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Billet de blog 15 avril 2015

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Du terrorisme aux quartiers populaires ?

La coordination Pas sans nous a analysé les soixante mesures prises par le comité interministériel pour l’égalité et la citoyenneté qui s’est tenu le 6 mars 2015, suite aux attentats de janvier. Nous en soulignons ici plusieurs points problématiques, dans le premier de trois volets. 

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La coordination Pas sans nous a analysé les soixante mesures prises par le comité interministériel pour l’égalité et la citoyenneté qui s’est tenu le 6 mars 2015, suite aux attentats de janvier. Nous en soulignons ici plusieurs points problématiques, dans le premier de trois volets. 

Volet 1 : Du terrorisme aux quartiers populaires ?

En février, en vue de la préparation de ce comité interministériel, une délégation de  la coordination Pas sans nous avait rencontré le Président de la République, le Ministre à la jeunesse, aux sports et à la politique de la ville et la Secrétaire d’État à la politique de la ville. Nous leur avions fait part de notre inquiétude de voir les valeurs républicaines réduites à la laïcité et rappelé les propositions qui figurent dans le rapport Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires (lire ici) remis en juillet 2013 au ministre de la Ville par Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache.

À la lecture de ces soixante mesures, notre sentiment est, une fois de plus, de ne pas avoir été entendus. Plus encore, nous sommes particulièrement choqués des raccourcis qui consistent à assimiler les déficits de citoyenneté aux quartiers populaires, et inquiets d’un certain nombre de mesures qui ne conduiront qu’à accentuer encore la stigmatisation des plus pauvres. Nous relevons l’absence de toute proposition concernant la participation des habitants et la co-construction des politiques publiques et l’abandon du projet de territoire défendu par la Loi Lamy pour la Ville et la cohésion urbaine. De ces deux points de vue, ces propositions représentent un véritable recul.

Au regard de l’ambition affichée par le comité interministériel – « il faut changer, repenser radicalement nos façons d’agir, nos politiques publiques » – il faut aussi souligner l’imprécision de la méthode comme des moyens, financiers et humains, à mobiliser. On peut certes considérer, comme le font les concepteurs du plan, qu’« il n’y a pas que les questions de moyens, il y a aussi la question de la volonté ». Mais la volonté sans les moyens expose au risque de retomber dans le travers dénoncé : affirmer des principes abstraits qui ne se traduisent pas par une diminution des inégalités vécues.

Le gouvernement a manifestement voulu apporter une réponse à l’émotion suscitée par les attentats du mois de janvier, mais ce plan ne traite pas frontalement la question du terrorisme : les enjeux du renseignement, du contrôle de l’internet, de la radicalisation en prison ou encore de l’action internationale de la France en sont peu ou prou absents. Le raisonnement permettant de relier les « événements de janvier » à ce long catalogue de mesures apparaît pour le moins ambigu et il continue à s’inscrire dans la stigmatisation des quartiers populaires et de leurs populations.

Il est précisé dès les premières lignes que le malaise social et démocratique concerne « la France dans son ensemble et pas seulement quelques quartiers en difficulté ». Mais cette précaution reste de principe car on trouve quelques lignes plus bas une sorte de portrait-type des quartiers populaires, caractérisés par « les incivilités récurrentes dans l’espace public ; les petits défis quotidiens lancés à l’autorité des parents, des enseignants, des forces de l’ordre ; les trafics, la délinquance, l’économie souterraine, tous ces ordres qui voudraient se substituer à l’ordre républicain, pourtant le seul possible ». Si ces soixante mesures ne prétendent pas être un plan pour les quartiers populaires, il s’agit bien d’un plan qui concerne notamment ces quartiers présentés comme les lieux par excellence du délitement de « l’intégration républicaine ».

Lorsque la fraude fiscale – qui sape bien plus la République que le trafic de shit – est mentionnée, le texte devient moins affirmatif (« beaucoup pensent que… », « beaucoup, à tort ou à raison, ont le sentiment que… ») comme si les pratiques antisociales des classes populaires étaient avérées et celles des élites ne l’étaient pas.

Le plan est construit autour de deux dimensions centrales : réaffirmer d’une part les idéaux et les faire connaître à ceux qui les ignoreraient ou s’en détourneraient (volet « citoyenneté » traité dans la partie « Vivre dans la République ») ; s’assurer d’autre part de leur concrétisation (volet « égalité » traité dans les parties « La République pour tous » et « La République au quotidien »). Rien de bien nouveau donc, ni dans le fouillis et l’imprécision des soixante propositions, ni dans les silences et les dénis (refus de questionner les normes dominantes, non-reconnaissance de la dimension positive des dynamiques communautaires ; superficialité de la lutte contre les discriminations sans instruments de mesure des inégalités raciales, non-reconnaissance de l’islamophobie comme mode d’exclusion spécifique), ni dans la philosophie générale (exigence de conformité culturelle adressée à certains groupes perçus comme menaçants, conception défensive de la laïcité). La question de la reconnaissance des histoires des différents groupes sociaux n’est jamais abordée. Des titres comme « La langue de la République est le français » ou « Valoriser la langue française comme composante de notre culture commune » sonnent comme des injonctions à renier son histoire. Dans le même temps, aucune mesure ne concerne le développement des formations linguistiques si ce n’est pour les primo-arrivants ou les candidats à la naturalisation.

Le plan affirme l'importance des symboles et rites républicains, appelant à la multiplication des cérémonies de naturalisation et invitant les communes à organiser des cérémonies d’accueil dans la majorité pour les jeunes de 18 ans. On peut regretter qu’aucune mesure, parmi les soixante annoncées, n’affirme symboliquement l’appartenance des musulmans à la communauté nationale. Face aux discours qui saturent l’espace public pour remettre en cause cette appartenance, cette affirmation aurait été politiquement forte.

La « République en actes » ne peut être qu’une République qui regarde en face les freins qu’elle oppose à la pleine citoyenneté de certains, qui prenne la mesure de l’ampleur des discriminations et des mesures véritables pour les prévenir et les réduire. Tel n’est pas le cas dans ce plan et les mesures proposées apparaissent anecdotiques vis-à-vis des enjeux. Faute de réelle politique de lutte contre les discriminations, on voit mal comment les mesures annoncées pourraient restaurer une confiance dans la République sapée par les effets délétères de ces discriminations. 

Ce plan apparaît donc surtout et prioritairement comme un long discours obsessionnel sur la laïcité. Le mot « fraternité », troisième pilier des valeurs républicaines, n’apparaît pas une seule fois dans le texte… Le mot laïcité, 38 fois ! Cela donne à ce texte une tonalité qui ne vise que certaines catégories de population : les habitants des quartiers populaires et/ou de confession musulmane. Plutôt que de brandir ce mot comme un message de fermeture et de rejet, il serait urgent de revenir sur une définition large de la laïcité et en particulier d’abroger la circulaire Chatel qui interdit aux mères voilées d’accompagner les sorties scolaires.

A suivre…

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