Mes chers compatriotes,
Oui, je pèse mes mots : en ce quatorze juillet 2022, en qualité de président de la République, je décrète la mobilisation générale. Le défilé militaire qui a eu lieu ce matin sur les Champs-Elysées pour commémorer la fête de la Fédération de 1790 nous permet de nous souvenir de l’origine et du sens de cette expression. C’est la France, en effet, qui a décrété la première mobilisation générale de l’histoire en 1792, pour défendre la Révolution contre les monarchies européennes coalisées. Répondant à l’appel de la Nation, les Français se sont levés par millions pour donner leur vie, leurs bêtes, leurs récoltes et jusqu’au salpêtre déposé dans les murs de leurs caves, pour défendre la liberté. Aujourd’hui qu’il s’agit de défendre la vie même, je ne vous en demande pas moins.
Vous le savez : le changement climatique est commencé. Les feux dévorent nos forêts et tout laisse à penser que des pluies diluviennes emporteront nos habitations venue l’automne. L’ennemi est à nos portes, il faut le repousser. En conséquence, nous décrétons que l’économie de la nation tout entière doit être redéployée pour y faire face, sur tous les fronts. Cela suppose d’abord, je vous l’ai dit, la sobriété. Celle-ci exige une réflexion nationale et locale : j’invite donc à la création d’une commission parlementaire ainsi qu’à la création de comités de sobriété locaux qui auront pour tâche d’identifier toute dépense énergétique superflue. Cela permettra de mettre un terme à toute production industrielle contribuant au réchauffement climatique et à la dégradation de la biodiversité, et d'initier la reconversion des appareils productifs conformément aux exigences écologiques.
La transformation de nos modes de production exige d’immenses mobilisations de main d’œuvre, dans l’agriculture comme dans la distribution, dans les travaux d’isolation des bâtiments et dans mille autres domaines. La nation, mes chers concitoyens, ne vous demande pas de risquer votre vie mais elle demande vos bras. Il n’est plus temps d’allouer les forces vives de la nation selon les mécanismes du marché de l’emploi, qui correspondent aux opportunités de profit des employeurs, mais bien conformément aux tâches que nous devons accomplir. Il est inadmissible aujourd’hui que de jeunes gens s’épuisent dans des emplois inutiles, dégradants et mal rémunérés quand nous avons tant besoin d’eux. Il serait ridicule que l’Etat les abandonne à leur sort au motif qu’il n’aurait rien d’autre à leur proposer. Nous avons au contraire mille tâches à leur confier.
Les travailleurs seront donc libérés de leur sujétion à l’emploi pour être soumis aux exigences du travail qui s’impose pour le bien commun. Toutes les personnes valides dont l’emploi actuel est écologiquement nuisible seront donc convoquées à des entretiens visant à leur réaffectation. Tous les citoyens sont invités à solliciter de tels entretiens. La rémunération de ces nouveaux emplois correspondra à leur importance vitale et au service rendu à la nation : au Salaire Minimal Interprofessionnel de Croissance (SMIC) sera donc substitué un Salaire Minimal Interprofessionnel Ecologique (SMIE) fixé à 2000 euros minimum et indexé sur l’inflation.
Mes chers compatriotes, la mobilisation générale a un coût. Nos ancêtres, en 1792, ont tout sacrifié, parce qu’ils savaient qu’il valait mieux perdre tous ses biens matériels pour sauver la liberté que vivre riche et opprimé. Le Comité de Salut Public n’a pas hésité, en 1793, à confisquer les grandes fortunes, considérant que le luxe individuel n’était pas admissible quand la survie de la patrie était menacée. De la même façon, l’Etat s’octroie dès ce jour le droit de ponctionner toute somme nécessaire à l’effort de guerre contre le réchauffement climatique dans les fortunes privées, sans toutefois priver personne du minimum nécessaire à une vie saine. L’Etat s’engage à justifier auprès du public et des particuliers l’usage des fonds prélevés sur les fortunes, mais avertit solennellement leurs détenteurs : les profiteurs de guerre, qui ont toujours été les traîtres les plus dangereux, seront sévèrement punis. On ne fait ni profits, ni économies pendant la guerre. Quiconque tentera de se soustraire à l’effort collectif sera décrété de prise de corps et sa fortune intégralement confisquée.
Pendant trop longtemps, mes chers compatriotes, nous avons raisonné en dépit du bon sens. Nous avons été comme une famille dont, la maison brûlant, le père refuserait de renoncer à son bain pour éteindre le feu et les enfants se conformeraient à son désir. Au lieu d’évaluer, comme il est de bon sens, la contribution de chacun au bien public par les nécessités de l’intérêt général, nous avons au contraire ajusté à la baisse nos ambitions collectives pour complaire à l’égoïsme des particuliers. L’heure est venue de remettre l’intérêt général au cœur de notre activité économique, c’est-à-dire de rendre à la raison son empire sur le corps politique, lequel a trop longtemps été gouverné par les caprices de membres rebelles au corps tout entier.
Mes chers compatriotes, c’est une véritable révolution dans les modes de production, de consommation, donc dans les modes de vie que je vous annonce ici. Je suis mû par le sentiment de l’urgence, que vous ressentez tous, certainement, comme moi. Mais je ressens également une très grande joie, que vous partagerez, je l’espère, bientôt. Dans les circonstances dramatiques que nous connaissons, c’est cependant une belle vie que celle que l’on dédie au bien commun, à celui des hommes comme des choses.
Nous avons trop longtemps souffert d’une double dégradation de l’âme, comme producteurs et comme consommateurs. Nous avions conscience, au moins confusément, d’être des serviteurs de l’inutile, des producteurs de poisons et de déchets, et des consommateurs de ces mêmes poisons dont nous contaminions nos corps, nos esprits et ceux de nos enfants. C’est une ère de responsabilité qui s’ouvre pour nous – c’est donc une ère de liberté ; car la véritable liberté humaine ne consiste qu’à vivre conformément aux exigences de la conscience éclairée par la raison, c’est-à-dire de façon responsable. Je suis intimement convaincu, mes chers compatriotes, que dans les heures difficiles qui nous attendent, nous serons en définitive plus heureux.
Vive la République, vive la France, et surtout vive la nature et l’humanité.