Front populaire, le mot d’ordre est lancé. La peur de l’extrême-droite suscite un tel désir d’union que les appareils, craignant la colère de leurs électeurs, ont en une nuit fait le serment d’y parvenir. Devant chacun de leurs représentants, les médias jouent leur partition : « Comment pourriez-vous oublier les injures de Mélenchon? » La ronde commence mais il n’est pas sûr qu’on se tienne longtemps les mains.
Déjà Roussel déclare que le Front populaire se fera «sans Mélenchon». Sandrine Rousseau ne veut pas de Quatennens. Glucksmann dit «pacification» et pense compromission - Laurent Berger à Matignon? Je n’utilise pas souvent le vocabulaire sectaire de l’extrême-gauche mais quand je vois Laurent Berger, j’ai du mal à ne pas dire «social-traître». L’inévitable Yonathan Arfi prévient que la France Insoumise est un danger pour les Juifs et que toute alliance avec elle serait un déshonneur. L'idée s'impose rapidement: l'obstacle à l'union, ce serait Mélenchon. Mais, selon la formule usée jusqu'à la corde, de quoi Mélenchon est-il le nom?
Que refuse-t-on quand on refuse Mélenchon? S'agissant de Glucksmann et du Parti socialiste, la réponse est évidente: elle est dans les programmes. LFI, EELV et le PCF, en revanche, sont conciliables sur le fond. Les différences entre les trois formations relèvent de la tactique : chacune vise le même électorat mais n’a pas le même cœur de cible. Le PCF privilégie le populo, les Verts les diplômés et LFI les métissés. Or force est de reconnaître que LFI parvient mieux que les autres à toucher son cœur de cible et au-delà. LFI reste le centre de gravité de la gauche dite « de rupture ». Mélenchon reste le centre de gravité de LFI.
Depuis seize ans, on dit de Mélenchon qu’il est égocentrique, autoritaire – on connaît la chanson. C’est sûrement vrai. Depuis seize ans, cependant, il a été le centre de gravité qui a empêché les autres forces de gauche de se perdre dans les compromissions qu’elles étaient toujours prêtes à faire – il fallait parer au plus presser, concéder quelque chose pour ne pas tout perdre, EELV entrait au gouvernement, Roussel passait maître dans l’art de la xénophobie subliminale. A chaque étape décisive – en France, les élections présidentielles – on a vu que la détermination totale de Mélenchon payait. Les électeurs ne font plus confiance à ces partis fébriles, fragiles, dont on ne sait jamais s’ils ne glisseront pas, comme le Parti socialiste avant eux, dans le marais, la morne plaine, le ventre mou de la compromission.
L’union est une bonne chose mais elle serait un désastre si elle érodait le pôle de radicalité patiemment constitué. Il faut poser un constat et en tirer toutes les conséquences : la France est clivée. Les Français sont opposés les uns aux autres. Ca ne date pas d’hier et l’on pourrait dire aujourd’hui ce que disait Clémenceau en 1885 :
« La vérité, c’est que cette admirable Révolution par qui nous sommes, n’est pas finie, c’est qu’elle dure encore, c’est que nous en sommes les acteurs, c’est que ce sont toujours les mêmes hommes qui se trouvent aux prises avec les mêmes ennemis. Oui, ce que nos aïeux ont voulu, nous le voulons encore. (Applaudissements à gauche.) Nous rencontrons les mêmes résistances. Vous êtes demeurés les mêmes ; nous n’avons pas changé. Il faut donc que la lutte dure jusqu’à ce que la victoire soit définitive. »
Un combat se mène et se gagne. On fait la paix après la bataille: avant que celle-ci ait eu lieu, la réconciliation est une chimère.
J’ai fait bien des critiques à la France Insoumise. Je considère son analyse de la situation en Ukraine extrêmement pauvre. Je considère qu’ils ont eu tort de traiter la question palestinienne comme si c’était une question de politique nationale alors que la France n’est ni puissance occupante en Palestine, ni n’arme Israël comme le font les Etats-Unis. Je n’ai jamais dit que la France insoumise était un parti antisémite mais je la trouve poreuse aux discours conspirationnistes qui mènent de l’antisionisme à l’antisémitisme. Je trouve que Mélenchon, qui a si longtemps incarné la colère du peuple, n’exprime plus, trop souvent, que la sienne. Je voudrais que LFI reste ce parti intelligent qui mettait en ligne les magnifiques vidéos programmatiques de la campagne de 2017. Je l’ai dit, je le répète, et je ne suis pas en contradiction en ajoutant que l’union populaire ne peut pas se faire dans la tiédeur.
Après chaque élection, la même tentation ressurgit : aller au centre pour chiper les électeurs des autres. Aujourd’hui comme hier, la cible, ce sont les abstentionnistes des classes populaires, que l’on perdrait toute chance de ramener à la politique en jouant platement le jeu électoral. Même la menace du Rassemblement National ne doit pas faire perdre de vue le véritable enjeu qui n’est pas d’agréger des votants sous le sigle « Union populaire » mais de refaire un peuple acteur de son destin. Aujourd’hui, c’est un fait incontournable de la vie politique française, « Mélenchon » est le nom de la gauche radicale. Ce n’est pas un nom facile à porter et on peut souhaiter lui en trouver un autre, à condition de ne pas se faire d’illusion. Dans une France clivée, le porte-parole de la gauche sera clivant. Son nom n’agrègera pas l’existant, il construira la lutte autour d’un projet clair, entier, tranchant. On ne doit jamais sacrifier l’avenir, même par peur du lendemain.