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Il y a quelques semaines, une internaute, Emna Chargui, a partagé, sur les réseaux sociaux, un poème d'une de ses amies, intitulé "la sourate du coronavirus", qui se voulait un pastiche de versets du Coran, et qui incitait les tunisiens à respecter les consignes de confinement et de mesure d'hygiène. Voici un extrait de ce pastiche:
" Covid/ Et le virus mortel/ Ils sont étonnés de le voir débarquer de la Chine lointaine/ Les mécréants disent que c'est une maladie / Il n'y a pas de différence entre rois et esclaves, suivez la science et laissez vos traditions/ ne sortez pas acheter la semoule"/
Cette jeune étudiante de 26 ans a été convoquée au tribunal de police de la Kasbah de Tunis, et elle sera renvoyée devant le tribunal de Tunis à la fin du mois de Mai, pour "atteinte au sacré" et aux bonnes moeurs, autrement dit d'offense à l'islam et de blasphème. Le procureur a invoqué l'article 6 de la Constitution tunisienne de 2014, qui, dans une formulation ambigüe, indique que "l'État protège la religion", mais garantit en même temps "la liberté de croyance, de conscience et de l'exercice des cultes". L'avocate de la prévenue compte bien reprendre à son compte ce dernier argument pour plaider l'acquittement de la jeune femme."L'observatoire pour la défense du caractère civil de l'État", quant à lui, a pris position en faveur de la jeune internaute, en plaidant pour "la liberté d'expression", et note que la jeune femme, suite au texte qu'elle a partagé, a subit des insultes et des menaces. Le journal "l'Orient du jour", quant à lui, constate que la jeune femme, plutôt que de dénigrer une religion, fait "profession de foi" de suivre les "recommandations de la science", en mettant en garde ses concitoyens contre le non respect des règles de prudence édictées par les autorités, pendant cette période de crise sanitaire. Dans le journal "Kapitalis", Chérif Ferjani, universitaire s'emporte en parlant de mascarade concernant ces accusations, en expliquant que "l'atteinte au sacré" est une chose relative, dénonçant au passage le silence de certains de ses compatriotes, face à la destruction de certains monuments, pourtant classés au patrimoine mondial de l'UNESCO. Il rappelle que le pastiche fut un genre fort usité parmi des grands noms de la littérature arabo-musulmane. Dans une critique plus nuancée, le docteur Mounir Hamblia, toujours dans ce même journal "Kapitalis", rappelle néanmoins, que si la Constitution tunisienne consacre "l'Islam comme Religion du pays", les premiers siècles de l'Hégire ont néanmoins permis l'éclosion de "versets sataniques", c'est-à-dire critiques, et il s'interroge pour savoir si, sous le prétexte de combattre l'"atteinte au sacré", on ne cherche pas, dans ce cas précis, à fabriquer des boucs émissaires: il indique le précédent du film Persépolis, de Marjane Satrapi, qui, en 2011, avait valu au projectionniste des poursuites judiciaires, pour une représentation, à l'intérieur du dessin animé, jugée interdite. Il se demande si cette attaque en règle ne vise pas à permettre au "parti Ennadha, en perte de vitesse, de redorer son blason" par cette manoeuvre: il indique que la jeune étudiante tunisienne est la seule personne poursuivie, alors que le texte incriminé a été partagé par de nombreux autres internautes.
la Fontaine, en son temps, dans "les animaux malades de la peste" mettait en garde, contre la tentation de mal interpréter des catastrophes naturelles, et/ou de fabriquer des boucs émissaires:
"Un mal qui répand la terreur/ mal que le ciel en sa faveur/ Inventa pour punir les crimes de la terre/ La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)/ Capable d'enrichir en un jour l'Achéron/ Faisoit aux animaux la guerre"/ (...)A ces mots, on cria haro sur le baudet (...)/
Espérons que le jugement sera clément pour cette jeune internaute. A suivre....
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