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Billet de blog 6 février 2022

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Le mythe de la Méritocratie. « La bonne conscience des gagnants du système »

La méritocratie est évoquée par toutes les grandes écoles. Commerce, droit, politique, toutes prônent le mérite personnel pour justifier la réussite de chacun. « Vous êtes l’élite de la nation », voilà ce qu’entendent les étudiant.e.s dès leur arrivée à SciencePo ou l’ENA par exemple. S’iels sont là, c’est qu’iels sont, par essence, différents des autres et c’est ce qui leur permettra de réussir.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Angers, Mai 2021. © Clémence Rio


« Nous réussissons dans la vie parce que nous travaillons dur, par nos qualités individuelles et par notre persévérance. Nous sommes personnellement responsables de nos échecs et de nos réussites dans la vie ». Séduisant à première vue, mais vision qu’il est encore aujourd’hui important de remettre en cause.


Le mérite, politique néolibérale

Système utilisé notamment par la politique néolibérale, par les représentants du gouvernement et par l’élite bourgeoise, la méritocratie ne fait qu’invisibilisé les rapports de dominations et de discriminations qui traversent notre société. Les plus hauts postes seraient obtenus par les plus méritant.e.s, par les meilleurs parcours scolaires, par l’excellence. Chacun.e serait égalitaire face au mérite et à égalités de droits et de privilèges pour conquérir sa place dans l’ordre social.


« Quand on veut, on peut »

Cette vision néolibérale occulte tous les éléments exogènes qui viennent impacter notre réussite. C’est un fait, le poids de la classe sociale demeure plus important que celui de l’effort dans la réussite. Ainsi, sept enfants de cadre sur dix exercent à leur tour un emploi de cadre. À l’inverse, sept enfants d’ouvrier sur dix restent cantonnés à un métier d’ouvrier. 
Les possibilités de chacun.e varient donc avant tout selon le capital économique, social et culturel à la naissance. Un capital élevé favorisera un meilleur accès à la réussite. À l’inverse, un capital restreint apparaîtra défavorisant. Ce n’est pas pour rien que 2/3 des étudiant.e.s des grandes écoles sont issu.e.s de catégories sociales très favorisées quand seulement 9% proviennent de milieu défavorisé. Avant même nos « qualités individuelles » la réussite se fonde dans l’héritage familial. Plus encore, nos qualités intrinsèques même sont conditionnées par cet héritage. Celui où celle grandissant dans une famille aisée sera mieux conditionné aux exigences du système, aura accès à tout un ensemble de privilèges durant son éducation qui l’équipera des outils de réussite.


Principe d’intersectionnalité

L’intersectionnalité est un principe issu du milieu universitaire. Il tend à mesurer la pluralité des discriminations de genres et de classes. On étudie les discriminations dont les minorités sont victimes, comme les femmes, les personnes racisées et les LGBTQI+. Le principe d’intersectionnalité a permis de penser de façon plurielle les dominations de classes, la domination masculine et tout autres axes de discrimination. Il a notamment permis la convergence des luttes contre le sexisme, l’homophobie et le racisme. L’intersectionalité reste un un principe que nie la politique méritocratique. Naître blanc, homme, cis, en France, dans un milieu favorisé sont des privilèges à prendre en compte avant même nos « qualités intrinsèques ». Nous ne réussissons pas par nos propres choix, par notre travail, notre acharnement. Nous réussissons avant tout grâce à nos privilèges.


L’illusion du self made man - women

Il y a bien évidemment des personnes qui réussissent à sortir de leurs conditions sociales malgré les discriminations. Mais cette réussite ne peut être structurelle. Et la seule poignée de prolétaire qui réussissent à atteindre une position sociale supérieure ne fait que le bonheur du néolibéralisme. Il faut bien continuer l’illusion du mérite. À l’inverse, on stigmatise celles et ceux qui n’y arrivent pas, par manque d’effort.


Le mérite à l’avantage des mieux loti

Le système méritocratique est un véritable outil d’oppression des classes populaires. C’est un « principe de légitimation (…) pour les catégories sociales dominantes, qui peuvent proclamer qu’elles ont mérité leur sort ». Elle est là « bonne conscience des gagnants du système »*.
Alors certes, les privilèges n’enlèvent pas le travail accompli, l’acharnement et la persévérance. Mais il reste maladroit de parler de mérite quand, dès le départ, nous avons plus de chances de réussir. 
La méritocratie, sous couvert d’universalisme, ne fait qu’entretenir la reproduction de classe, autrement dit la transmission des positions sociales génération après génération. Camille Peugny, spécialiste de la mobilité sociale et des inégalités entre générations, écrit : « les conditions de la naissance continuent à déterminer le destin des individu.e.s, (…) il est inacceptable que le destin des individu.e.s soit figé si tôt »*.

*David Guilbaud, L’illusion méritocratique, 2018. 
*Camille Peugny, Le destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale.

Macron, président des classes dominantes

Face à cela, les propos d’Emmanuel Macron paraissent complètement à contre-courant. Le 13 janvier 2022 il déclarera vouloir supprimer la gratuité de l’enseignement supérieur. Une belle mesure contre toute mobilité sociale. Filtrer les entrées des universités, c’est ce qu’il avait déjà mis en place au début de son quinquennat avec l’arrivée de « Parcours Sup », plateforme utilisée par les étudiant.e.s pour entrer dans l’enseignement supérieur. Le tri social à l’entrée des universités, c’était donc l’une de ces premières mesures. Macron aura ainsi été le premier président à avoir imposer cette sélection à l’université.

« Non, la sélection à l’université n’est pas la bonne solution ! Au contraire, l’université doit être ouverte à toutes et à tous ». Ceux qui ne sont rien, Taha Bouhafs, 2022.


Rédaction par François Perdriau, avec la participation de Clémence Rio - Orsinos. 


SOURCES:

Macron et l’université payante :

https://www.google.fr/amp/s/m.huffingtonpost.fr/amp/entry/macron-accuse-de-vouloir-rendre-luniversite-payante-avec-sa-reforme-systemique_fr_61e17600e4b04bb0aa0d6b38/

Intersectionnalité, Libération :

https://www.google.fr/amp/s/www.liberation.fr/debats/2015/07/02/intersectionnalite-nom-concept-visant-a-reveler-la-pluralite-des-discriminations-de-classe-de-sexe-e_1341702/%3foutputType=amp

La méritocratie, Télérama :

https://www.telerama.fr/debats-reportages/la-meritocratie-a-la-francaise-un-mythe-sans-merite-6998649.php

Camille Peugny, Le Destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale

https://www.cairn.info/revue-sociologie-2013-3-page-353.htm?contenu=resume

Pourquoi je suis contre la méritocratie, blog Mediapart :

https://blogs.mediapart.fr/marcuss/blog/261020/pourquoi-je-suis-contre-la-meritocratie

Ceux qui ne sont rien. Taha Bouhafs. 2022.

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