Alors que le festival de Cannes célèbre sa 65e édition, l’union locale CGT continue de défendre pendant cette période les salariés ignorés de tous. Sans oublier la « pause cinéma », grâce au festival « Visions sociales ».
Article publié dans la Nouvelle Vie Ouvrière (NVO) du 18 mai 2012
Il est des périodes durant lesquelles il est utile de rappeler la place du syndicalisme dans la société. Nous en avons un bel exemple en ce printemps électoral.
En 2000, préfaçant l’excellent ouvrage Nous avons tant à voir ensemble (1), qui revient sur l’histoire du cinéma dans le mouvement social, Bernard Thibault usait de mots forts. « C’est dans ce climat d’exaltation et de générosité, succédant à la gloire de l’épopée de la Résistance et l’euphorie de la Libération, que s’est situé l’engagement de la CGT dans le démarrage du festival de Cannes. Il doit aussi beaucoup à ce que les valeurs de la classe ouvrière, s’exprimant dans le goût de “la belle ouvrage” et le sens du travail d’équipe, trouvent un écho très fort dans l’industrie cinématographique où toute une communauté est associée dans un acte de création fusionnant imagination, organisation et technicité ». Le secrétaire général de la CGT rappelait alors l’importance du syndicalisme dans la culture, au travers du 7e art, avec la naissance du prestigieux festival. Alors que se déroule la 65e édition de cet événement mondial avec sa palme d’or, ses stars, son luxe et ses paillettes, l’Union locale CGT de Cannes va devoir mettre encore les bouchées doubles. Non pour défiler sur la Croisette, mais pour défendre nombre de salariés dont les conditions de travail et de rémunération se heurtent frontalement avec cette période du 16 au 27 mai. Comme une difficulté ne vient jamais seule, il faudra déménager l’UL de son actuelle bourse du travail, puisque cette dernière est promise à la destruction. Mais cela est une autre histoire (cf. NVO janvier 2011) !
De l’agitation syndicale, la riche population touristique séjournant dans les hôtels de luxe n’en verra rien, comme d’habitude. À moins d’une manifestation ou d’un rassemblement devant l’hôtel de ville, comme ce fut le cas par le passé, les festivaliers et leurs fans ne verront pas non plus ces dizaines de salariés sans papiers, recrutés à moindre frais dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et du commerce. Et pourtant, malgré les propos politiques entendus ces dernières semaines, ces travailleurs issus d’ailleurs et indésirables aux yeux d’une certaine République, permettront à la clientèle de Cannes de ne manquer de rien en ce qui concerne son confort douillet. « À l’union locale CGT nous avons pu identifier environ 200 travailleurs sans papiers qui ont bien voulu se faire connaître », explique Gérard Ré, le secrétaire général.
Tourisme et emplois précaires
Commerces, hôtels, restaurants et aide à la personne chez les particuliers sont parmi les principaux secteurs où la CGT est amenée à intervenir. Après un moment d’hésitation, Gérard Ré ajoute : « nous savons bien qu’il y en a beaucoup plus que cela… Depuis des années… Peut-être depuis toujours… » Il hésite encore, puis, « je peux me tromper, mais nous avons fait une estimation qui tourne autour de plus de 1 000 personnes ! » Le chiffre tombe un peu comme un coup de tonnerre, laissant un blanc dans sa démonstration. Tout ce que le tourisme peut générer comme emplois précaires est ici concentré à quelques mètres du Palais du Festival et de la Croisette. Dans une grande salle de réunion, Gérard ouvre un placard dans lequel sont empilées des dizaines de dossiers de demandes de régularisation. Au milieu, on distingue des bulletins de salaires ou des feuilles d’impositions. « La
Préfecture a un double discours. D’un côté, on nous dit vouloir lutter contre le travail illégal et de l’autre, il y a des métiers qui sont en tension et nécessitent des régularisations, mais pas dans la restauration, par exemple, où la tension n’est pas suffisante », ajoute-t-il.
Pourtant, en 2011, les revendications ont été entendues par les touristes et festivaliers. Chez Pierre et Vacances, les 12 jours de grève ont fait des remous. À l’issue de ce mouvement, il y a eu une régularisation et des contrats CDI ont été accordés à des sans-papiers… L’employeur a joué le jeu, mais la Préfecture, qui prend un rôle de médiateur dans les conflits, décide à la fin de ne pas régulariser des salariés en CDI… « On marche sur la tête ! C’est kafkaïen, cette histoire ! », Gérard préfère en rire. Autrement dit l’État, par l’intermédiaire de sa représentation locale, laisse perdurer un système que le gouvernement condamne dans ses discours. « Il n’y a pas plus d’expulsions que d’habitude. Cannes profite du système à plein et la Préfecture ferme les yeux. Il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or ! » Dans une certaine mesure le cinéma a fait son travail par l’intermédiaire de Welcome, avec Vincent Lindon comme interprète, dénonçant la situation des clandestins venus dans notre pays pour une meilleure vie.
« Visions sociales », l’autre festival
À l’union locale de Cannes et en ces temps de festival, la lutte syndicale restera bien sûr la priorité, mais le cinéma sera tout de même fêté de façon particulière par les militants ou les salariés de tous bords. Du 19 au 27 mai, grâce à la mise à disposition de son centre de vacances à la Napoule, le château des mineurs du domaine d’Agecroft, la Caisse centrale des activités sociales du personnel des industries électriques et gazières (CCAS) et sa structure locale la CMCAS des Alpes-Maritimes organisent un autre festival de cinéma. Pour sa dixième édition, « Visions sociales » présente ainsi cette année 23 films sous les parrainages de Thierry Frémaux, par ailleurs délégué général du festival de Cannes, et de Lucas Belvaux, acteur et metteur en scène. Il vient de réaliser 38 témoins, sorti le 14 mars dernier. Hormis la soirée de clôture qui consacrera la Semaine de la critique avec la projection de 38 témoins, « Visions sociales » reste un festival où l’accès est totalement libre, à qui souhaite s’y rendre. L’union locale CGT de Cannes participe bien sûr à événement et elle ne manquera pas de prendre la parole lors des débats qui émaillent cette manifestation. Lors de cette dixième édition, notamment, trois débats auront pour thème les métiers du cinéma. Des expositions sont également ouvertes au public qui chaque année vient de plus en plus nombreux. « Visions sociales », c’est avant tout l’occasion de découvrir des films dont le facteur commun reste le monde du travail, les luttes ou encore la place de la femme dans la société avec, cette année, une résonance particulière sur l’actualité récente comme la mondialisation ou les révoltes des populations arabes. Tout le monde peut s’y rendre, du simple Cannois au militant syndical, ou encore aux ayants-droits des comités d’entreprises. Gageons que certains travailleurs sans papiers oseront une pause dans leurs difficultés, pour bénéficier avec leur syndicat CGT d’une parenthèse culturelle.
(1) Nous avons tant à voir ensemble, VO éditions, 160 p., 9,91euros