On va poser le cadre d'emblée. Je ne suis pas un habitant des "quartiers". Breton, j'ai eu une enfance heureuse, près de la mer dans un milieu petit bourgeois. J'ai longtemps cru au discours dominant : "les jeunes des quartiers, c'est des bons à rien, ils ne veulent rien faire". Et puis, la poursuite de mes études m'a fait découvrir quelques métropoles : Rennes, Reims et Paris.
De suite, on est frappé par ces grands ensembles qui jonchent la périphérie des villes. La première réaction est la stupéfaction. Comment a-t-on pu construire un bâti aussi moche. Et puis, l'on finit par s'y rendre. Tous les grands ensembles ne se valent pas, mais globalement, combien de fois j'ai pu me demander "Comment c'est possible d'habiter là ? ce n'est pas une vie". Le manque d'espace aussi bien à l'intérieur des habitations et à l'extérieur est sidérant. Vient aussi le manque de verdure. Puis la fracture avec la ville, avec la bourgeoisie. Une fracture marquée, souvent, par "le périph". Les exemples ne manquent pas, mais les grands ensembles de Bron, la "banlieue" lyonnaise, n'ont pas grand choses à envier à une prison.
A cette fracture géographique, il y a évidemment la fracture sociale et économique largement entretenues par la République. Les moyens alloués par l'Etat dans ces espaces sont dramatiquement insuffisants. L'université Paris VIII, n'avait pas l'électricité par moment... Inutile de revenir sur l'impact sur la capacité à réussir ses études lorsque vous faites face à des enseignants démunis et souvent débutants qui eux mêmes prennent dans la gueule les manquements de la République. Résultats ? des démissions qui ne cessent d'augmenter, des burn out et des élèves sans profs. Il en manquait 4000 en septembre dernier. La majorité était en Ile de France. Fracture territoriale...
Bon, voilà, rapidement pour le "cadre". Enfin, il manque un élément fondamental qui explique pourquoi une partie de la population française, finalement, reste au mieux insensible au meurtre de Nahel voir, affirme, qu'après tout, "il l'avait bien mérité car c'était un voyou". A ce titre, le rôle des médias s'est avéré catastrophique voir carrément macabre. Il n'y avait rien d'autre à attendre de la bouillie quotidienne de CNEWS mais, une nouvelle fois, le service public, s'est lui aussi montré en dessous de tout. L'émission C dans l'air, à la ligne éditoriale de l'extrême centre bien assumée maintenant, condamnait mollement cet assassinat en la présence de Jérôme Fourquet. Idem du côté de Public Sénat, dans l'émission "Sens public" qui aurait du être renommé "sens interdit" pour les représentants des banlieues. Pas un ! Pas un seul habitant de ces quartiers ne fut invité pour parler des émeutes. Une nouvelle fois, ce sont des avocats, juristes et politique, qui ont récité leur requiem préféré : "La police n'est pas violente, ce sont des individus isolés et les policiers souffrent". Cette faculté à excuser l'ordre à travers l'espace médiatique est redoutablement efficace auprès de "la vieille génération" mais aussi auprès des plus jeunes.
Bien entendu, les réseaux sociaux ont aussi un impact. Sans eux, on n'aurait sans doute jamais su ce qui se serait passé à Nanterre. Mais il ne faut pas surestimer leur rôle non plus. La voix des médias porte toujours. Symbole de cela, la cagnotte portée par le raciste et xénophobe Jean Messiha qui a atteint 400 000 euros pour soutenir la famille du policier qui a assassiné Nahel. Alors que la cagnotte pour soutenir la famille de ce dernier était 6 fois moins importante (66 000 euros). Nous sommes donc dans un moment qui est extrêmement grave, non pas parce que des boutiques sont cassées et pillées et des symboles de la République incendiés mais parce que tuer quelqu'un pour son origine et son passé est en train de devenir normal. L'institution Police est malade. Malade de sa violence qui tue de plus en plus. Malade car par le biais ses ses 2 principaux syndicats, qui appelaient a... encore plus de violences en employant des termes ouvertement racistes : "Sauvages", "nuisibles" et à la guerre civile.
Bref, s'il y a bien un ensauvagement, il est clairement du côté de cette institution à bout de souffle, gangrénée par un racisme de plus en plus important. Une institution dépassée, qui appelle à l'Etat de droit tout en voulant utiliser des moyens d'actions d'une milice. La Police n'est plus à une approximation près. Nous, citoyens, en revanche n'en pouvons plus.