Bon, compromis, chose due, merci aux gens qui ont partagé le fil Twitter et l'article précédents, voilà donc des suggestions autour de la question soulevée : comment résoudre les problèmes de dissonance cognitive chez les gens de droite.
Désolé, changement de fusil d'épaule, nous évoquions initialement comment les gens partent en cacahuète à cause de leur incapacité à réconcilier les idées dans leur tête, une vue très dézoomée s'il en est, et ici, on va commencer par parler d'un cas spécifique. Le miens.
Je déteste ce que je suis en train d'écrire pour 3 raisons :
- En l'écrivant, la technique que je vais vous donner devient publique et donc moins efficace
- J'ai vraiment beaucoup trop l'impression de faire du moi moi moi sur un sujet politique ça me fait grincer des dents..
- Je pense que vous allez comprendre pourquoi à mesure que je vous raconte, mais je ne voulais pas rendre ça public, peut être que je détaillerai à la fin précisément pourquoi.
Bon... Je relucte, je relucte, mais c'est parti ?
On est en 2017 à peu près quand ça commence. En gros, quelque part entre la fin du gamergate (un mouvement conservateur réactionnaire et misogyne dans le milieu du jeu vidéo qui a radicalisé plein de jeunes gens en ligne) et le début de la monté de l'Alt Right. Gamergate a innové sur plein de tactiques de radicalisations et de harcèlement très bien expliquées dans la série de video "Why are you so angry" de Ian Danskin que je vous recommande chaudement.
Gamergate c'est le creuset d'une radicalisation en ligne de jeunes gens qui sont très très pris dans ce qu'on décrivait avant : la dissonance cognitive qui mène à adopter des comportements à minima antisociaux (harcèlement menaces de mort) allant de plus en plus loin. La suite de cette montée en tension c'est la création de tout un tas de sites de fake news et de propagande d'extrême droite qui accompagne et promeut l'ascension de Trump et l'implosion du camp Républicain, la droite traditionnelle américaine. Oui ce moment là est un point pivot important où plein de gens généralement à droite vont faire exactement ce qu'on a décrit et devenir de plus en plus déglingués et loin de la réalité. Mais trève de contexte, notre histoire se passe sur le Twitter francophone.
Un jour, comme à leur quotidien, des copines féministes se font harceler par des jeunes gens du 12-25. Et comme je suis un homme, et que je les défend je reçois en DM des centaines d'insultes et de menaces de morts, probablement environ 0,0001% de ce que reçoivent mes potes meufs En particulier, je participe aux "take downs" la pratique d'attraper un tweet particulièrement con d'un compte anonyme et de se foutre publiquement de sa gueule. Depuis l'apparition des tweets cités en 2015 on se fait un malin plaisir à humilier les abrutis misogynes.
Et puis un jour je sais pas ce qui m'a pris, au lieu de report les dm d'insultes ou de juste supprimer les messages, j'ai répondu. C'était idiot et inutile me suis-je dit, mais bon... Et le mec a engagé la conversation. Sur un ton vraiment nul et insultant. De mémoire il était 4h, il se faisait probablement chier, alors on a discuté de féminisme jusqu'à 6h du mat. Moi j'ai juste rabâché des idées que des féministes m'ont dit, rien de très innovant, rien qu'il n'aurait pu apprendre dans les 2800 liens et bd et vidéos que des femmes lui ont envoyé
Mais moi, surement parce que je suis un homme, parce que je suis dans le jeu vidéo, un milieu qui fait rêver les mômes, sûrement parce que sur ma photo de profil je suis blanc, j'ai barbe et des gros muscles et que je ressemblais à "un mec un vrai", quelqu'un pour qui en principe il a du respect, il m'a écouté.
Peu à peu il a mis de l'eau dans son vin, et je me suis dit que faire ça, c'était plus efficace que quand je me foutais d'eux et que je les humiliais publiquement. Alors j'ai répondu à tous. Ça m'a pris... Des heures. D'heures c'est devenu des semaines, des mois. J'ai fait ça pendant 2 ans. À chaque fois que je voyais un petit con tweeter une idiotie raciste ou sexiste ou venir m'insulter, je lui parlais.
Oui, je suis désolé. Ma solution à ce mouvement massif et monstrueux de gens qui sont prêts à s'armer pour flinguer des bières c'est de leur parler. Et ça me soule de vous dire ça. Parce que j'aimerais vous dire "le gouvernement devrait", "Twitter devrait" mais vous n'avez aucun impact sur tout ça, moi non plus. Et Twitter et le gouvernement du moment font vraiment plus partie du problème que de la solution.
