Je fais un rêve de Martin Luther King constitue un ensemble de 11 articles et discours rédigés ou prononcés par le pasteur et prédicateur noir américain, au début des années 60, pour lutter contre la ségrégation raciale et les inégalités persistantes entre noirs et blancs, au pays de Georges Washington. En effet, malgré l'abolition de l'esclavage, aux États Unis, juste avant la guerre de Sécession, aux alentours de 1860, les discrimina- tions et le racisme d'État ont longtemps persisté, au point de provoquer une forme de résistance active des minorités contre les injustices orchestrées au plus haut sommet. Martin Luther King fut l'un de ces responsables politiques qui prit la tête de la contestation, pour demander un changement décisif dans les politiques publiques menées à l'encontre des minorités noires.
Martin Luther King revient sur l'évènement déclencheur de son engagement pour la lutte en faveur des "droits civiques": en 1955, une jeune femme noire de Montgomery, couturière de profession, rentre fatiguée du travail: elle est verbalisée par un contrôleur, dans un bus, parce qu'elle a refusé de céder sa place à un passager blanc, alors qu'elle était assise à l'avant du bus, transgressant ainsi les lois ségrégationnistes alors en vigueur. Martin Luther King est alors placé à la tête d'un mouvement de protestation qui organise alors un boycott des bus de la ville, par la minorité noire, pour lutter contre ce système d'oppression et obliger les pouvoirs publics à changer de politique. Dans un discours prononcé le 5 Décembre 1955, il définit sa méthode et les moyens d'action qu'il compte imposer à ses partisans, comme leader du mouvement de contestation. Il parle, concernant ses manifestations de protestation comme d'un "mouvement non violent", dont la stratégie se démarque des mouvements "radicaux" noir, animés par le "black power" (ou "pouvoir noir") de Malcolm X: le prédicateur noir croit, en effet, dans les vertus de la "démocratie", malgré l'oppression et le système de domination radicale opérée par le pouvoir blanc à l'égard des minorités visibles. S'il souhaite une rupture radicale avec le système ségrégationniste en vigueur, il ne tourne pas, pour autant le dos à la culture occidentale: sa démarche se veut un désir d'égalité à tous les niveaux. Mais il prévient: "ceux qui rendent impossibles les révolutions pacifiques rendront inévitables les révolutions violentes": discours de 1967 "un temps pour rompre le silence". Le combat de martin Luther King, pour l'abolition de toute forme de discrimination entre les dominants et les dominés, fait de lui, un partisan de la décolonisation, contre les forces oppressives des damnés de la terre.
Sa méthode d'action est simple, pacifique et organisée: "l'action directe non violente". Elle est basée sur la "négociation", "l'action directe" (par des manifestations et une capacité d'indignation qui s'oppose à l'indifférence. Le principe de base de cette indignation est "la désobéis-sance civile", qui veut, comme le dit, Saint Augustin, qu'"une loi injuste n'est pas une loi": face aux risques d'attentats du Klu Klux Klan, ce groupe terroriste blanc, il ne faut pas hésiter à risquer la prison, en défiant les lois injustes pour défendre "le droit de manifester". Ainsi, Martin Luther King combat les lois ségrégationnistes injustes qui veulent, par exemple que "enfants noirs ont interdiction de fréquenter les parcs réservés aux enfants blancs, dans les États du Sud des États Unis".("Lettre de geole de Birmingham"). De même, la ségrégation dans les écoles, séparant volontairement les enfants noirs des enfants blancs, sera déclarée illégale par la Cour Suprême, en 1957 seulement, grâce aux protestations des militants des droits civiques. Ces moyen d'action non violents trouvèrent leur réplique, précédemment, notamment par le mouvement de décolonisation non violent opéré par le Mahatma Gandhi, en Inde, mais fut également une source d'inspiration pour le mouve-ment citoyen du Hirak, en Algérie, ces dernières années, contre la dictature militaire du FLN, et pour une démocratisation du régime. En France, c'est la citoyenne Olympe de Gouges, écrivaine, militante abolitionniste de l'esclavage et féministe, pendant la Révolution française, ("une femme doit pouvoir monter à la tribune, et pas seulement sur l'échafaud"), qui symbolise, le mieux, ce combat de Martin Luther King contre toutes les formes de discrimination et pour "l'égalité des droits", pourtant décrété dans un des articles de la Constitution de 1791, à Paris: "les hommes naissent libres et égaux en droit".
