Titre I
Quelques remarques générales :
Ø Attention aux mots ! Si on peut se féliciter que le mot laïcité n’apparaisse qu’une seule fois dans le texte et ne soit pas repris plusieurs fois par pages comme dans les mesures du Ciec de mars 2015, certaines expressions, si belles soient-elles, « décrochage citoyen », « Il s’agit de permettre à la jeunesse de vivre l’expérience de la République » témoignent du regard et du jugement négatifs qui est porté sur la jeunesse des quartiers populaires et leurs familles.
Ø L’absence de référence aux contrats de ville (et donc aux projets développés localement) témoignent de la persistance d’une logique que la loi Lamy cherchait timidement à infléchir. La logique qui apparaît ici est très descendante et fondée sur une lecture univoque des quartiers populaires comme problème.
Ø Beaucoup d’idées apparemment généreuses mais on ne voit pas comment elles pourront être mises en place sans un renforcement du service public de l’emploi ou des missions locales. Alors que le service public de l’emploi, en remplaçant ses agents par des automates à des fins d’économies budgétaires, supprime toute une série d’occasion pour maintenir sa relation avec les demandeurs d’emploi ! Est-ce possible, dans ces conditions, de mettre en place « un accompagnement adapté et gradué dans son intensité en fonction de la situation et des besoins de chaque jeune » ?
Ø Idem sur la santé et la prévention en direction des jeunes.
Ø Quelques inquiétudes dans le développement du service civique : si ça peut constituer une expérience intéressante pour les jeunes, cela ne va-t-il pas rendre plus difficile encore l’accès à un premier emploi ? Quelle place pour un premier emploi face aux stages et services civiques ?
Remarques sur l’article 8
« L’article 8prévoit que tout salarié, fonctionnaire, ou agent public de l’une des trois fonctions publiques, membre d'une association dont l'ensemble des activités est mentionné au b du 1 de l'article 200 du code général des impôts [associations d’intérêt général], régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, et qui est régulièrement élu pour siéger bénévolement dans l’organe d’administration ou de direction de celle-ci, a droit, sur sa demande, à un congé non rémunéré pour participer aux réunions de cet organe.
L’objet de cette mesure est d’élargir un dispositif déjà existant pour tous les travailleurs quel que soit leur statut, pour mieux accompagner les besoins des associations(la prise de responsabilités électives), sans ajouter un dispositif supplémentaire, ni modifier les modalités d’obtention déjà prévues pour le droit existant. Le congé de formation d’animateurs devient un congé de formation et de responsabilités électives. L’aménagement d’un congé existant répond à une attente des organismes patronaux et salariés entendus. »
Ø Nous demandons d’élargir cette mesure à tous les membres participant aux conseils citoyens et tables de quartier.
Ø Nous demandons surtout que ce congé soit indemnisé pour que tous les salariés y aient réellement accès et n’y renoncent pas parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir un congé non rémunéré.
Ø Nous demandons également des garanties pour que les salariés qui demandent à bénéficier de ce droit ne soient pas sanctionnés « de fait » par leur employeur (refus d’appliquer ce droit pour des « raisons de service », promotion ralentie voire supprimée) ou se retrouvent « prioritaires » en cas de suppression d’emploi.
Remarques sur l’article 14
« L’article 14 crée, afin d’encourager les jeunes à s’engager au bénéfice du développement social, culturel et économique de la nation, un principe de validation obligatoire au sein des formations supérieures des compétences, connaissances et aptitudes acquises par les étudiants à l’occasion d’activités extra-académiques, qu’il s’agisse d’un engagement bénévole, d’un engagement dans la réserve opérationnelle de la défense ou d’un engagement en service civique. La validation de ces compétences, connaissances et aptitudes au sein des formations supérieures contribue également à préparer les étudiants à leur insertion professionnelle. »
Ø La proposition de valoriser l’engagement citoyen dans un livret de compétences valables pour les études semble une idée intéressante. À voir. Mais pourquoi ne le valoriser que pour les formations supérieures ?
