Chère Najat,
Je me permets de te tutoyer, mais pour ma défense c’est toi qui as commencé quand on s’est rencontrés.
C’était une chouette rencontre d’ailleurs. Je venais pour parler d’identités, en partant de celle d’« enfant d’homos » que m’ont collé les journalistes. Tu m’as raconté comment le monde politique avait voulu t’enfermer dans celle de « femme issue de l’immigration ». Que pour en sortir, et par soif d’égalité, tu avais voulu te battre pour le droit des femmes et des personnes homosexuelles, continuer de revendiquer l’égalité au travers de ces combats. J’ai aimé notre échange.
Bon, j’avoue que depuis qu’on l’a publié sur notre webdocumentaire, j’ai pas toujours été à l’aise.
« - T’as vu, ta pote a soutenu les 30 milliards de cadeau au patronat !
- Ouais, enfin « ma pote », euh...
- Et son soutien au délire de Valls sur les « quenelles », et à sa politique anti-Rroms...
- ... (Gloups !) »
Il faut dire que ton identité de porte-parole du gouvernement t’a conduite à des prises de positions pour le moins acrobatiques. « Mais il faut bien que quelqu’un le fasse », m’avais-tu dit. Mouais... Admettons : il faut bien que quelqu’un le fasse, et tu le fais parce que tu veux être au sommet de l’Etat pour mener un combat sur les discriminations subies par les femmes, les homos, les trans... Admettons. Mais alors il faut mener le combat !
Rembobinons. D’abord, quelques milliers de personnes (la plupart ancrées à droite) sont descendues dans la rue, non pour revendiquer un droit mais pour exiger qu’on n’ait pas le droit, nous, de vivre nos familles tranquillement, le droit à l’égalité, le droit à la parentalité, comme tout le monde. Ils disaient qu’ils « n’étaient pas homophobes», mais c’est un non-sens ! Tu sais comme moi que l’homophobie c’est justement le fait de vouloir que les homosexuels n’aient pas les mêmes droits que les autres. Le gouvernement n’a pas cédé sur le mariage (et c’est tant mieux), mais il a reporté le droit d’accès à la PMA (c’est à dire à l’égalité devant la parentalité !) à une future loi sur la famille. Dommage. Quand on défend l’égalité, il ne devrait pas y avoir de concessions.
Puis la machine s’emballe. La Manif pour tous se sent renforcée et, avec l’aide d’Alain Soral et de groupes d’extrême droite, attaque « la théorie du genre ». Une théorie qui n’existe pas, et tu le sais comme moi. Ce qui existe, c’est une construction sociale qui justifie les discriminations subies par les femmes, les homos, les trans, une construction qui veut assigner les personnes à une condition de dominées du fait de leur anatomie, de leur orientation sexuelle, ou d’ailleurs de leur couleur de peau, origine sociale ou religion. Ce qui existe, c’est des gens qui réfléchissent à tout ça, et se battent contre. En attaquant la prétendue « théorie du genre », ils veulent simplement nous empêcher de penser, nous empêcher de revendiquer l’égalité.
C’était le moment de l’affirmer, cette égalité, non ? Non. Voilà que la PMA est retirée du projet de loi sur la famille. Voilà que cette loi est elle même reportée sine die (et tu nous mens en disant qu’ « il a toujours été dit, je ne sais plus en quelle langue le dire, que la PMA ne faisait pas partie de ce projet de loi Famille»). Voilà que, par peur de la polémique, parler de genre à l’école devient presque un tabou.
Le gouvernement cède, recule, capitule... et renforce les anti-égalité !
Mais pourquoi acceptes-tu de te faire la porte-parole de ces reculs ? Pourquoi participes-tu à miner la confiance de celles et ceux qui mènent le combat contre les discriminations et pour l'égalité ?
Pourquoi ?
Pablo SEBAN