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Billet de blog 20 août 2020

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"Épicentro": documentaire sur Cuba de Hubert Sauper: mythes et réalité!

"Épicentro" est un documentaire du réalisateur Hubert Sauper qui vise à démonter les mythes persistants qui façonnent l'île de cuba. Loin des clichés, qu'il retrace de manière ironique.

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Après avoir produit "le cauchemar de Darwin", il y a quelques années, Hubert Sauper sort un nouveau documentaire, "Épicentro", sur la situation de Cuba, subissant l'embargo américain depuis 60 ans. Le documentaire de Sauper se veut une réflexion critique sur les mythes qui façonnent l'image de Cuba, tant au niveau national qu'à l'international.

Le documentariste évoque un évènement particulier de l'Histoire de Cuba: celle de l'incendie et de l'explosion du navire américain USS Maine, dans la baie de La Havane, en 1898: Cuba était alors une colonie espagnole, mais cet épisode du torpillage du navire américain va constituer le prétexte de l'interventionnisme américain à Cuba, visant à placer cette île des caraîbes sous son influence politique et économique, jusqu'à la Révolution castriste, qui mit un terme à "l'impérialisme" yankee sur l'île, selon la rhétorique en vigueur dans l'île de Cuba. Sauper met en cause deux phénomènes dans la fabrication de mythes fondateurs dans la représentation d'un pays comme Cuba: d'une part, l'importance du cinéma, cet instrument de "rêve", qui peut également être un instrument de "propagande", c'est-à-dire d'une vérité fabriquée par l'idéologie officielle, et donc potentiellement source de mensonge. Ainsi, l'épisode de l'incendie de l'USS Maine, dans la baie de La Havane, survient peu ou prou, au moment de la création du cinéma. Et cet épisode historique peut-être sujet à manipulation, comme le prouve les conditions de tournage du film, montrant l'incendie du navire américain, à partir d'une mise en scène dans une salle de bain et plus précisément une baignoire, mais qui donne l'illusion que le voisin américain s'est manifesté pour délivrer l'île caribéenne de l'oppression et l'exploitation. Il fut utilisé comme instrument de propagande par le gouvernement américain, pour justifier la mise sous tutelle de cuba, puis l'embargo contre le régime communiste, sous prétexte de lutter pour la "liberté et la démocratie" (contre la colonisation espagnole, d'abord, puis contre la dictature communiste, à partir des années 60). Ainsi Cuba est, par le biais du cinéma, l'objet d'une propagande du régime américain, "la démocratie contre la dictature", mais également du régime castriste: Cuba, pays indépendant, clamant sa liberté contre "l'impérialisme américain" après sa lutte contre "l'esclavage et la colonisation" imposée par les espagnols. Fidel Castro, "héros de la Révolution cubaine" a ainsi contribué à une image du mythe de Cuba, pour être un porte voix des "damnés de la terre".

Pour se faire, et donner corps à ces représentations de l'île caraibéenne, Sauper interroge des citoyens cubains, mais également des enfants de 10 ou 11ans, sensibles à un certain discours officiel qu'on leur transmet, dès le plus jeune âge, à l'école. Même s'il reconnait dans ses enfants une extraordinaire maturité, dans leur capacité à retracer l'Histoire de Cuba, et donner du sens à l'existence de cet État indépendant, Sauper n'en déduit pas moins que tous ces récits que l'on transmet n'en sont pas moins des "contes", que l'on raconte sur cette île, qui participent de cette manipulation et ce mensonge. Et ce n'est pas un hasard si ce sont les enfants qui parlent le mieux de leur île, dans une touchante attention. Ainsi, Cuba est décrit, par le réalisateur, de manière ironique, comme un "paradis", paradis d'un État qui "résisterait" victorieusement, "jusqu'à la mort" à l'impérialisme américain: la "liberté" serait magnifiée grâce aux "héros" de la révolution": Fidèle Castro, Ernesto Guevara, etc. Mais c'est oublier que depuis la chute de l'Union Soviétique et la persistance de l'embargo américain, les pénuries, notamment en matière de médicaments, sanctionnent durement la population cubaine, et la pauvreté touche de nombreux cubains, s'entassant dans des logements très exigus et presque insalubres. Sans parler de la prostitution qui sévit dans les rues de La Havane, et contredit les clichés et l'image artificielle d'un "paradis"caribéen, qu'entretiennent l'illusion des sourires omniprésents des cubains exprimant la réalité de leur île, par la pratique régulière de la danse, notamment la salsa.

  De la même manière, Sauper jette un regard terriblement ironique sur le tourisme, prétexte futile et condescendant, pour mettre en valeur l'île de Cuba: les Cubains expriment volontiers, notamment, par le biais des enfants, leur humiliation face à l'image arrogante des touristes occidentaux, débarquant en masse sur l'île, et témoignant du pouvoir pervers de l'argent: ainsi ces touristes s'achètent ainsi une "bonne conscience" facile, en "fréquentant ce dernier régime communiste", l'espace d'une quinzaine, en cèdant quelques offrandes bon marché aux cubains miséreux, comme le réalisateur qui permet aux enfants, l'espace d'une soirée, de séjourner dans un hôtel de luxe réservé aux riches étrangers, en se baignant dans la piscine de l'hôtel, ou en y dégustant des pâtisseries. De même, les marchandises de luxe, et les hôtels bling bling destinés aux riches touristes, et inaccessibles au cubain moyen, s'étalent sans vergogne, dans les rues de la capitale, soulignant l'indécence d'une politique capitaliste. Voyager à Cuba ne consiste en fait pas à retrouver un espace paradisiaque mais à s'offrir un voyage dans le temps, puisque tout semble s'être arrêté dans cette île: l'époque du cinéma hitchcokien, avec ces voitures désuètes, et les façades délabrées et inchangées de La Havane, qui rappelle le Cuba des années 50, les hôtels de luxe destinés aux étrangers, et qui rappelle son régime d'avant la Révolution castriste, au cours duquel, la mafia, et les trafics de drogue et maison de jeu, casino, écumaient l'île, rappelant la corruption morale et financière dans laquelle vivait cette société, à l'époque.

  Ainsi, le cinéma, cette "machine à rêve", sert ici, pour Sauper, à démonter les "mythes" participant à la représentation de Cuba, mythes que la propagande américaine et cubaine ont contribué à construire! Il retrouve ici sa dimension critique essentielle: celle de témoigner sur la réalité et l'Histoire, à travers des récits individuels et des aventures singulières!

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