Badigeonner Van Gogh, pourquoi?
Comme tant d'autres, j'ai d'abord été irrité par l'action du collectif Just Stop Oil. J'ai détesté l’opposition entre l’art et la vie, et trouvé hors de propos les remarques sur la valeur marchande d’un tableau qui n’est pas à vendre et se trouve dans un musée dont l’entrée est gratuite. Il me semblait que Just Stop Oil aurait dû choisir un symbole plus approprié. On m’a répondu qu’on avait déjà barbouillé mille banques sans susciter aucune réaction, et c’est vrai.
Ce matin au réveil, je trouve que le geste a mis en évidence la valeur que nous accordons à la nature en peinture, qui contraste si cruellement avec le mépris que nous avons pour la nature véritable. Si le simple fait de badigeonner un tableau d’ailleurs protégé par une vitre suscite une telle rage, comment se fait-il que la destruction de ce que Van Gogh savait si bien voir, puisqu’il le peignait si bien, nous laisse apathiques?
Les activistes de Just Stop Oil nous disent que la nature, ils ne peuvent plus la voir en peinture. On peut aimer Van Gogh et les comprendre. N'est-ce pas justement parce que les Tournesols est un si beau tableau qu'il est choquant de mépriser ce qu'il représente? Si peindre a toujours été une façon de travailler son rapport au monde, si contempler une peinture est aussi une façon d'enrichir son rapport aux choses, que penser de l'attitude paradoxale où la jouissance d'une peinture n'aurait plus de relation essentielle à celles-ci?
J'aimerais croire que les militants écologistes sont particulièrement nombreux parmi les amateurs d'art - cela confirmerait la thèse séduisante selon laquelle l'art aiguise la perception du monde et de la valeur des choses. Thèse trop idéaliste, sans doute, pour être vraie. Quoiqu'il en soit, les écologistes amateurs d'art n'ont rien à déplorer du geste de Just Stop Oil puisque le tableau est intact.
Les activistes n'ont pas détruit le tableau de Van Gogh. Ils en ont, pour un instant, suspendu la jouissance, geste dans lequel on peut trouver une invitation à s'interroger sur cette jouissance. L'obscurcissement passager peut être salutaire. Diderot écrivait une Lettre sur les Aveugles à l'usage de ceux qui voient, considérant que la nature de la vision n'était pas comprise par ceux qui en avaient la faculté et ne pouvait émerger qu'à partir de l'expérience de la cécité. Peut-être en est-il de même du rapport à la culture, qui peut révéler la nature ou au contraire lui faire écran.
Le geste des activistes de Just Stop Oil pose donc une question fondamentale. Mais c'est aussi une question simple qui peut venir percuter, par sa simplicité même, les discours politiques. A ceux qui poussent les hauts cris sur cette pseudo dégradation, on est fondé à demander : si l'oeuvre vous est si chère, que ferez-vous pour préserver son modèle ?
Susciter des situations permettant de confronter les puissants aux contradictions inhérentes à leur hypocrisie est un des objectifs des actions de désobéissance civile, fort bien atteint par celle-ci.
