quel autre lieu plus qu’ici la nécessité du travail de mémoire serait-il indispensable ? Ici la barbarie humaine a été à son apogée.
Voyage initiatique
Partis en train spécial de Milan (Italie), du quai 21, comme il y a soixante-dix ans des milliers de déportés, les 600 personnes de ce voyage initiatique de 21heures jusqu’à Cracovie (Pologne) n’en reviennent pas tout à fait pareils. Après avoir foulés les travées du camp d’Auschwitz 1, puis non loin de là de Birkenau (Auschwitz 2) où furent exterminés un million d’êtres humains, cette expérience laisse une trace indélébile dans la mémoire de quiconque a eu le courage de se confronter aux récits des horreurs commises. La naissance du troisième millénaire se conjugue avec la résurgence de propos et parfois même de programmes politiques qui font lit de cette bête immonde que sont le nazisme et le fascisme. Dans toute l’Europe, les haines, les stigmatisations, ou le racisme ordinaire pointent leur nez, alors que le politiquement correct préfère évoquer les risques d’amalgames dans une attitude plus proche de l’autruche que de la conscience humaine.
Entre mise à distance et émotion

Les jeunes français participant à ce voyage, élaboré comme un programme d’éducation et de prise de conscience, mais basé sur du volontariat, n’ont pas manqué les coïncidences entre une époque de cauchemars et la réapparition de ce que les démocrates de tous bords croyaient disparu à jamais. Pendant le long trajet du retour, la prise de conscience et les souvenirs refont surface : « Ce qui m’a marqué le plus ce sont les visages. Se rendre compte de l’individualité. Que ce sont des vrais gens qui ont subi cela. Nous étions documentés. Je m’étais préparé à ce que j’allais voir et même si je ne suis pas submergé par l’émotion j’ai eu par moments les larmes qui me montaient aux yeux » explique Victor.
De l’avis général des ces jeunes gens, ce n’est pas l’émotion qui est la première réaction. Il y a comme une forme de distance au premier abord, un peu comme une protection instantanée. Ce sont pendant les heures, les jours et les semaines qui suivent cette expérience que la mémoire fera son travail. Comme un rappel nécessaire devant des faits particuliers. « J’ai eu du mal à admettre que tout cela puisse être réel. J’ai eu beau me dire au moment où j’y étais que je marchais là où des cadavres ont été traînés sur le sol. Dans les chambres à gaz des gens ont été tués… tout cela me semblait irréel » souligne Julia.
La réalité, ce sont les souvenirs qui se chargeront de ramener les individus vers elle. Dans le premier camp visité par les jeunes gens, il y a d’abord cette atmosphère pesante puis la presque désagréable sensation d’être dans un univers touristique. Des dizaines d’autocars déversent chaque jour des centaines de visiteurs. Il y a une boutique à souvenirs où se pressent ces consommateurs un peu particuliers. A l’entrée on parle fort, on rit parfois, on boit, on discute, on fume ou on grignote. Les guides font la leçon, rappellent l’indispensable discipline à tenir. Par respect, par commémoration, par devoir de recueillement. Alors passé la cohue de l’entrée, le calme se fait. Le silence posé, religieux, concentré laisse place peu à peu à la stupeur de ce qui est ici à découvrir. L’horreur indicible de l’humanité devenue folle. « En fait j’ai été un peu surprise au début » se souvient Julia « ce camp de Auschwitz 1 ne correspondait pas vraiment à l’idée que je m’en faisais. Si on met un brin de soleil, sans savoir ce qui s’est passé ici, c’est presque joli » ajoute la jeune étudiante, gênée de son aveu.
« L’inculture c’est le début de la dictature !»