Mais, n'abandonnez pas ce thread déprimés, parce que cette solution fonctionne vraiment. Je vous explique comment la déployer en quatre règles cardinales :
- Avant tout, c'est en privé, toujours en privé, à deux. Que ce soit votre oncle raciste ou un random sur internet, s'ils ont une audience, même d'une seule personne, ils ne changeront jamais d'avis.
- Vous n'êtes pas là en votre nom propre pour défendre vos idées. Votre égo part à la poubelle, vous ne comptez pas, vos affects politiques non plus ne comptent pas.
- Vous n'allez QUE formuler des questions. Votre but c'est de remonter à la racine de la dissonance cognitive
"Pourquoi tu veux que les migrants meurent ?", "Pourquoi tu veux qu'ils ne nous envahissent pas ?" "Est ce que toi si tu étais à leur place né dans la misère tu ne voudrais pas emmener ta famille vers un pays meilleur ?" etc.
C'est la partie la plus longue. Ça dure... des. plombes. En face on a des gens qui comprennent rien à rien, qui s'entêtent, qui répondent à côté. Mais rappelez vous, vous êtes pas là pour donner votre avis, vous êtes là pour éplucher la dissonance. Oui, vous allez y passer des plombes. Au bout d'un moment, ces ados par centaines à qui j'ai parlé, ils finissent par écouter. Pourquoi ? Parce que dans la discussion, j'ai passé des heures à les relancer. Ils sentent une sincérité de ma part, ils me rendent la politesse. C'est ce moment là qu'on cherche. Là on va avoir des gens qui font pas semblant, qui sont pas en posture auprès de leurs potes, qui sont pas là pour jouer à qui crie le plus fort ou qui humilie le mieux l'autre. On va descendre doucement jusqu'à pouvoir opérer directement sur la dissonance.
On peut apporter une pointe de son avis, peut être une ressource extérieure si c’est très court, mais dire à quelqu’un « la conversation ne continue pas tant que t’as pas lu l’intégralité d’Angela Davis et de Bell Hooks » ne mène nulle part. En plus, leur demander de faire des efforts, c'est le minimum de ce qu'ils devraient faire, mais eux le perçoivent comme de la condescendance.
À la fin, accompagnez la résolution de la dissonance avec la même patience. Est-ce que tu penses qu’une bonne personne menacerait de mort quelqu’un sur les réseaux. Est-ce que tu penses qu’être un bon homme c’est traiter les autres de pédale ? Et à la fin, on prie pour que ça marche, et ça marche. Qui a le temps de faire ça me demanderez-vous ? Personne. Clairement personne. Enfin si, vous, une fois. Et moi, deux. P'tet lui une fois aussi, et lui une autre. Ensemble, on a (un peu) de temps. Suffisamment ? J’en sais rien. J’espère assez pour faire une différence.
Le monde ne change pas pour le mieux par des grands actions et des coups de canons, mais quand des millions de gens veulent qu’il soit meilleur et sont prêts à investir ce qu’ils ont à mettre, de leur temps à leur vie dans l’incertain espoir de ce changement.
Le 4eme point cardinal c’est le suivi. Repiquez quelques semaines plus tard, montrez de la gentillesse si votre interlocuteur a été attentif et courtois. Le suivi aide la machine interne à continuer à tourner et les empêche de vous disqualifier, de jeter ces idées à la poubelle pour repartir comme en 40 dans leur stratégie d'évitement.
Est-ce que ça marche ? Oui. Mieux que je ne pouvais l’imaginer. Avec de la patience, ça marche quasiment à tous les coups du moment que votre interlocuteur ne décroche pas. C’est ça qui m’a donné de l’espoir, qui m’a fait continuer.
Et vous voulez savoir le plus drôle ? Un jour je vais à ma salle d’escalade, y’a un petit gars qui me demande « bonjour vous êtes Oscar Barda de twitter ? ». Et c’était un de ces mecs là. Et il m’a expliqué qu’il était sorti de son cycle d’auto détestation, d’incel, de colère contre les femmes après notre conversation. Moi je sais que ça n'est pas grâce à moi, que je n'ai fait que répéter les arguments que des femmes ont écrit avant moi (je lui ai déjà dit) et que j’en récolte des lauriers. Mais surtout, je culpabilise à ce moment là. Parce que moi, je sais pas qui il est. Il est un parmi des centaines de comptes anonyme avec des images de manga à qui j’ai répété et copié collé les mêmes arguments en les écoutant désosser leurs dissonances cognitive en direct. Mais je l’ai recroisé souvent, et je suis content qu’il devienne peu à peu un mecton plutôt cool.