Dans sa grande lucidité, Martin Luther King, pourtant membre du Parti Démocrate, critique l'attitude hypocrite des "blancs modérés", comme le "conseil citoyen blanc" qui se déclare partisan de "l'ordre plutôt que de la justice": attendre avant d'agir, et qui justifie le système ségrégationniste, en privilégiant "l'ordre public plutôt que les manifestations"! La pensée de Martin Luther King constitue une pensée de l'anticonformisme, pour l'émancipation, contre le conservatisme et contre toutes les politiques réactionnaires complices du racisme et de la xénophobie, et de la répression policière: "quand le noir trouve le courage d'être libre, il fait face aux chiens, aux fusils, au matraques et aux lances d'incendie sans avoir aucune peur." (Interview dans Play Boy) L'épreuve du courage et de la force morale contre la lâcheté des milieux conservateurs ou contre la brutalité et la bestialité des forces de domination. Il privilégie la "négociation" et "l'indignation" pour peser dans les discussions. Le programme politique du prédicateur Martin Luther King consiste à tout faire pour faire plier les hésitations et tenter de convaincre les élites dirigeantes dont il doit surmonter le regard condescendant et les préjugés: "que veut le noir de plus"? Il propose donc un "revenu annuel garanti", mais aussi d'investir 50 milliards d'euros pour combattre les inégalités criantes dans la société américaine, qui sévissent dans le domaine de l'éducation, dans le domaine du logement, dans le domaine de la santé: "l'action positive" qu'il préconise consiste à abolir la ségrégation dans les écoles, rendue inconstitutionnelle par la Cour Suprême, de négocier des prêts pour la création d'entreprise, ou de favoriser et financer une aide sociale, dans l'accès au logement, à l'éducation, à l'emploi, (accès à des prêts dans les banques)et de favoriser l'action positive des minorités ou des milieux défavorisés pour avoir "des points dans les concours de la fonction public."
Son combat antiraciste et progressiste se double d'une vision antiimpérialisme, notamment par son opposition "à la guerre du Vietnam": une guerre injuste, sans fondement, qui exalte le racisme et les crimes de guerre, lorsqu'il décrit "ses villages de huttes brûlés" au Napalm, tuant femmes et enfants, parce suspectés d'avoir aider les Vietcong. Une guerre qui constitue un non sens du point de vue des droits humains et de l'amitié entre les peuples: les américains ont d'abord soutenu "la France coloniale qu'ils ont armée", dit-il, contre le désir d'indépendance des vietnamiens, puis après la défaite de la France dans la guerre d'Indochine, et les accords de Genève de 1954, ils ont soutenu les régime dictatorial du premier ministre Diem, avant que celui-ci ne soit renversé et se réfugie au Sud du Vietnam, poussant ainsi Ho Chi Minh, qui au départ, souhaitait l'indépendance, et la démocratie, en basant son programme politique sur une "réforme agraire" contre les grands propriétaires terriens, vers un régime communiste plus radical, moins soucieux des "libertés individuelles": Martin Luther King explique, dans son projet politique, que si "le communisme nie les libertés individuelles", "le capitalisme, lui, nie la solidarité et les revendications sociales". Il regrette de ce fait, le gachis humain, de la guerre du Vietnam, qui envoie des minorités noires comme chair à canon, et qui constitue une occasion manquée de financer le "plan Marshall" pour le développement social de son pays, et la lutte contre les discriminations et le racisme.
Dans son projet philosophique martin Luther King prône "l'amour ". Au delà d'une vision théologique du monde, entre "Filia, "Agapé", "Éros", entre fidélité à ses engagements, et engagement désintéressé pour le projet de société d'émancipation sociale des droits humains qu'il s'est fixé, on ne peut s'empêcher d'évoquer le Songe d'une Nuit d'Été de Shakespeare, pièce dans laquelle Pyrame et Thisbée, doivent vaincre "la dure loi d'Athènes", qui veut que le roi Égée, impose un amour forcé et un mariage arrangé entre Lysandre et Héléna, d'une part, Démétrius et Hermia, d'autre part, contre l'avis de ceux-ci. Le projet d'émancipation et de transformation suppose une métamorphose, qui selon Martin Luther King, permette au "lion de cohabiter avec l'agneau", dans la société (école, espace public, etc), et pour Shakespeare, "l'âne de vivre avec le cheval, le lion, ou le choucas": un vivre ensemble indispensable contre la guerre et la désolation.
On ne peut s'empêcher de reflechir à ce message de paix et d'espoir de Luther King, (qui, malgré l'instauration des Droits civiques en 1964, par le président Johnson fut assassiné, en 1968 par des extrêmistes de droite), lorsque l'on constate le déferlement de haine qui a animé certaines réactions xénophones contre le projet d'instauration d'un centre d'accueil des migrants à Gallac en Bretagne, récemment, projet abandonné par les pouvoirs publics, sous la pression de manifestations violentes, ou suite à la démission subite du maire de Saint Brévin les Pains, dont le domicile avait été incendié, en pleine nuit, à cause de son projet de déménager, à proximité d'une école, dans sa commune, un CADA (ou Centre d'accueil des demandeurs d'asile), et le manque de soutien des autorités de l'État dans la tempête politique qu'il a vécu et qui se profile à l'horizon.
Martin Luther King dans son article "Notre Dieu va de l'avant", en hommage à John Brown, "coupable" d'avoir voulu libérer les esclaves avant la guerre de sécession proclame: "marchons vers les bureaux de vote contre les démagogues racistes", "marchons contre la pauvreté","marchons pour que les enfants noirs et blancs puissent étudier dans les mêmes écoles", "marchons contre la ségrégation dans le logement". Puisse son message prophétique être entendu aujourd'hui dans le monde dans lequel nous vivons.
Martin Luther King, Je fais un rêve, éditions Bayard, 2014, 12 euros.