Madame, Monsieur,
Mes enfants sont au collège et au lycée. Durant ces années, il et elle vivent et vivront des expériences humaines, sentimentales, parfois sexuelles. Des expériences passionnées, importantes, qui peuvent aussi être violentes et traumatisantes. Or les deux établissements qui les scolarisent n'ont jamais, ou très peu, organisé des séances d'éducation à la vie affective ou sexuelle. Une telle éducation les aiderait pourtant beaucoup.
Je vous prie donc de proposer des séances de formation à la vie affective et sexuelle. C'est une urgence, cela leur évitera certains préjugés et certaines souffrances. Et si les enseignants sont souvent mal préparés sur de tels sujets, vous devez savoir qu'il y a de nombreux intervenants, issus de la société civile, qui savent former les jeunes avec tact et pédagogie.
Cette demande est motivée par la prise de conscience de ce que vivent les élèves :
- Durant l'âge du lycée, la majorité des jeunes ont des expériences sexuelles. Ils éprouvent la curiosité, la peur, l'ignorance, le désir, les pulsions, la crainte de dire non, le secret, la honte... Bref, ils sont souvent seuls avec pour modèles les archétypes commerciaux, la pop culture hypersexuée, les réseaux sociaux, etc. A 12 ans, beaucoup d'enfants ont déjà été exposés à la pornographie (1). Il est souvent compliqué d'en parler au sein des familles. Alors, quel espace pédagogique peut exister pour que les élèves puissent échanger une parole bienveillante, professionnelle, rassurante ?
- Lors d'une expérience sexuelle, il peut survenir une infection sexuellement transmissible, des risques sanitaires, des violences, des pratiques irrespectueuses, l'absence de consentement. Comment se protéger des risques ? Où trouver les conseils et la documentation pour de l'aide et du soin ?
- En France, chaque année, 12.000 filles de moins de 20 ans deviennent mères (2) ; parmi les mineures, 18.000 filles sont enceintes. Nos filles sont donc concernées — et nos garçons aussi. Ils et elles doivent pouvoir faire face à ces situations : annonce aux parents, IVG, approche du monde de la santé, aspects légaux. Par ailleurs, nos enfants ignorent souvent ce qu'est la contraception et quelles en sont les méthodes. Ces sujets sont pourtant très importants à connaître ! Où trouver des paroles expertes dans ces domaines, à qui poser des questions ?
- Les jeunes sont exposés à des comportements inacceptables de certains adultes : des regards, des réflexions, des gestes, dans l'espace public, en famille, dans des institutions. Par ailleurs chaque année, au moins un enfant sur 10 est victime de violences sexuelles intrafamiliales (3). C'est terrifiant mais c'est réel. Les conséquences sont documentées : traumatismes physiques et psychiques, perte de confiance, conduites addictives, exclusion sociale... Les élèves de votre lycée ne sont pas plus à l'abri qu'ailleurs. Comment leur faire savoir ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas ? comment se défendre ? comment agir suite à une agression ? que peuvent-ils dire, et à qui ? quels sont leurs droits ?
- Nos enfants sont régulièrement impliqués dans du cyber-harcèlement : les téléphones et autre outils numériques sont les instruments de menaces, de harcèlement moral ou sexuel, aux conséquences parfois mortelles. Ma fille a traversé au moins un drame lié au cyber-harcèlement, sans qu'à ma connaissance aucun personnel du lycée ne soit intervenu. Quelle prévention mettre en place ? A qui parler pour être aidé ? Quelle procédure le lycée peut-il mettre en place ?
- Pour les élèves ayant des identités particulières de sexe ou de genre — homosexualité, transidentité, personne intersexuée, etc. — il est souvent impossible de trouver un lieu, un espace pour comprendre ce qui arrive. Alors que les préjugés sont si destructeurs, l'impossibilité de parler et d'entendre d'autres témoignages, peut causer de grandes souffrances. Et si la famille n'est pas toujours le lieu où trouver du soutien, comment aider ces jeunes à trouver leur place, comment les accompagner ?
Nous pouvons avoir les meilleures intentions et souhaiter que "tout se passe bien". Mais sans action, ces intentions sont inutiles. Nous pouvons faire reposer toute responsabilités sur les pouvoirs publics, et décider que l'école n'a aucun rôle à jouer ; mais nos enfants se construisent en grande partie dans l'environnement scolaire. On ne peut pas non plus miser seulement sur l'auto-formation des jeunes : les ressources ne sont pas toujours accessibles et pas toujours fiables.
Heureusement, grâce aux efforts conjugués des professionnels de l'éducation, du monde de la santé et du droit, la loi prévoit désormais que, parallèlement à l’enseignement ordinaire, des séances d'éducation à la sexualité soient proposés aux élèves.
- La loi sur l’IVG et la contraception de 2001 — Loi Veil réformée — contient un article (L. 312-16 du code de l’éducation) qui rend obligatoires 3 séances annuelles en matière d’information et d’éducation à la sexualité, dès l'école primaire.
- La circulaire du 17 février 2003, sur l'éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées, s'inscrit dans "une démarche de protection des jeunes vis-à-vis des violences ou de l’exploitation sexuelles, de la pornographie et la lutte contre les préjugés sexistes ou homophobes"
- La loi du 3 août 2018 aborde la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Les séances d'information et d'éducation à la sexualité doivent présenter "une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes", et contribuer "à l’apprentissage du respect dû au corps humain". La circulaire du 12 septembre 2018 précise les principes éthiques de cette loi.
Il n'y a que des avantages à organiser ces séances. La seule crainte est que 3 séances par an ne soient pas suffisantes. Selon les mots d'une intervenante, "Trois cours d'éducation sexuelle par an, ce n'est rien comparé à la profusion de vidéos en ligne, ça ne peut pas faire le poids. Mais si tous les établissements le faisaient, ce serait déjà pas mal".
Il s'agit seulement de protéger les enfants, de les accompagner avec respect. Voici d'ailleurs la définition de la "Santé sexuelle" selon l'OMS (2002) : "La santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en matière de sexualité (...) La santé sexuelle exige une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d'avoir des expériences sexuelles agréables, sécuritaires, sans coercition, ni discrimination et ni violence. (...) Les Droits Humains et Droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés, protégés et réalisés".
Merci d'organiser ces séances pour mieux aider nos enfants.
Si vous ne savez pas quelle pédagogie pratiquer, des professionnels sauront le faire avec précision, respect et bienveillance. Vous trouverez ici des ressources nombreuses pour vous accompagner dans ces démarches.
En vous remerciant, je vous prie d'agréer mes salutations parentales et respectueuses.
1. Ministère de la Santé, 2021
2. Insee, 2019
3. Sondage Ipsos, 2020
(J'ai soumis cette lettre à l'avis du Planning Familial de Seine-Saint-Denis, afin de la considérer comme acceptable)