Alors dans le souvenir, la réalité reprend le dessus au détour d’un couloir. On passe de salle en salle où sont exposées les photographies d’époque qui témoignent de l’organisation de la « solution finale ». Puis : « ce qui m’a le plus touché ce sont les cheveux… j’avais les larmes aux yeux » témoigne Mélissa. Dans une salle sombre, derrière une vitrine des milliers de touffes de cheveux. La natte bien faite, coupée du vivant d’une femme. Des cheveux bruns, roux, blond ou châtains, comme les témoins de vies humaines effacées, éradiquées. Plus loin une autre vitrine pleine de chaussures ayant appartenues à des femmes, des hommes ou des enfants, de tous âges, de toutes conditions sociales. Qu’ils soient pauvres ou riches, ces individus ont été privés de leur vie par l’horreur.
La réalité en pleine face ! « C’était sans doute le moment le plus fort » ajoute Mélissa future sociologue. Pour Julia c’est dans la durée, dans le temps qu’il faut chercher « l’effet secondaire » de cette expérience : « nous appartenons pour la plupart à des milieux militants. Nous étions donc parfaitement préparés à cette prise de conscience, aussi bien dans l’univers familial que dans les études que nous avons choisies. Pour éviter l’ignorance, il est indispensable de partager cette conscience, il faut s’organiser, militer dans des organisations de jeunesse… » Pour Victor « l’inculture c’est le début de la dictature ! ». Probablement le plus choquant lors de ces visites sera le caractère méthodique et industriel de l’organisation du massacre d’êtres humains. « Pour faire un travail de mémoire, il faut comprendre les causes de ce qui génère ces comportements » intervient Arthur, étudiant en histoire. « C’est un peu ce qui nous manque dans ce genre d’initiative et surtout dans l’éducation que nous recevons aujourd’hui » ajoute Mélissa qui surenchérie « dire que toutes les civilisations ne se valent pas est un véritable scandale ! »
Dans les compartiments du train de retour les débats s’enchaînent. Les jeunes gens sont avides d’échanges, de témoignages. Qu’ils soient Etudiants, ou Lycéens ou salariés, chacun veut apporter sa contribution « ce type d’initiative nous fait prendre conscience de l’égalité entre les individus et la nécessaire lutte contre le fascisme » entame Julien jeune militant CGT et cheminot à Saint-Gervais (Haute-Savoie). « Je sais qu’un jour, j’emmènerai mon fils là-bas. C’est une leçon de vie nécessaire. Ce qui m’a le plus révolté, c’est le cynisme qui a été utilisé pour massacrer des populations. » Ajoute le jeune homme.
L’Inimaginable en débat
Pour Maxime, militant au collectif confédéral des jeunes CGT le choc est réel « de voir à Birkenau le gigantisme de celle folie meurtrière dépasse tout ce que l’on peut imaginer » se souvient-il « à aucun moment, l’école ne nous permet d’appréhender ce que nous découvrons là-bas ! » précise Max. Dans chaque petit groupe de discussion, une question revient sans cesse. Cette chose, cette abominable cicatrice du passé pourrait-elle se reproduire dans nos sociétés modernes ? Sarah militante CGT fait un lien ; « Lorsque les jeunes italiens nous ont lu les lettres d’enfants qui témoignent que l’on est venu les chercher à l’école pour les emmener dans des camps, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que c’est ce qui arrive aujourd’hui en France. Penser que la police va chercher des enfants de « sans-papier » à la sortie des écoles, me révolte… » D’autres, comme Julia, Mélissa, Victor, Arthur, Maxime, Julien ou Aurélien parlent de la Bosnie, du Rwanda de la stigmatisation des Roms qui est présente dans toute l’Europe. La peur que cela recommence ? Oui, ils le disent, ils l’affirment, peut-être pas à la même échelle, peut-être sous d’autres formes, mais il y a toujours un risque et d’ajouter que leur devoir individuel est de raconter, de parler encore et encore et surtout de ne jamais minimiser ce que l’histoire nous laisse en héritage. Peut-être parce que justement l’histoire a une fâcheuse tendance à se répéter.

L'ensemble des photographies de ce reportage est consultable sur http://www.olivier-perriraz.com/2012/04/voyage-dans-lhistoire.html