Il m’est arrivé un de ces trucs l'autre matin ! J’vous raconte pas ! Bon, si j’vous raconte…
Parce que l’être humain aime les causes à effets, je vous recontextualise le joyeux bordel.
Il y a quelques jours, je lisais, confortablement installée dans un fauteuil en plastique dur de la médiathèque de mon quartier, un article de l’International New York Times intitulé « Twitter’s Broken Windows », écrit pas un journaliste collaborateur du journal allemand Die Zeit, Jochen Bittner.
http://www.nytimes.com/2015/03/26/opinion/jochen-bittner-twitters-broken-windows.html?_r=0
L’écrivain s’intéresse à la théorie de la vitre brisée (Broken Windows) formulée par James Q. Wilson et Georg L. Kelling dans les années quatre-vingt-dix qui part de la relation de cause à effet suivante : si la vitre d’un bâtiment est déjà brisée, il y a de forte probabilités que d’autres soient brisées à leur tour par des actes de vandalisme.
Utilisée à l’origine en criminologie pour expliquer l’augmentation des crimes et des délits dans les quartiers malfamés, Jochen Bittner l’applique aujourd’hui au harcèlement sur internet. Reprenons notre bâtiment qui se trouve être en réalité un magasin. L’auteur du premier acte de vandalisme qui a brisé la vitre étant inconnu, les prochains s’engouffrent dans le magasin déculpabilisés pour y voler. Est-ce que vous voyez où je veux en venir..?
Sur internet, et notamment les réseaux sociaux, où l’on se masque derrière un pseudo et une identité d’apparat, où les nouvelles (bonnes ou mauvaises) se répandent à un temps de Planck, une vitre brisée, une insulte proférée, une diffamation prononcée peut avoir un effet boule de neige dévastateur.
En 2012, Julia Probst, mal entendante, a dû mettre fin à sa campagne pour les élections parlementaires nationales allemandes et à sa carrière politique. La cause ? Elle reçut un nombre inimaginable de commentaires sur Twitter se moquant de sa voix. Jochen Bittner cite également le cas de Petra Pau, membre de la gauche allemande, et du député présidant le Bundestag qui après avoir appelé à plus de solidarité avec les réfugiés ont reçu de la part de leurs opposants extrémistes un surnom évoquant la chemise portée par les nazis. Le déchaînement de la violence sur Twitter ne s’est pas faite attendre avec une quarantaine de menaces physiques et de mort, un internaute suggérant même de pendre Petra Paul à un arbre dans un parc berlinois. Marcel Reif, célèbre commentateur sportif, a également été victime du lynchage sur internet et a été reçu par des insultes et des bouteilles en entrant dans sa loge dans un stade à Dresde.
Jochen Bittner interroge la responsabilité de Twitter qui n’a réagit jusqu’à présent à l’ampleur du phénomène que par la création d’un bouton permettant de dénoncer les tweets trop virulents. Que faire face à l’escalade de la violence ? Lizzie Velasquez, jeune femme atteinte du syndrome de Marfan et autrement connue sous le surnom sordide de « la femme la plus laide du monde », victime d’un acharnement en ligne international (photos, vidéos et commentaires sur les réseaux sociaux l’invitant au suicide) a annoncé le 15 mars au festival South by Southwest aux Etats-Unis qu’elle allait se consacrer à la lutte contre ce phénomène.
Et puis, il y a moi l'autre matin au réveil, à beaucoup moindre échelle. Si je vous raconte cette histoire, ce n’est pas pour inscrire ma toute petite histoire dans la grande de ces crimes contre la dignité sordides mais pour vous montrer que d’un commentaire déplacé, d’un quiproquo, on arrive vite à de la diffamation, au harcèlement (peut-être, c’est à craindre, mais je n’en ai pas fait l’objet).
Je fais partie depuis peu sur internet d’un groupe de français à l’étranger. J’ai demandé aux internautes des conseils sur les jobs dans le pays dans lequel j’aimerais travailler. J’ai reçu plusieurs réponses très cordiales et qui m’ont beaucoup aidées dans mes recherches mais ce matin, un commentaire m’a laissé plus que perplexe.
Sur ton profil tu invites à voter FN !
Je n’ai d’abord pas compris ce post et j’ai remonté le fil des commentaires pour comprendre comment on en était arrivé là pendant la nuit dans la conversation. Il se trouve qu’il arrivait… comme un cheveu sur la soupe ! Tout le monde parlait des petits plans boulots et là, d’un coup, cette personne parlait politique. J’ai lui ai donc demandé de s’expliquer. Elle a alors publiquement apporté la preuve qu’en 2012, j’incitais sur mon profil publique à voter Front National. Paniquée, choquée, atterrée par une telle diffamation, moi qui m’acharne à dénoncer les atrocités proferées par ce parti politique, j’ai remonté mon propre fil d’actualité et j’ai trouvé effectivement un article intitulé « Vote FN, vote ras le bol ». Il s’agissait d’un article d’un blog du Monde.fr qui décrivait la radicalisation d’une partie de la population et la montée du FN dans certaines communes françaises. Je l’avais lu, l’avais commenté, mais de loin en faveur du vote FN. Je m’explique cordialement dans le flot incessant des commentaires. Heureusement, certaine personnes semblent me défendre tout en légitimant ce genre de pratique (c’est normal, on essayerait de me connaitre puisque je suis nouvelle sur ce groupe). J’ai vite compris qu’il fallait fermer la fenêtre vite fait avant que cela ne dégénère. De toute façon, le doute était jeté, mon identité en interrogation : FN [ou pas].
Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’appareil législatif peut remédier à un tel phénomène de société et le ridicule petit bouton Twitter l’a largement prouvé. Depuis le 4 août 2014, le harcèlement en ligne est condamnable et les enquêteurs ont en cas de procédure pénale ou judiciaire la possibilité de découvrir l’anonymat des harceleurs. On peut donc déceler, condamner, protéger les victimes. Mais cela n’endigue pas pour autant le phénomène. De l’émotion au doigt sur le clavier, il n’y a qu’un clic. Incivilités constantes (non condamnables mais tellement désagréables !), escalade de la violence verbale, diffamation, harcèlement, humiliations ! Renforcer la législation… N’y aurait-il pas alors une escalade des condamnations à l’échelle des incivilités ? Qui arrêter ? Celui qui commence ? Celui qui poursuit ? Celui qui « like » ?
Et pourquoi pas une liste de vos amis et ennemis Facebook ?
Je n’ai pas la réponse miracle mais j’espère par ce petit article vous avoir sensibilisé sur ce phénomène car soigner les maux/mots par les mots, tel est mon credo !