Hier soir avait lieu au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme une rencontre sur le thème « Être Juif en France après le 7 octobre ». J'ai quitté la salle sans poser aux intervenants la question qui me brûlait les lèvres, et que je pose ici:
« Le 7 octobre, dites-vous, fut un choc terrible et vous avez été stupéfaits de la jubilation qu'il a pu susciter. J'en ai moi-même été choqué. Cependant si le 7 octobre fut si douloureux, c'est parce que vous vous sentez intimement liés à Israël. Or depuis le 7 octobre, Israël accomplit à Gaza, en Cisjordanie, aujourd'hui au Liban, une oeuvre de destruction d'une violence insoutenable. Si le 7 octobre vous a si profondément marqués « en tant que Juif », que vous font, « en tant que Juif », les crimes d'Israël? Pour moi, la violence perpétrée par Israël me blesse infiniment plus que celle qu'il a subi car je pense comme Platon qu'il vaut mieux subir l'injustice que la commettre, l'injustice que l'on subit ne blessant que le corps, quand celle que l'on commet est le signe de la corruption de l'âme »
C'est que je n'ai ressenti dans aucun des discours prononcés à la tribune l'ombre d'une sensibilité à la violence israélienne mais, au contraire, une indifférence totale, à peine voilée par quelques concessions de pure forme: certes, les revendications palestiniennes ne sont pas sans fondement, on a bien sûr le droit de critiquer Israël... Déclarations qui n'engagent à rien, portées au dernier degré de la vacuité par Sender Vizel déclarant qu' « on peut critiquer le gouvernement Israélien parce que tout être humain est critiquable ». Les mêmes qui s'insurgent souvent que l'on parle de Gaza comme si le 7 octobre n'avait pas eu lieu, parlaient du 7 octobre comme si Gaza n'avait pas lieu. La veille, pourtant, cinq-cents personnes avaient trouvé la mort au Liban. Comment une telle attitude est-elle possible? Elle était si manifestement unanime que j'ai renoncé à poser ma question et préféré quitter la salle.
La nuit passée, mon indignation reste entière. Depuis le 7 octobre, j'ai écrit de nombreux textes pour nuancer la vulgate antisioniste qui réduit Israël au fruit d'une idéologie raciste et coloniale. Il y a une raison pour laquelle un homme comme Vladimir Jankélévich a pu jurer fidélité indéfectible à Israël: Israël était, après la Shoah, la renaissance des Juifs en tant que peuple, la fière affirmation de leur droit à l'existence, droit inconditionné au bon vouloir de qui que ce soit. Cependant Jankélévich lui-même, si profondément marqué par la Shoah, finit par aller manifester devant l'ambassade d'Israël contre la première guerre du Liban. C'est que son admirable dignité n'avait pas étouffé sa conscience de l'autre.
Alors qu'Israël a semé en une année plus de morts et de dévastation que dans toute son histoire, on n'ose exhorter les intervenants à la soirée du MAHJ, glaçants d'indifférence, à contempler le visage de l'autre, les visages des morts, des mutilés, des exilés, pour raviver en eux cette conscience.