Vous voyez maintenant les trois points pour lesquels je ne voulais pas faire cet article :
- Pour que ça marche, il faut que la personne soit convaincue que vous l’écoutez sincèrement. Soyons honnête, des ados qui racontent tous les mêmes inepties misogynes, du coup j’en ai entendu des centaines répéter des milliers de fois les mêmes conneries. S’ils pensent que je les juge, que j’ai déjà décidé qu’ils avaient tort, ils ne parlent pas. Pourtant c’est exactement le cas, j’ai déjà décidé que les femmes n’étaient pas toutes des salopes, que les noirs ne sont pas tous des assassins, et je ne compte pas changer d’avis… Mais peu importe, l’important c’est que mon interlocuteur ne me croit pas insincère ou manipulateur.
- Bon, ça c’est entre moi et mon psy, mais c’était un peu une impression du devoir accompli d’avoir fait ce travail de sape en silence, pendant des années, de pas avoir déclamé sur les réseaux « regardez comme je suis un bon allié ». Voilà bon c’est accessoire mais c’était important pour moi de raconter à quelle échelle on peut le faire et combien ça peut changer des vies. Avec de vrais exemples dont je peux attester.
- Et enfin vous voyez sûrement maintenant pourquoi j’hésitais, je ne voudrais pas que ces mecs qui ont changé d’avis par ces conversations retombent dessus et pensent qu’ils ont subi un lavage de cerveau. L’objet de cette « technique » discursive est d’accompagner les gens dans leur décente intérieure, pas de les manipuler pour qu’ils soient de votre avis. Mais il se trouve que souvent, quand on prend des gens qui ont déconnecté le réel de leurs valeurs et qu’on les rebranche ensemble, le miracle s’accompli.
Prévoyez juste du savon pour vous laver les yeux de toutes les horreurs que vous avez lu.
Pour finir sur ce diptyque, je vais répondre à quelques critiques légitimes et intéressantes qui m’ont été adressées sur les sujets évoqués.
« La dissonance cognitive, il y en a aussi à gauche ».
Oui. Tout à fait. Et d’ailleurs, la façon dont les gens à gauche vont tendanciellement s’en débarrasser (pas tout le monde évidemment) c’est la résolution. Si on me dit que manger de la viande est cruel et mauvais pour la planète, la solution authentiquement de gauche c’est d’en manger de moins en moins ou d’arrêter. Oui, on pense que c’est dur, que la vie va être moins goutue, on a de bons souvenirs avec la viande, mais je suis pas le Giec moi en fait, c’est pas moi qui décide des chiffres, et si nos valeurs c’est vraiment de sauver la planète et de protéger les animaux, je vois pas tellement d’autre résolution. Et oui, sur ce sujet là, on voit aussi des gens qui se disent de gauche et qui deviennent infectes, agressifs ou irrationnels.
« Tu psychologise le problème du fascisme »
Non. Je dis que le problème vient d’un conflit entre les intérêts matériels et les valeurs. J’insiste même sur le fait que l’évènement instigateur de ce conflit intérieur c’est le plus souvent l’intérêt personnel. Par ailleurs, les fascistes comme tous les autres ont un cerveau et réfléchissent avec donc tous les problèmes politiques sont aussi des problèmes psychologique. Mais pas que, clairement.
« C’est de la psychophobie de dire que ces gens sont fous »
Ça n’est pas ce que je dis. Si j’avais voulu dire « ces gens sont fous » je l’aurais écrit. J’utilise des espèces d’évitements ampoulés en disant fêlés justement pour ne pas parler de folie ou de maladie mentale. La maladie mentale, par définition est une maladie. On ne choisit pas d’être malade. Les fous n’ont rien à voir avec ces considérations qui sont politiques et délibérées. Et si parfois ce divorce avec la réalité est appelé de la folie, ça n’est qu’une faiblesse de la langue française qui n’admet pas la nuance entre une folie délibérée et une folie subie.
Bon, désolé, c'était très long dans un monde où l'attention est précieuse mais merci d'avoir lu et à bientôt pour un (trop) long thread sur la justice mes élucubrations là dessus vous intéressent ou si vous avez des idées, venez en dm ;)