Mélenchon victime de l'hyper réel

Dans son maître livre Les stratégies fatales (1983), Baudrillard invente un terme « L’Hyper réel » pour désigner la réalité virtuelle que le monde médiatique dans son ensemble (info et entertainment) est en train d’imposer à la conscience des sujets individuels. La réalité devient un gigantesque simulacre soumis à un relativisme radical (tout le monde a raison de son point de vue) au sein duquel les catégories de Vérité, de Fausseté, d’Erreur et d’Illusion deviennent des équivalents symboliques sans aucune efficacité opératoire qui permettrait de les distinguer et de les hiérarchiser entre elles. Rien n’est vrai, parce que plus rien n’est faux, juste un échange inflationnaire de signes qui sature l’espace du symbolique dans une prolifération qui empêche justement toute assignation signifiante consistante. 


L’élection présidentielle et le succès de Macron participe de cette hyperréalisation du réel. Macron, candidat au discours d’une rare inconsistance et d’une vacuité abyssale a été prescrit comme le meilleur candidat par la puissance médiatique avec une énergie d’une rare intensité à ma souvenance des élections depuis 1981… Même Balladur n’avait pas bénéficié d’une pression médiatique sur les citoyens aussi impétueuse et accentuée. 


Mais nous assistons depuis les résultats du 1er tour à un approfondissement et une augmentation de cette virtualisation du réel sous la forme de la (fausse) polémique induite par le prétendu silence de Mélenchon. Son refus d’appeler au Front Républicain est interprété comme une trahison des valeurs républicaines (au mieux) quand ce n’est pas directement traduit comme un signe d’allégeance à l’égard du fn. Au delà du scandale que constitue cette représentation de JLM et du mouvement des Insoumis, nous pouvons y déceler ce que Mélenchon a bien compris : une stigmatisation qui vise d’abord essentiellement à disqualifier le mouvement pour les législatives. 

Mais revenons au scandale langagier et aux attentats symboliques dont le mouvement est victime depuis une semaine. 

Constatons la force de l’hyper-réel et sa capacité à inverser la réalité et à la faire marcher la tête en bas : le mouvement des FI et le talent de JLM sont les seuls depuis 35 ans(!!!) depuis les européennes de juin 1984 à avoir sérieusement et substantiellement écorné le score du fn chez les classes populaires. En 10 ans le mouvement d’idées de Mélenchon a réussi une progression auprès de l’opinion inédite sous la cinquième république. En moins de 10 années il parvient à talonner le fn, lequel sature l’espace public avec la complaisance médiatique que l’on sait depuis 35 ans! Mélenchon est le seul et réel adversaire du fn qui a réussi à le rattraper en lui ôtant un nombre d’électeurs considérable. Le seul. Et c’est lui dont le système médiatique (avec une rare impudence compte tenu du fait, pour un nombre substantiel de médias dont j'exclus Médiapart, de leurs antécédents collabo avec le fn) reconstruit une représentation qui en ferait quasi un allié de ce parti! En revanche ceux qui s’indignent, et en particulier les socialistes qui osent s’exprimer sur le sujet sont bien ceux qui n’ont absolument rien fait de consistant contre ce parti… La droite elle s’étant contentée de reprendre ces idées et leur donner un degré de légitimité supplémentaire dans l’espace politique.
Donc, tout ce beau monde tombe à bras raccourcis sur le mouvement et JLM alors que l’action de ces mêmes qui étaient au pouvoir n’a consisté qu’à renforcer ou justifier les idées frontistes. On invente une culpabilité imaginaire, un simulacre d’accusation pour faire oublier leur propres indignités face au fn. On intente un procès sur une charge fictive à celui qui (dans le monde réel et non hyper réel) reste le seul à ce jour à avoir fait reculer significativement le parti de la haine. 


Et les propos d’A. Corbière (pas une voix au fn), la consultation des électeurs qui ne propose pas l’option du vote frontiste aux insoumis, tout cela ne change rien pour le système producteur de simulacres. On sort un sondage d’un journal de droite qui affirme qu’un cinquième des Insoumis voteraient fn, on traite JLM de dictateur, mais pas un seul de ces beaux esprits ne prend la mesure de l’accusation-imposture hypocrite et sournoise qu’ils ne cessent de relayer. Le combat politique ne se passe plus dans le réel, c’est en cela que consiste maintenant son abjection. Un simple déferlement de com sans aucune signification politique ou axiologique,  sinon celle des privilèges qu’il s’agit de conserver. Et à cette fin, tous les coups sont permis, même réinventer la réalité politique sous forme d’un conte pour adultes où les rôles de méchant et de gentil sont distribués à l’avance selon les normes les plus éloignées de l’intérêt général. Car si tous ces courageux justiciers avaient à coeur de vaincre le fn, le premier geste serait déjà de reconnaître le travail de la FI et la remercier pour avoir contribué à élever la conscience politique de ses électeurs et à éloigner un peu le spectre de la bête immonde. Mais la défaite, voire la disparition  du fn n’est pas le premier souhait de la sphère médiatico-politique dominante qui préfère s'en indigner de maniére ostentatoire sans rien faire, mais s'en réjouir lors du dîner du Siècle... En effet, la plus grande peur des dominants n'est pas le fn, mais bien un gouvernement de gauche réel qui leur diminuerait leurs avantages, leurs passes-droit et leur pouvoir. Citons Gérard Granel le traducteur de la Krisis de Husserl qui écrit dans la préface rédigée par ses soins: « le fascisme est le vrai visage du capitalisme lorsque tous ses masques ont été ôtés. »