> Les livrets de compétences devraient pouvoir être créés dès le lycée voire le collège.
Titre II
Le titre II est entièrement organisé autour de l’objectif de réduction de la concentration des ménages pauvres logés en HLM dans les quartiers prioritaires, car il n’y a aucune mesure sur l’habitat privé.
Les mesures proposées dans ce titre II sont très techniques et il est difficile d’en proposer une analyse critique d’ensemble. De manière très générale, les 3 principales critiques seraient :
Ø La fuite en avant dans l’affirmation de l’objectif de mixité sociale (jusqu’à l’échelle de l’immeuble désormais !) sur le mode « ne pas ajouter de la pauvreté à la pauvreté » dont on voit déjà les conséquences en Île-de-France, puisque ce type de discours vient légitimer la décision de la nouvelle majorité régionale de ne plus financer le logement social dans les communes qui en ont beaucoup ;
Ø L’omission du logement privé et donc le rabattement de la question de la mixité sur le seul logement social ;
Ø Une forte interrogation sur la mise en œuvre des mesures proposées. Comment les mettre en œuvre ? Certaines mesures contraignantes supposent que le préfet fasse acte d’autorité et impose le respect de la loi. L’histoire de la mise en place de l’article 55 de la loi SRU – voire des conseils citoyens – nous a appris le poids d’un préfet face aux élus locaux ! Et comment imaginer que ces mesures résistent à l’examen des parlementaires, ces derniers étant le plus souvent par ailleurs élus locaux puisque la loi sur le cumul des mandats n’est toujours pas mise en application ?
Titre III
Article 36
Que penser de la proposition de l’article 36 qui permettrait aux conseils citoyens, et aux seuls conseils citoyens, pas aux collectifs citoyens, aux tables de quartier ou autres dynamiques citoyennes, de saisir le préfet en vue d' « actualiser » leur contrat de ville puisqu’ils n’ont pas été associés à leur élaboration ?
En effet, cet article devrait permettre aux « instances de participation des habitants dans le cadre de la politique de la ville de solliciter l’actualisation du contrat de ville au vu d’une problématique particulière nécessitant une action renforcée des acteurs du territoire » puisque la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014 « ne prévoit pas d’autres échéances pour l’actualisation du contrat de ville et de ses priorités que celle liée au renouvellement général des conseils municipaux ».
Pour autant, ce délégué du gouvernement « agit sous l’autorité du préfet, et le cas échéant sous celle du préfet délégué pour l’égalité des chances, pour répondre à 2 ou 3 priorités à l’échelle du quartier dans lequel il est nommé, que le représentant de l’État définit en lien étroit avec les élus ».
Certes, cette proposition fait réagir les associations d’élus qui se sentent mis en cause par l’État, mais en quoi pourra-t-elle conforter les dynamiques citoyennes si c’est l’État en lien étroit avec les élus qui définit les priorités ?
Pourquoi créer ce nouvel intermédiaire : un délégué du gouvernement ? Les sous-préfets ville ou les Pedec ne sont-ils pas suffisants ? Le délégué du gouvernement est-il un médiateur, dans une posture dite impartiale ? Quelle est sa valeur ajoutée ?
Et pourquoi la loi se limite-t-elle au principe d’une inscription des conclusions de la mission du délégué du gouvernement à l’ordre du jour du conseil municipal ? En quoi cela peut-il modifier le rapport de force entre le conseil citoyen – et plus largement les habitants – et les élus ?
Article 37
Nous pourrions nous réjouir que « l’article 37 institue comme priorité nationale l’amélioration de la maîtrise de la langue française dans les domaines de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’intégration des étrangers séjournant régulièrement sur le territoire français ».
Mais pourquoi cette obligation est-elle liée aux « évènements tragiques de janvier 2015 et [à] la mobilisation républicaine qu’ils ont suscitée… La question de l’appropriation des savoirs et de la maitrise de notre langue commune, le français, porteuse des valeurs de la République, occupe une place centrale dans ce débat » ?
