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Billet de blog 14 avril 2022

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Un grand pôle populaire ?

Le très beau score de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle fait naître de grands espoirs à gauche : la campagne aurait vu émerger un « grand pôle populaire ». Il me semble, pour ma part, que les ferments sont fragiles et qu’il faut prendre le plus grand soin de les aider à croître.

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Depuis le premier tour, deux analyses du vote de l’Union Populaire coexistent, l’une y voyant un vote de conviction et l’autre un vote utile. Chacune s’appuie sur des sondages apparemment contradictoires mais riches d’enseignements quand on les lit ensemble. Selon l’un d’entre eux, 80% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ont voté par adhésion à son programme. Mais d’autre part, 50% d’entre ses électeurs se sont décidés dans les derniers jours et il a été pour 50% d’entre eux, probablement largement les mêmes, un vote utile. Selon ce second sondage, si les électeurs avaient voté selon leurs convictions, les scores auraient été les suivants :

Mélenchon : 11% // Jadot, 9,6% // Roussel : 4,8 % // Hidalgo : 3,7% // Arthaud-Poutou 2,8 %

Ces deux sondages ne sont nullement contradictoires. Ils nous rappellent simplement ce que l’on pouvait aussi bien savoir sans eux : beaucoup d’électeurs adhèrent aux grandes lignes des programmes et peuvent donc se sentir aussi proches de ceux d’EELV ou du PCF que de LFI. Ils ont voté pour le mieux placé pour faire gagner ce programme, même quand celui-ci n’était pas leur préféré. Ceci posé, il est dangereux de penser qu’on a constitué un « pôle populaire » qui pèserait 22% de l’électorat. Il me semble au contraire que deux problèmes se posent, dans deux temporalités différentes. D’abord, le temps court des législatives ; puis le temps long de la lutte qui continue.

Je lis ici et là que les législatives pourraient nous donner la majorité à l’Assemblée. C’est ce qui se disait déjà en 2017 et qui ne s’est pas concrétisé. On peut d’ailleurs remarquer que la France Insoumise avait obtenu la même proportion du vote Mélenchon en 2017 que le Front de Gauche en 2012 : 63% des voix en 2012 et 60% en 2017. Si cette proportion se maintenait, l’Union populaire emporterait un peu plus de 13% des voix aux législatives, soit 2% au-dessus du vote de conviction qu’elle a emporté aux présidentielles. Cela me semble assez plausible.

La déperdition de voix entre la présidentielle et les législatives s’explique sans doute par plusieurs facteurs. Le premier est qu’il n’y a pas de vote utile aux législatives ; chacun tend donc à se ranger sous sa bannière. Pour minimiser ce facteur, on est bien obligé de se poser la question des alliances : quelque rancune que l’on nourrisse envers Jadot et Roussel ou ceux qui ont voté pour eux, il n’y a pas de survie pour l’Union Populaire si elle ne s’allie pas à ceux de leurs électeurs qui ont, une fois, mais une fois seulement, voté pour elle.

Un autre facteur dans la déperdition des voix me semble relever de la nature profonde de la France Insoumise. Celle-ci est un mouvement dont le dynamisme repose d’abord sur un homme – Mélenchon – dans un contexte – l’élection présidentielle ; les immenses élans de ferveur et de créativité militante qui sont nés durant les campagnes de 2012 et 2017 sont retombés assez rapidement par la suite. L’ancrage est-il plus profond cette fois-ci ?

Espérons-le, tout en nous souvenant que la campagne de 2017 avait déjà suscité une certaine illusion. Jean-Luc Mélenchon affirmait alors qu’être insoumis était une « manière d’être » ; il appelait les insoumis à mener des actions citoyennes, par exemple aller ramasser les poubelles où les services publics étaient défaillants. On pensait que les insoumis étaient un peuple dans le peuple, comme, aux grandes heures du PCF, les communistes qui distribuaient l’Huma partout, allaient chercher les vieux seuls pour les emmener à la fête de voisinage etc. Il y avait une véritable sociabilité communiste, et c’est d’ailleurs parce que les communistes sont des militants dans l’âme qu’ils ne se démobilisent pas entre les élections. Un tel enracinement de l’Union Populaire existe-t-il aujourd’hui ? Je n’en suis pas certain.

