Les universités de France font la manche. Elles ont des trous béants dans leurs budgets. Partout déficits et fonds de roulement anémiques. Partout des plans d’économie drastiques.
« Bientôt, les enseignants vont balayer les amphis », s’exclame un président d’université. Peut-être pas tout de suite, mais beaucoup vont passer l’hiver à faire cours avec manteau et cache-nez pour cause d’économie de chauffage. On ne dégraisse pas encore autant la masse salariale qu’en Grèce, mais on fait des coupes sombres dans les CDD payés sur ressources propres – licenciements qu’on nomme pudiquement « non renouvellement » de CDD - et on gèle des emplois d’enseignants-chercheurs et de personnels administratifs et techniques (Biatss) par centaines. On n’a pas encore doublé les droits d’inscription des étudiants comme en Espagne, mais partout les diplômes d’université se multiplient (de 700 à plus de 3000 euros par an), partout les ressources liées au frais d’inscription augmentent. Et partout on pousse très fort pour faire tomber le principe républicain du cadrage national des frais d’inscription.
La crise financière des universités est infiniment plus profonde que ce que la ministre et le rapporteur du Budget de l’ESR acceptent de reconnaître. De nombreuses motions de CA le montrent. Preuve en sera donnée mardi 12 novembre par le SNESUP-FSU qui organise à Paris 6 une journée de témoignages intitulée « L’Université de toutes les austérités » et qui dévoilera à cette occasion les résultats d’une grande enquête nationale sur les conséquences de cette crise financière. Des présidents d’université, dont Anne Fraïsse, des élus des conseils centraux, des personnels apporteront leurs témoignages tout au long de la journée, en présence de parlementaires de gauche.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : cette crise n’est pas seulement financière, elle est démocratique et politique, largement provoquée par la loi LRU de 2007, et aggravée par la LRU 2 de Geneviève Fioraso. C’est une conséquence de la fausse autonomie des universités, de la logique de fusion et de régionalisation et de la politique d’excellence et d’innovation impulsée par Bruxelles. Cette crise est par conséquent une production directe de l’économie et de l’idéologie néolibérales. Elle est bien le levier du changement, le seul que connaisse notre gouvernement, celui de l’austérité utilisée comme arme de restructuration massive de l’enseignement supérieur et de la recherche, au service de l’économie de la connaissance, et non d’une société démocratique de la connaissance.
Des milliards pour la ville de Marseille, mais ceinture pour l’enseignement supérieur et la recherche ! De nouveaux milliards pour les Investissement d’avenir et l’innovation (3,5 milliards), mais des laboratoires qui survivent à peine ou disparaissent faute de crédits récurrents. Six milliards pour le scandaleux Crédit Impôt Recherche (CIR) et des patrons "voleurs", mais des milliers d’emplois non pourvus dans les établissements de l’Enseignement supérieur. 500 postes et quelques millions pour France Université Numérique et la course effrénée aux MOOCs ( massive open online course), mais des parcs informatiques obsolètes : partout des serveurs sous-dimensionnés et des logiciels périmés. Les millions du Plan Campus arrivent enfin, mais ils sont essentiellement dédiés à de nouveaux projets alors que des centaines de milliers de mètres carrés sont hors-sécurité.
Des milliers de cas de souffrance au travail et des dizaines de situations de harcèlement insupportables sont attestés, essentiellement dus à la sous-administration criante des universités et au New management public, mais pas un euro du ministère pour les CHSCT dont les pouvoirs ont été étendus et dont pourtant les membres vont devoir travailler avec les seuls moyens que voudront ou pourront leur accorder les établissements : un danger pour la santé des personnels et une honte pour les services publics ! Toute cette politique de petites et grandes économies, faite d’injustices et d’inégalités à coups de milliards, c’est une honte pour l’université et la recherche. C’est une honte pour la France et ses services publics.
Alors, Monsieur Ayrault, s’il vous plaît, un petit milliard pour l’Université… sinon on va crever ! Un milliard prélevé sur le CIR, c’est possible tout de suite ! C’est nécessaire maintenant! Et ce serait un premier changement, le tout premier changement dans votre politique qui est un copier-coller de celle de Pécresse-Sarkozy. Un milliard en urgence pour abonder la masse salariale des universités dont les plafonds d'emplois définis par l'Etat ne sont jamais atteints, et non pour distribuer de nouvelles primes, inégalitaires et qui creusent toujours plus les écarts de revenus. Un milliard pour lutter efficacement contre la précarité et non pour créer des postes de maîtres de conférences ou de professeurs en CDD! Un milliard pour sauver des centaines de diplômes et de formations qui vont disparaître, et non pour créer une myriade de licences et de masters professionnels au service du management, et ceci dans un nouveau Cadre des formations aussi dangereux qu'ubuesque. Un milliard pour un financement récurrent de la recherche et du CNRS à hauteur des besoins, et non pour des appels d'offre de la politique d'excellence qui enrichissent toujours les mêmes disciplines au détriment de nombreuses autres. Un milliard pour soutenir nos doctorants, la formation des enseignants et les nouvelles Ecoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE)!
Un milliard tout simplement pour remettre nos universités à flot avant que l'irrémédiable ne soit atteint! Un milliard pour l'avenir de notre jeunesse, pour une recherche dynamique, ouverte et respectueuse de toutes les disciplines, pour l'avenir culturel, social et économique de notre pays. Un milliard ce n'est pas trop pour de tels enjeux, au regard de tous les cadeaux consentis aux plus riches et à bien des escrocs. C'est le minimum que l'Etat doit à notre pays et à nos concitoyens.
Pascal Maillard
En prolongement voir les sites de SLU et de SLR, le blog de Pierre Dubois, celui de Henri Audier, ainsi que les précédents billets de mon blog.