Depuis de trop nombreuses années, des associations et organismes se battent pour que soient mises en œuvre des formations linguistiques dont ils voient les moyens financiers se réduire depuis trop longtemps. Comment accepter que leur développement ne soit lié qu’aux attentats ? C’est une injure faite aux habitants des quartiers populaires, destinataires de ces formations.
Article 39
Nous pouvons nous féliciter de l’article 39 : « L’article 39 modifie la voie d’accès dite “troisième concours” pour lui redonner sa vocation sociale. Cette troisième voie est aujourd’hui ouverte à des candidats justifiant de l’exercice, pendant une durée déterminée, d’une ou plusieurs activités professionnelles, ou d’un ou de plusieurs mandats de membre d’une assemblée élue d’une collectivité territoriale ou d’une ou de plusieurs activités en qualité de responsable d’une association. Afin d’élargir les viviers concernés par cette voie d’accès, une nouvelle disposition prévoit que toute personne, quelle que soit la nature de l’activité professionnelle qu’elle a exercée ou exerce, peut candidater à cette troisième voie. »
C’était une des propositions du rapport Bacqué-Mechmache.
Nous espérons toutefois que cet article résistera aux oppositions des syndicats de la fonction publique territoriale qui commencent déjà à se manifester.
Nouvelles propositions
Cette proposition reprend, en la réactualisant au vu des dynamiques citoyennes qui existent dans les quartiers et de l’expérimentation des tables de quartier, une des propositions du rapport de Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué : Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous.
Pour que les citoyens, leurs collectifs et associations puissent contribuer à la vie de la cité, il convient de favoriser, à côté des conseils citoyens inscrits dans la loi pour la Ville et la cohésion urbaine de février 2014, la création de lieux de débats, d’échange, de coordination, de propositions, d’évaluation. La puissance publique reconnaîtra et soutiendra la création de tables locales de concertation initiées et construites par et avec les habitants au niveau local et d’une plateforme nationale en accordant des moyens en locaux, en fonctionnement et surtout en personnel dans un cadre d'indépendance, de neutralité et d'autonomie de gestion.
Ces tables locales de concertation ou « Tables de quartier » réuniront les habitants, les associations et les collectifs organisés à l’échelle du quartier. Elles auront à charge la coordination et la transversalité de l’action collective et des perspectives communes. Elles pourront nourrir la discussion et pourront assurer la représentation citoyenne et celle de tous les habitants, en étant notamment force d'interlocution légitime. Elles permettront de mobiliser librement et de manière partagée et engagée, les habitants et les acteurs associatifs déclarés ou non déclarés, de faciliter la discussion entre différents segments du milieu associatif, de développer des actions et un projet commun, et elles contribueront ainsi à la vie démocratique. L’initiative de la création de ces tables devra émerger des acteurs associatifs reconnus ou légitimés par les habitants, ou devra émerger de groupes d'habitants ouverts à la diversité de proximité et unis dans l'intérêt collectif et général.
Ces tables locales de concertation seront financées dans le cadre des contrats de ville en facilitant des attributions financières sans ingérence. L’aide octroyée permettra en particulier le recrutement par la table d’un coordinateur de la table, développeur-se, ou facilitateur-trice, rattaché à l’une des structures qui la composent. Ces développeurs pourront pour partie être mis à disposition par la fonction publique.
Le soutien financier à ces tables de quartier sera soumis à certains critères : en particulier, la diversité des associations la composant en termes de thématiques et de publics, l’ouverture de la démarche à l’ensemble des associations travaillant dans le quartier et à tous les habitants, et l’évaluation annuelle de l’activité sans exigence d'informations nominatives.
Un local sera mis à disposition des tables afin qu’elles puissent tenir leurs réunions. Chaque table pourra prévoir la rédaction d’une charte visant à préciser son fonctionnement. Chaque Table favorisera autant que faire se peut l'égalité des expressions et favorisera une projection constructive au service de tous les habitants.