Soixante mesures du comité interministériel
La coordination Pas sans nous a analysé les soixante mesures prises par le comité interministériel pour l’égalité et la citoyenneté qui s’est tenu 6 mars, suite aux attentats de janvier. Elle en souligne plusieurs points problématiques [1]. En février, en vue de la préparation de ce comité interministériel, une délégation de la coordination Pas sans nous avait rencontré le Président de la République, le Ministre à la jeunesse, aux sports et à la politique de la ville et la Secrétaire d’État à la politique de la ville. Nous leur avions fait part de notre inquiétude de voir les valeurs républicaines réduites à la laïcité et rappelé les propositions qui figurent dans le rapport Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires remis en juillet 2013 au Ministre de la Ville par Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache.
Volet 4 : L’enjeu de la lutte contre les discriminations
La « République en actes » ne peut être qu’une République qui regarde en face les freins qu’elle oppose à la pleine citoyenneté de certains, qui prenne la mesure de l’ampleur des discriminations et des mesures véritables pour les prévenir et les réduire. Tel n’est pas le cas dans ce plan. Tout juste reconnait-il que « la prise de conscience des pratiques de discrimination au travail et dans l’accès aux fonctions publiques est réelle mais insuffisante pour faire changer les pratiques ». Mais on voit mal comment les mesures annoncées pourraient restaurer une confiance dans la République sapée par les effets délétères de ces discriminations. On peut aussi douter que ce discours et le patchwork de mesures annoncées parvienne à revivifier une démocratie moribonde.
« Combattre les discriminations, toutes les discriminations » avance le plan.
Toutes les discriminations ? Les mesures proposées ne concernent que les discriminations à l’emploi, laissant de côté les discriminations dans de nombreuses autres sphères de la vie sociale et de l’action publique. Et la lutte contre les discriminations dans l’emploi n’est ici abordée qu’au stade de l’embauche, laissant ainsi de côté les discriminations qui s’opèrent dans l’emploi (pour les promotions, l’accès aux formations, etc.).
Toutes les discriminations ? De nombreux travaux de recherche ont montré que la lutte contre les discriminations pouvait être efficace sur certains critères, correspondant à des groupes cibles dénombrables (femmes, handicapés), si tant est que des politiques volontaristes soient mises en place, ce qui est encore loin d’être le cas. Elle est plus difficile encore pour les discriminations fondées sur l’origine. Or, dans ces propositions, celles-ci se trouvent une nouvelle fois diluées dans « les » discriminations alors qu’elles touchent un grand nombre d’habitants des quartiers populaires. Rien dans les mesures ne permet véritablement d’avancer sur cette question.
Le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme du 17 avril met à son tour les quartiers populaires au centre « du problème » en s’inquiétant des « quartiers livrés à eux-mêmes face à la délinquance et à la radicalité ». Mais il passe tout simplement sous silence la montée de l’islamophobie, comme si ce n’était pas aussi une forme d’intolérance, de rejet et de haine de l’autre, comme si la montée de la radicalité n’était, au moins partiellement, liée à celle de l’islamophobie.
Les mesures proposées dans ce plan ne sont guère plus précises. Certaines pourraient s’avérer intéressantes, celles par exemple qui portent sur les politiques mémorielles et culturelles, mais elles demeurent toujours dans une vision descendante en s’inscrivant dans « des parcours de citoyenneté et d’éducation artistique et culturelle », à partir de notre patrimoine (sites mémoriels, les établissements culturels et patrimoniaux, et les centres d’archives). À quand la reconnaissance des langues et des cultures qui ont façonné la France comme une compétence et un atout de développement ?
Où sont passées les propositions des cinq rapports pour une refondation des politiques d’intégration [2] qui, tous, recommandaient d’en finir avec les discriminations légales et de faire évoluer systématiquement le cadre du droit pour assurer l'égalité ? Ces rapports préconisaient notamment de supprimer les dispositions légales et réglementaires qui créent des discriminations, comme les conditions de nationalité pour accéder à un emploi, tant dans les fonctions publiques que dans les secteurs public et privé.
Tous les rapports demandaient également la création d’une haute autorité indépendante qui garantisse l’effectivité d’un égal accès aux droits.
Aussi quand il est affirmé que « toutes les politiques publiques doivent dès à présent intégrer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme dans leur action », on ne peut être que d’accord. Mais pour les professionnels de la politique de la ville et les habitants des quartiers populaires, cette affirmation résonne étrangement avec le postulat selon lequel toutes les politiques de droit commun doivent s’appliquer aux quartiers populaires, la politique de la ville venant en appui là où les difficultés économiques, sociales sont plus grandes. Ils connaissent l’efficacité et l’efficience de telles déclarations de principe, sans cesse contredites dans la réalité. Rappelons le rapport de la Cour des comptes de 2012 qui a été à l’origine de la réforme de la politique de la ville et qui dénonçait le risque de substitution des crédits spécifiques aux crédits de droit commun…
Une véritable politique de lutte contre les discriminations est-elle compatible avec tous les discours de stigmatisation sur les quartiers populaires ? Car c’est bien une image avant tout négative des quartiers populaires et leurs populations qui se dégage de ces plans. La référence permanente à la mixité sociale – élevée quasiment à la hauteur des valeurs républicaines –, que ce soit dans le sport, l’éducation, les loisirs ou le logement, interroge la vision politique de ce Comité interministériel pour l’égalité et la citoyenneté : l’égalité passe-t-elle par une volonté d’uniformité qui cache les différenciations sociales et ethniques dans l’espace public ou par la reconnaissance des dynamiques collectives et des histoires des différents groupes sociaux ? Est-ce la visibilité de ceux qui les vivent et les subissent ou bien les inégalités qui posent problème ? L’enjeu est-il une mixité improbable ou le droit à la ville pour tous, c’est à dire le droit au logement mis en cause par ce plan, l’accès égal aux services et aux espaces publics et la mise en œuvre du droit commun ?
[1] Nous remercions les différents contributeurs à ces notes.
[2] Dans le cadre de la refondation de la politique d'intégration annoncée en février 2013 par Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, cinq groupes de travail thématiques ont été constitués au début du mois de juillet : « Protection sociale » (prévention, accès aux droits, personnes âgées) ; « Faire société » (citoyenneté, services publics, dialogue avec la société civile) ; « Habitat » (ségrégations urbaines, ruralité, mobilité géographique) ; « Mobilités sociales » (éducation, emploi, formation) ; « Connaissance reconnaissance » (culture, histoire, mémoire). Ces rapports sont téléchargeables sur le site de la Documentation française.