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Billet de blog 23 mars 2022

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Mélenchon victime de lawfare, Mediapart complice

Dans un article à la une, Mediapart fait une révélation: l'association L'Ere du Peuple est mise en examen. On cherche en vain, dans le reste de l'article, les éléments nouveaux qui justifieraient cette décision judiciaire. Serait-ce un cas de lawfare? En ce cas, Mediapart s'en serait rendu complice.

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De beaux reportages, des analyses honnêtes et équilibrées, un tweet élogieux d’Edwy Plenel lui-même, cela semblait incroyable mais vrai : Mediapart avait dépassé son aversion pour Jean-Luc Mélenchon. Aversion sans doute enracinée dans la haine d’Edwy Plenel pour François Mitterrand ainsi que dans leur profonde opposition sur les questions internationales, l’atlantisme de Plenel étant diamétralement opposé à l’anti-américanisme de Mélenchon que Fabrice Arfi aime, paraît-il, à qualifier de « Poutine français ». Serait-ce justement la guerre Ukrainienne qui, ayant remis les questions géopolitiques au coeur de la campagne, a ravivé les haines recuites de Mediapart ? C’est la seule raison qui me vienne à l’esprit pour expliquer ce coup de bas. A quinze jours du premier tour de l’élection présidentielle paraît un article sur l’ « affaire » des comptes de la campagne de Mélenchon en 2017. Cet article contient une information :

‘L’association l’Ère du peuple, bras armé de la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017, a été mise en examen, le 3 février 2022, pour des faits présumés d’« escroquerie aggravée », « tentative d’escroquerie aggravée » et « faux et usage de faux » selon des informations de Mediapart.’

C’est une information très intéressante. Elle prend tout son sens quand on constate la vacuité totale du reste de l’article, qui reprend les allégations qui traînent depuis quatre ans. Sur le fond du dossier, en effet, strictement aucun nouvel élément n’est mentionné ; il suffit de comparer l’article d’aujourd’hui avec les innombrables articles sur le même sujet publiés par Mediapart ces dernières années. La seule information est donc que la justice a, sans raison particulière, le 3 février dernier, décidé d’alourdir la situation judiciaire des associations concernées.

Ceci posé, ce n’est pas tant les agissements de l’Ere du peuple qui interrogent, mais bien ceux de la justice elle-même. Le moment était bien choisi pour ressusciter une « affaire » qui tourne en rond, ou plutôt dans le vide, depuis quatre ans. Si l’on avait l’esprit mal tourné, on soupçonnerait qu’il y a là un nouvel exemple de « lawfare », c’est-à-dire d’usage de la justice à des fins de discréditation d’opposants politiques.

Il eût été fort judicieux de la part de Mediapart de s’interroger sur les raisons de la décision de justice. Mais d’étonnement, point – simplement la réitération des éléments cent fois énumérés. Qui plus est, par le titre de son article et par son exposition à la une, Mediapart donne évidemment le sentiment qu’il a une importante révélation à faire concernant l’intégrité de Mélenchon. Par cette stratégie éditoriale, Mediapart se rend complice du « lawfare » et y ajoute une autre arme dans l’arsenal des détournements des institutions censées fonder la démocratie, qu’on pourrait qualifier par analogie de « mediafare ». En bon français, cela s’appelle une campagne calomnieuse, car un tel article a évidemment vocation à être repris.

Oh quelle déception. Quelle amertume. Cela va faire dix ans que je suis abonné à Mediapart et que j’y écris mon blog. Même au plus fort des tensions entre Mélenchon et Mediapart, alors que j’étais encore membre de la France Insoumise, j’ai toujours conservé de l’estime pour ce journal car, hors ce « point exquis » (comme on dit en médecine pour désigner le point le plus douloureux d’une blessure), il font un travail de grande qualité, donnent à entendre de nombreuses voix enrichissantes et sont presque seuls à accorder un espace à une conception des questions sociétales (race, genre…) qui, quand bien même on n’en partage pas tous les principes, est enrichissante et doit être entendue. C’est parce que j’ai toujours aimé Mediapart que l’excellent niveau de leur couverture de la campagne de Mélenchon m’avait tant fait plaisir. Et maintenant ce coup bas.

Quand ? Juste au moment où l’on commence à entendre partout que Mélenchon pourrait se qualifier pour le second tour. Pourquoi ? L’article étant vide et sa seule motivation concevable étant la malveillance, j’en suis rendu à l’hypothèse énoncée en introduction du réveil des vieilles haines. Mais on n’a pas le droit, dans le contexte politique actuel, sachant le torrent de racisme nauséabond qui se déferlerait entre-deux tour si Macron était de nouveau face à Le Pen, torrent qui pourrait aggraver encore l’impulsion d’un second quinquennat Macron dont tout indique qu’il prolongerait la destruction sociale du premier, de céder à ses haines.

N'étant plus à la France Insoumise, ayant publiquement condamné le timing de l'article sur Fabien Roussel et n’étant pas exactement sur la ligne de Mélenchon sur l'Ukraine comme en témoignent mes nombreux billets de blog à ce sujet, je me sens légitime à dire à quel point je suis déçu et choqué par ce coup bas. Déçu, écœuré, très en colère. Serait-il temps de se désabonner et de faire migrer ce blog ailleurs ?

On verra bien. Tout le mal que je souhaite à Mediapart, c'est que cet article honteux ne rencontre pas d'écho car s'ils pouvaient être considérés comme partiellement responsables d'une élimination de Mélenchon au premier tour, ce serait impardonnable.

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