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Billet de blog 26 novembre 2021

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Nicolas Hulot et moi

En regardant l’émission d’Envoyé Spécial consacrée à Nicolas Hulot, en écoutant les dénégations de celui-ci, impossible de ne pas être replongé dans le temps d’avant – avant #meetoo. Celui de ma jeunesse. De la collision entre le témoignage des victimes et celui de l’accusé ressort pour moi une hypothèse : qu’il soit coupable et se pense innocent.

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En regardant l’émission d’Envoyé Spécial consacrée à Nicolas Hulot, en écoutant les dénégations de celui-ci, impossible de ne pas être replongé dans le temps d’avant – avant #meetoo. Celui de ma jeunesse. De la collision entre le témoignage des victimes et celui de l’accusé ressort pour moi une hypothèse : qu’il soit coupable et se pense innocent. Car tous les actes racontés par les victimes ont pu être perpétrés par lui sans qu’il pense avoir franchi les bornes du rapport de « séduction ». L’occasion de revisiter quels étaient, il y a vingt-cinq ans, pour moi et probablement pour beaucoup d’autres, les implicites de ce rapport.

            C’était un rapport violent. Pas uniment violent bien sûr, profondément ambivalent ; mais au fondement était l’idée d’une « guerre des sexes » et la détermination à imposer sa volonté à une femme. Imposer sa volonté, ce n’était pas agresser, c’était être viril. C’est que l’idée était ancrée de la femme qui, éduquée à la pudeur et la réserve, n’osait pas obéir à ses désirs. Il fallait donc faire prévaloir son corps contre son esprit, donc la toucher. Si, sous la pression, elle cédait, on ne pensait jamais qu’elle le faisait contre son gré, pour que ça cesse, on se disait qu’on avait triomphé de ses réticences et qu’ayant éveillé son désir sexuel, on était dans son droit. Je pense à Sylvia dont Nicolas Hulot a exigé une fellation. Lui prendre la main, faire pression sur la nuque ; si elle crie, si elle se débat, si elle griffe, on cesse ; mais si elle se penche docilement, on se moque bien de ce qui se passe dans son esprit car le sexe a toujours raison. Et si elle sort de la voiture en courant, sans se retourner, on se dit qu’elle n’assume pas, que ses pudeurs la reprennent, mais on n’en reste pas moins convaincu qu’elle n’a pas obéi sous notre contrainte, mais sous celle des désirs que nous avons fait naître.

            Quant à sa douleur, sa peine, le traumatisme qu’elle conservera de l’agression, on n’en a aucune idée. Ou plutôt, pire, on pense qu’elle a été initiée à quelque chose, qu’elle est entrée de plain-pied dans cette condition de femme qui consiste à reconnaître, par l’homme, la supériorité de son propre corps sur son esprit.

            Bien sûr, il y a lutte entre Nicolas Hulot et Cécile, agressée dans un taxi, qui se débat et frappe Nicolas Hulot au visage alors qu’il lui touche les seins et les jambes. Il a fini par battre en retraite. Trop tard, l’agression avait eu lieu ; mais, pense-t-il sans doute, c’est une petite bousculade qui n’est qu’une extension du domaine de la lutte de séduction. A cette époque-là, dans la tête de cet homme et de bien d’autres, l’agression ne commence qu’avec le viol avec violence. L’émission ne dit pas ce que dit précisément Pascale Mitterrand, si Nicolas Hulot a agit avec la brutalité à laquelle aucun homme n’a jamais pu se tromper.

            Et la collaboratrice qu’il essaie d’embrasser. Quand, en regardant la série Friends, je voyais les garçons demander l’autorisation aux filles de les embrasser, je croyais que c’était un gag. Le premier baiser, pour moi, était toujours volé. On se fiait à des signes qu’on pouvait mal interpréter ; on pouvait aussi espérer en la surprise des sens ; et un baiser non consenti ne pouvait pas prêter à conséquence.

            Ainsi de suite. Une ignorance absolue de ce qui pouvait se passer dans l’esprit des femmes, ignorance dont je prends progressivement conscience avec #metoo, ignorance qui d’ailleurs n’avait pas vocation à se dissiper car la femme était l’Autre, l’incompréhensible, l’objet de crainte et de désir.

            Séduire – besoin vital. Je tenais beaucoup plus à la séduction qu’au plaisir sexuel et je sais que bien souvent, le fait de l’obtenir me faisait davantage plaisir que le rapport lui-même. Un homme qui ne séduit pas n’est rien.

            A posteriori, je n’ai pas de difficulté à trouver dans tout ce qui m’entourait – amis, mœurs de lycée, produits culturels, ce qu’on qualifie aujourd’hui de « culture du viol ». « I love the way that you scratch my back », chante Mick Jagger dans Stray Cat Blues à une fille qui a quinze ans dans la version studio, treize ans dans la version live, et Rock N’Folk se délectait de cette audace.

            Il y a une sidération rétrospective à avoir été partie prenante de la violence de ces rapports de « séduction » - ou plutôt « rapports » de séduction. Ils s’inscrivaient dans un univers si clos, où penser autrement était à tel point inimaginable, qu’on ne sait trop quoi faire de son passé.

            Nicolas Hulot, superstar, séduisant, séducteur, convaincu que nulle ne pouvait ne pas le désirer, a poussé au plus loin les violences ordinaires des hommes de son temps, aggravées par le pouvoir et la notoriété. Peut-être n’a-t-il pas fait ce qu’à l’époque beaucoup d’hommes considéraient comme la seule forme d’agression sexuelle, le viol avec violence. Sans doute se croit-il innocent. Il n’empêche : comment peut-il ne pas prendre aujourd’hui conscience des souffrances infligées hier ? S’il est, comme il le pense, un homme guidé par le respect, comment peut-il en avoir si peu pour la parole de ces femmes ?

            Se poser cette question, c’est croire en sa sincérité et retenir la thèse de l’aveuglement - qui ne devrait pas résister à la parole de l’autre. Bien sûr, je peux me tromper entièrement. Combien de dénégations d’une candeur totale avons-nous entendues de la part de gens qui se sont révélés menteurs patentés? Dans un autre contexte, je me souviens d’Eva Joly racontant que, lorsqu’elle interrogeait les suspect de l’affaire Elf, ils niaient avec un tel aplomb, une telle émotion qu’elle gardait sous sa main la pile de pièces à conviction dont elle disposait pour s’accrocher au réel.

            Sauf le mensonge, le déni de Nicolas Hulot éclaire du moins la dissonance cognitive à laquelle doivent faire face les hommes de quarante ans : leur image d’eux-mêmes est irrémédiablement ébranlée par la découverte de ce qu’ils furent pour celles qu’ils croyaient avoir séduites. S’enfermer dans le déni pour protéger cette image, c’est trahir ce qu’on croyait être et perdre toute chance de l’être un jour.

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