Mardi soir, Ruth Elkrief demandait à Jean-Luc Mélenchon ce qu’il pensait du projet d’une défense européenne face à Poutine. La réponse de ce dernier m’a interloqué : « La France, dit-il, a intérêt à être capable de se défendre toute seule car si vous regardez bien ce qui se passe, vous voyez que les grands pays qui nous entourent sont déjà prêts à s'accommoder de ce qui se prépare en Ukraine. Ce n'est pas notre cas. » Qu’entendait-il par là ? Quand tous les pays d’Europe et de l’OTAN condamnent l’invasion de l’Ukraine, prennent des sanctions et envoient des armes, comment Mélenchon peut-il dire qu’ils s’accommodent de ce qui se prépare ?
C’est pourtant d’une atroce simplicité. Ce qui se prépare en Ukraine, c’est le martyr des Ukrainiens sous les bombes russes. Qui peut sérieusement penser que les sanctions économiques et l’envoi d’armes l’empêcheront ? Si l’objectif est de faire reculer Poutine par la force, c’est le premier ministre Letton Edgars Rinkēvičs qui a raison : il faut lui faire la guerre, directement, avec toutes les forces dont on dispose. Ni l’Union Européenne, ni l’OTAN n’y sont prêtes. Mais alors que visent les sanctions et les envois d’armes ? Il me semble évident qu’ils préparent à l’Ukraine un scénario à l’Afghane. Ils compliquent l’offensive Russe et préparent l’enlisement de Poutine en Ukraine. Tous les analystes semblent s’accorder sur le fait que Poutine a présumé de ses forces, qu’il ne peut pas gagner cette guerre, qu’il ne parviendrait pas à occuper l’Ukraine quand bien même il parviendrait à la conquérir. Cette guerre impopulaire et ruineuse pourrait bien provoquer, à terme, la chute d’un régime déjà fragile. Et si c’était là l’objectif du camp occidental ? Sans affronter frontalement Poutine, en finir avec lui, précipiter la chute à laquelle il s’est lui-même condamné. Mais non sauver des vies ukrainiennes. Le conflit Afghan a duré dix ans, dix ans de souffrances et de mort – n’est-ce pas de cela que le camp occidental est prêt à s’accommoder ?
Où l’on voit qu’on peut se fixer, face à la guerre, deux objectifs : vaincre Poutine ou sauver les Ukrainiens. C’est le second objectif que se fixe Mélenchon en proposant une conférence sur les frontières où serait proposée la neutralité de l’Ukraine. Il cherche une issue au conflit que les Russes pourraient – sous la pression, à défaut de mieux, pour sortir d’un conflit qui déjà leur coûte plus que ne l’imaginaient – accepter. Une issue qui permettrait d’envisager un cessez-le-feu. Cette issue est-elle réaliste ? Quelle chance a-t-elle d’aboutir ? Je n’en sais rien. Ce qui m’apparaît, en revanche avec une clarté aveuglante, c’est que ne pas faire de proposition diplomatique, c’est ruiner toute chance d’un cessez-le-feu.
Pourquoi la proposition de Mélenchon n’est-elle reprise par personne ? Pourquoi aucune autre proposition n’est-elle faite ? Peut-être parce qu’elle ne permet justement pas d’en finir avec Poutine, puisqu’elle suppose au contraire de s’arranger avec lui.
Sauver l’Ukraine, abattre Poutine ; l’idée est savamment entretenue ces derniers jours que ces deux objectifs n’en font qu’un. La surenchère de sanctions symboliques et souvent grotesques – exclure la Russie d’une coupe du monde de football au Qatar ! Se justifier longuement, comme l’a fait BBC3, de diffuser de la musique classique russe ! – donne le sentiment d’une résistance tous azimut à l’invasion de l’Ukraine, alors que l’on ne fait que mettre en place les conditions d’un conflit long et atroce. Le « camp de la guerre » dont parle Mélenchon a déjà entamé, par proxy, une guerre d’usure envers Poutine ; être dans le camp de la paix, c’est chercher, parallèlement à l’épreuve de force, les conditions d’un accord avec Poutine pour obtenir immédiatement le cessez-le-feu. S’accorder avec Poutine est peut-être illusoire, voire répugnant. Mais les conséquences de la guerre d’Afghanistan nous rappellent que les guerres par proxy, outre les souffrances qu’elles provoquent, font souvent naître plus d’ennemis qu’elles n’en abattent.