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Billet de blog 22 août 2012

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Mon père est passé par Paris. Par Fatima-Ezzahra Benomar

Je relaie ce témoignage car tout simplement il m'a touché. C'est ce genre de combat qui devrait orienter la politique des pouvoirs publics et non la peur de l'étranger, de l'immigré, de l'altérité. Que va devenir notre société si son évolution, et notamment celle de son ordre juridique, est commandée par la peur? De ce "fait divers" là, j'en ferais bien une loi : régularisation de tous les sans-papiers !Par Fatima-Ezzahra BenomarMilitante féministe« L’enfer c’est les autres » disait Jean-Paul Sartre. Il n’avait pas tort. J’ai traversé beaucoup d’épreuves depuis quelques années, depuis que je me suis pris les pattes dans les crocs inflexibles de l’administration, piégée par un no man’s land juridique absurde dont les effets auraient inspiré quelque chef-d’œuvre à Kafka.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je relaie ce témoignage car tout simplement il m'a touché. C'est ce genre de combat qui devrait orienter la politique des pouvoirs publics et non la peur de l'étranger, de l'immigré, de l'altérité. Que va devenir notre société si son évolution, et notamment celle de son ordre juridique, est commandée par la peur? De ce "fait divers" là, j'en ferais bien une loi : régularisation de tous les sans-papiers !

Par Fatima-Ezzahra Benomar
Militante féministe

« L’enfer c’est les autres » disait Jean-Paul Sartre. Il n’avait pas tort.

 J’ai traversé beaucoup d’épreuves depuis quelques années, depuis que je me suis pris les pattes dans les crocs inflexibles de l’administration, piégée par un no man’s land juridique absurde dont les effets auraient inspiré quelque chef-d’œuvre à Kafka.

 Pourtant j’étais venue à Paris le cœur chargé d’amour et plein d’histoire de France. C’était en 2001. Je reconnaissais les rues citées dans les livres de Dumas, de Bordonove et autres romans et biographies illustres que j’avais lu à Rabat. A cette époque, l’adolescente marocaine croissait comme un joyeux arbrisseau dans le pot français. De loin, j’aimais la France. De loin, j’avais mes racines dans sa terre et sa langue était la mienne. Je passais des heures au Centre Culturel Français de Rabat pour voir des films d’auteur et des documentaires engagés. J’étais tout simplement fascinée.

 J’ai été étudiante, diplômée, travailleuse, j’ai eu mon statut intermittent, je travaillais. J’étais heureuse de devenir autonome et d’avoir des revenus, une fierté d’autant plus chère à mon cœur que j’avoue avoir plein de complexes à propos de tout ce qui touche à l’argent. Je suis syndicaliste jusqu’au bout des ongles, pourtant j’avais toujours quelque chose de désagréable dans le ventre quand il fallait rappeler à mes employeurs de me donner ma paye.

 « La brèche » a dû sentir cette odeur. Elle a plongé son fer dans la plaie et l’a fait saigné jusqu’au dernier sang.

 Car depuis mars 2011, à la suite d’un Ordre de Quitter de Territoire Français, je n’ai plus d’autorisation de travail. J’ai vécu quelques mois avec l’argent que j’avais gagné jusqu’alors en tant que monteuse et graphiste plus les Assedic auxquels j’avais eu droit avec mon statut intermittent. Tout cela a fondu comme neige en quelques mois. Depuis, plus d’autonomie, plus de fierté, et mon père devait m’envoyer de nouveau de l’argent converti du dirham à l’euro, c’est-à-dire les deux tiers de sa pension de retraites pour me recharger les pieds sur mon petit chemin de croix.

Je vous passe les anecdotes structurelles de ce genre de situation. En 2007, n’ayant pas de garants en France, l’agence de logement avait exigé que je bloque 6 mois de loyer à la banque dans un dépôt de garantie, sans oublier le premier loyer, deux mois de caution et un dernier mois de frais d’agence. De son côté, la BNP a exigé qu’on bloque 150% de cette somme, c’est-à-dire 9 mois de loyer, de peur que j’aille négliger de payer 6 mois de suite et qu’elle se trouve obligée de me couvrir ensuite. Aussi, elle m’incita à soumettre cet argent à la bourse. Vous avez bien entendu : soumettre un compte « bloqué » à la bourse via le contrat de bail.

Ce qui devait arriver arriva en 2009. C’est-à-dire le pire. La crise ! La banque m’appelle pour m’informer qu’avec la crise, « il y a une érosion de 1700 euros dans votre compte de garantie – Ah ? – mais ce n’est pas tout. Comme votre contrat vous engage à avoir toujours l’équivalent de 150% de votre caution sur ce compte, nous vous prions de verser 1700 euros de votre compte courant au compte bloqué – Ah ? – Mais ce n’est pas tout ! Malgré que ce compte soit devenu quelque chose comme un seau troué, vous n’avez pas le droit de le modifier pour que cet argent, en pleine conjoncture défavorable, ne soit plus soumis à la bourse – ah. » Je m’exécutai. Que pouvez-je faire d’autre face à une telle machine infernale ? 1700 euros furent transférés dans le seau troué.

