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Billet de blog 20 mai 2018

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L'évacuation de la ZAD ou chronique de la violence ordinaire du Kapital

"L'homme préfèrera vouloir le néant plutôt que de ne rien vouloir" Nietzsche. Généalogie de la morale.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

              La réponse du gouvernement français à l’occupation de la ZAD ne doit pas se comprendre comme une simple opération de police particulièrement musclée. Il faut être sensible aux soubresauts qui agitent l’histoire. Nous sommes à un moment particulièrement incertain du devenir humain. D’énormes contradictions à la fois écologiques, économiques, politiques, démographiques, sanitaires etc… se profilent à l’horizon. La réplique gouvernementale à l’occupation de la ZAD témoigne simplement du fait que ce gouvernement et ceux qu’il représente sont totalement indifférents à cet état de fait. Les belles paroles de notre Président lors de la COP 21 se dissipent au rythme endiablé des reculades du ministre de l’environnement et la répression qui s’abat sur le bocage nantais n’est que l’éclatante confirmation de l’aveuglement indifférent de nos élites ou leur optimisme démesuré ce qui revient ici à un entêtement dont on peut affirmer le haut niveau de délire.
 

Une réponse rationnelle au mouvement de contestation, après l’abandon du projet aurait été d’autoriser l’occupation et d’évaluer ensuite le bilan de l’opération. Au lieu de cela, le gouvernement a préféré choisir l’ultimatum et le conflit alors que l’occupation en elle même ne génère aucun trouble public. Les habitants de la ZAD ne sont pas en conflit avec les habitants de la région, certains des occupants sont des agriculteurs sur les lieux depuis des années. Alors pourquoi cette réaction policière aussi vindicative? 



              On serait tenté de penser à l’instinct de vengeance qu’il ne faut jamais négliger dans les affaires humaines, même dans les plus hautes sphères, peut-être surtout dans ces dernières particulièrement. On fait payer aux occupants tout ce bel argent perdu qui aurait été créé par le bétonnage d’un nouvel aéroport et surtout par son activité : taxes payées par les compagnies, des centaines d’emploi, les boutiques à l’intérieur etc… ce sont des centaines de millions qui passent à l’as et cette perte méritait sans doute une punition. 


              Pour ma part, je pense que la réaction particulièrement robuste du gouvernement doit se comprendre comme un signe qu’il veut fort et clair à toute velléité politique un tant soit peu alternative. En effet la ZAD a été un formidable laboratoire d’expérimentations diverses et variées de nouvelles (ou anciennes) modalités de vie en commun. Des manières autres, différentes, à l’encontre des choix techno-industriels modernes, de construire une existence politique, et de vivre au sein d’un espace naturel avec lequel les relations seraient plus harmonieuses, moins violentes et en fin de compte non-destructrices des équilibres vitaux. le rapport à l’animal a été aussi réfléchi, de nouvelles méthodes d’élevage, des réflexions sur les nourritures, et les cultures sans protéines animales, permaculture, nouveaux usages des matières et matériaux, des entreprises de recyclages systématiques, des recherches sur les matériaux d’habitats, en bref c’est une mine et une profusion d’informations que les habitants de la ZAD étaient en train de récolter, des informations qui seront extrêmement utiles au moment ou notre civilisation va entamer son processus de dislocation de manière marquée; mais surtout la ZAD est l’expérimentation vivante du fameux propos d’Aristote : « L’homme par nature est un animal politique », ce qui signifie que l’être humain vit nécessairement en cité pour réaliser son humanité c’est-à-dire, dans un monde humain qui est d’abord un monde commun, commun par le langage, par les échanges, par des règles communes. Et ce commun a été organisé, fabriqué et arrangé par les habitants de la ZAD dans une formidable tentative d’édifier une nouvelle forme de cité pour nous, nous qui sommes douloureusement maltraités par l’individualisme mortifère qui ronge nos sociétés. La ZAD a mis en première préoccupation et au premier plan de ses choix de vie, des modes d’organisation afin que le système mis en place puisse être réellement bénéfique pour tous. Ce souci du commun qui quitte progressivement les consciences collectives, effacé par 35 ans d’idéologie historiquement individualiste qui ont pratiquement dissout le lien social républicain. D’où entre parenthèse les tentations communautarismes qui agitent notre corps social. 


              Ainsi j’interprète les choix policiers et répressifs de ce gouvernement comme une forme de rétorsion pour faire taire tout projet de vie, toute intention politique un tant soit peu alternative et réellement différente. Certes, les occupants de la ZAD sont éminemment pacifiques, mais pour un gouvernement aussi férocement libéral, un programme politique qui prend une direction aussi radicalement contradictoire à leur schéma politique constitue une violence et une agression insupportable à leurs yeux.

              Un monde capitaliste qui détruit la nature et les hommes se retrouve face à un essai de vie politique qui protège les hommes et la nature… Malaise…

             LA ZAD est la réfutation vivante des choix libéraux dont la seule finalité est le profit et la seule valeur l’efficacité. La ZAD est le retour à une vie politique authentique faite de réflexion en commun non pas seulement sur le commun mais aussi sur le pourquoi des choix, les buts à atteindre. 

 La pensée technocratique telle qu’elle a pu être décrite par Adorno ou l’école de Francfort en général a toujours été critiquée pour son aveuglement à la question des fins de l’action. Pourtant selon Hannah Arendt, le dialogue ou les débats sur les fins de l’action dans l’espace politique est une des conditions d’une liberté politique réelle et effective. Une démarche politique qui ferait l’économie d’une réflexion sur les fins des actes serait un régime autoritaire voire pire. Or, les « experts », les 1ers de promotion de l’ENA ou de polytechnique sont sans doute extrêmement compétents pour évaluer et énoncer les solutions les plus efficaces, mais semblent incapables de saisir cette vérité simple : dans le monde humain ce qui est possible et efficace n’est pas toujours ce qui s’avère le plus souhaitable et la fausse objectivité et neutralité techniques de l’expertise dissimulent toujours des choix idéologiques et donc politiques. 



             Ce sont donc ces choix que laisse apparaître cette évacuation policière, choix d’une vie tournée contre elle même au nom du fétichisme de l’argent, au nom d’une pensée régressive faite d’ignorance, de stupidité avide et d’arrogance peureuse. Le monde du Capital ne laissera jamais se développer des essais de ce type, car ils le remettent en question de manière bien plus radicale que n’importe quel pavé lancé par un Blackblock. Il ne pourra tolérer que des choix de vie alternatifs puissent exister avec lui, en même temps que lui, car ces choix de vie font apparaître en creux et de façon éclatante combien le mode de vie moderne fondé sur le seul échange économique et marchand est délirant, toxique, nuisible et mortel.

© r_macherel

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