C’est ce qui doit conduire à se poser la question du temps long. Si LFI veut vraiment constituer ce pôle populaire, elle n’échappera pas, pour le coup, à une réflexion de fond sur ses structures. Pour l’instant, le Parlement de l’Union Populaire est surtout composé de « personnalités » venues offrir leur crédibilité à LFI, ce qui fut bienvenu en temps de campagne, mais il n’est pas une organisation représentative du mouvement. La LFI a toujours été une organisation verticale et verrouillée, dont la verticalité était compensée par la curiosité intellectuelle de ceux qui l’animaient, qui ont su coopter des personnes créatives et compétentes. Mais je n’imagine pas que la base accepte mieux aujourd’hui qu’hier d’être reléguée au rang de piétons de la révolution, et la base s’est érodée très rapidement après 2017.

De surcroît, il n’est pas certain que les personnalités qui composent le Parlement populaire souhaitent s’engager au-delà de la campagne. Quand bien même elles le voudraient, elles n’ont aujourd’hui, que je sache, aucun pouvoir de décision ; situation dont je doute qu’elles se satisfassent dans la durée. De même, si le vote des populations issues de l’immigration est à peu près acquis à LFI de part son programme, l’implication des associations politisées des « quartiers » a été en réalité assez restreinte et relevait prioritairement du vote utile. Les relations entre le centre et la base ont toujours été frustrantes à LFI ; ces associations sont bien moins patientes que les groupes de soutien car elles ont d’autres visées, justement, que de soutenir le mouvement.

Nous voilà face à la difficile articulation horizontal/vertical sur laquelle bien des mouvements ont achoppé, et qui est une contradiction intrinsèque à tout mouvement à visée électorale.

Tout mouvement populaire a besoin de liberté, d’espace et d’autonomies.

Tout mouvement à vocation électorale a besoin, surtout dans la cinquième république, de discipline et d’un chef de file. Chef de file, parce qu’il faut du temps pour construire une présidentialité (le cas Macron est une exception qu’explique en bonne partie la couverture médiatique inédite dont il a bénéficié). Discipline, parce que la parole et l'action de la base doivent être contenues dans les limites du politiquement acceptable, parce que les dissensions internes ne doivent jamais s’étaler au grand jour et donner des armes contre le mouvement, parce que les scissions plombent la vie des partis, etc. La discipline inhérente à tout mouvement électoral induit également des travers en son sein. Entrer dans un tel mouvement, c’est se mettre à son service, dévouement qui attend récompense : ainsi les parachutages et les nominations discrétionnaires. Je ne prétends pas, ce disant, faire une critique particulière de la France Insoumise chez qui, de ce que j’en sais, ces travers existent à un degré nettement moindre que chez ses concurrents : je crois que ce sont des conséquences difficilement évitables de la dynamique électorale.

Un mouvement populaire me semble donc être par nature incompatible avec un mouvement électoral. Le fonctionnement « gazeux » de la France insoumise n’a pas résolu cette contradiction. Peut-être faudrait-il, plutôt que de chercher une formule magique, se résoudre à la séparation de deux entités, France Insoumise d’une part et Union Populaire d’autre part ? Cette séparation permettrait de mettre au fondement des deux entités deux questions différentes. Aux acteurs extérieurs, le Parti demande : que pouvez-vous faire pour nous ? Mais ce sont les acteurs extérieurs qui demandent à l’Union Populaire ce qu’elle peut faire pour eux.

L’Union Populaire doit servir les luttes, et ceux qui les mènent ne doivent pas craindre d’être instrumentalisés pour d’autres fins que les leurs. Servir les luttes ne devrait pas se limiter à les évoquer en passant ou les appuyer individuellement. Si l’Union Populaire le souhaitait, elle aurait les moyens de les mettre en relation, d’aider à leur convergence, au soutien financier, au partage de moyen… Le tout sans censure ni contrôle de l’organe central, sauf à tuer les énergies. L’absence de contrôle, c’est par exemple, la modération ex post et non préalable des voix qui s’exprimeraient sur un forum commun. Concéder une liberté aussi grande est cependant inconcevable sans prise de distance entre l’appareil électoral et la galaxie militante, car le premier ne pourrait assumer tous les actes ni les paroles de la seconde. En un temps où il faut s’attendre à – et espérer – une radicalisation des luttes concrètes, le pôle politique doit nécessairement entretenir une relation souple aux pôles de résistance.

Nous avons un programme qui peut servir de dénominateur commun en période électorale et recueillir le « vote utile ». Nous avons les ferments d’un grand « pôle populaire ». Donnons-lui tous les moyens de grandir et d’essaimer, en toute liberté, avec tous les risques que cela comporte. 

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