Mars 2011. Ordre de Quitter le territoire Français. La raison ? On n’accepte pas les intermittents du spectacle en France. No man’s land juridique, aucun titre de séjour n’est prévu à cet effet. Oui, vous travaillez ; oui vous avez obtenu le statut intermittent, mais c’est niet ! Je prends une avocate bénévole – merci à elle – je monte un dossier avec une militante d’RESF, merci à elle aussi. Le Tribunal Administratif condamne la préfecture d’annuler l’Ordre de Quitter le Territoire Français et de me donner des papiers sur le champ. Ils préconisent même qu’on me donne le titre de séjour Vie privée alors que je ne suis ni mariée ni mère d’enfants ici, juste parce qu’ils ont consulté mon dossier, ont vu que j’avais tenu des bureaux de vote, réalisé des films féministes pour la Mairie de Paris, des brochures féministes pour la Mairie du Blanc-Mesnil, que j’avais animé des débats pour la Mairie d’Aubervilliers, que même le Service des Droits des femmes et de l’Egalite du Ministère de la santé citait plusieurs fois mes travaux.

Le premier jugement fut appliqué. Pour ce qui est du second, la préfecture joue la montre depuis janvier !

Ils ont le temps pour eux, mais moi je ne l’ai pas. Le temps c’est de l’argent, je ne dis pas ça pour citer une maxime libérale, je le dis parce que c’est avec cette maxime qu’ils m’ont frappé. Ce n’est même plus mon argent, c’est la sueur du front de mon père. « L’enfer c’est les autres. »

Ces derniers mois, j’ai craqué. Entre le bras de fer avec l’administration, la précarité forcée, les déménagements puisque je n’ai même plus de quoi payer mon loyer, je pensais avoir affronté le pire. Eh non ! Il me restait de faire du mal aux miens.

Ma mère sort d’un cancer du sein, avec sept chimiothérapies au menu. Je ne saurai vous dire à quoi ça ressemble, je n’ai même pas pu être près d’elle pendant cette épreuve. Mon père est venu à Paris il y a quelques jours. Il m’a raconté tout ça, les cils et les sourcils qui tombent, leur couple qui s’en est trouvé renforcé. Ça ne m’étonne pas de leur part mais ils n’avaient pas besoin que j’en rajoute. Alors mon père, las de mes histoires et financièrement épuisé, est venu me chercher.

Il me restait de devoir résister à mon père.

Le premier jour, je ne savais pas comment lui expliquer que ma décision était prise, que je voulais rester en France envers et contre tout. Je me sentais seule au monde. La (formidable !) élue qui gère mon dossier était en vacances et mon avocate n’avait pas de nouvelles du tribunal administratif qu’on venait de saisir pour non-exécution du jugement. Premier jour, mon père m’explique qu’il faut que je rentre. On va acheter des valises. Je dois quitter mon appartement. Le lendemain, ça commence à se concrétiser terriblement ! On se rend ensemble à la banque pour fermer mon compte.

Je vois encore les mains de madame la banquière couper avec ses ciseaux la carte bancaire en deux. Dans ce petit crissement, un vacarme gigantesque résonnait dans mes oreilles, onze ans en France qui se brisaient, le hurlement d’un moteur d’avion.

Ce jour-là, un camarade du Parti de Gauche a une idée : en appeler à la solidarité militante pour me loger chez des camarades. Tandis que je raccrochai, mon père revint des toilettes. Comme une petite fille ou comme une voleuse, j’avais attendu qu’il s’éloigne pour appeler et j’avais parlé à voix basse. Je lui annonce que je ne rentre pas, qu’il ne m’envoie plus d’argent. Je me débrouillerai !

Quand je dis que l’enfer c’est les autres, c’est que j’ai vu de près cette angoisse passer sur le front de mon père, sa sensibilité à ma détresse que j’espérais être la plus muette possible. Quelques jours plus tôt, il m’avait raconté une sale anecdote :

« Quand je me suis levé ce matin pour prendre l’avion et venir te chercher, j’ai soudain senti que je transpirai. Pourtant il ne faisait pas chaud, c’était l’aurore. Je me suis dit merde, je tombe malade le jour où je vais chercher ma fille. Puis je me suis rendu compte que je ne transpirai pas à cause de la chaleur ou d’une grippe imminente. Je transpirai d’appréhension, car je ne savais pas dans quel état j’allais te trouver. »

Il est vrai que depuis le mois de décembre, je ne répondais presque plus à ses appels. J’avais peur qu’il sente mon mal. Les quelques fois que je décrochais, je répondais oui et non mais le piètre voile était déchiré de toute part. Le cœur d’un père n’a guère de mal à entrevoir à travers.

 Je lui ai résisté et il est reparti.

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