Un vent de colère et de révolte soufflait sur la manifestation strasbourgeoise de ce 10 septembre. Personne ne le dit, mais ce fut historique. Inespéré et historique qu’un cortège bien supérieur aux 5000 personnes annoncées par la préfecture - 7 ou 8000 plus probablement - soit constitué à 90% de jeunes (voir la vidéo ci-dessous). Donc, au bas mot, 6000 jeunes dans la rue, dont des centaines de lycéen·nes, qui avaient bloqué trois établissements en matinée, alors qu’une centaine de personnes avaient interrompu la circulation sur l’autoroute avant de se faire gazer par les CRS.
Tout aussi significatif, un cortège d’un millier de jeunes a traversé tout Strasbourg en fin d’après-midi pour soutenir les lycéen·nes en garde-à-vue au commissariat de la Place de l’Etoile. Un sit-in pacifique, puis une répression sauvage de la police, avec des violences et une arrestation, qui ponctue tristement la journée et accroit la colère de toutes et tous. Voir ici le reportage de Rue 89.
En fin de matinée une Assemblée générale à l’Université de Strasbourg avait donné la tonalité de la journée. L’amphi de 300 places réservé par l’intersyndicale était trop petit. Plus de 500 jeunes déménagent alors dans le grand amphi Jean Cavaillès, lieu symbolique des résistances. Le manque de temps oblige à se focaliser sur les actions, qui apparaissent prioritaires par rapport aux analyses et aux revendications. La question sensible est celle de la nature des blocages à mettre en œuvre. Les blocages logistiques et économiques (port aux pétroles, raffinerie, Amazon) font davantage recette que le blocage des bâtiments de l’université, dont l’intérêt principal est celui de l’auto-organisation des étudiant·es, au détriment de la massification du mouvement.

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De cette journée de mobilisation à Strasbourg, je retiens trois caractéristiques, qui peuvent avoir une valeur d’enseignement pour la suite du mouvement.
Tout d’abord le fait que c’est la jeunesse qui s’est levée, y compris celle des quartiers populaires, une jeunesse déterminée et révoltée, une jeunesse féministe, écologiste, antiraciste et antifasciste. Une jeunesse qui scande sa détestation du Rassemblement National et qui proclame sur une banderole colorée que « Nous pouvons accueillir toute la richesse du monde ». Une jeunesse Queer et LGBT qui, en tête de cortège, refuse la militarisation de nos corps et de nos esprits et lutte contre l’impérialisme et la guerre. Et une jeunesse qui soutient massivement la Palestine contre la barbarie de l’État israélien.

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La seconde caractéristique de cette manifestation est que la détestation de Macron n’a jamais été aussi forte. Sur les pancartes, dans les chants et les slogans Macron est à tout jamais identifié à l’arbitraire et à la violence policière, aux injustices sociales et à la politique des riches. La nomination de Lecornu, « ministre de la guerre », au poste de premier ministre est interprétée par la jeunesse comme un geste guerrier de Macron. Il est « le corps nu » de Macron, le geste politique qui met le roi à nu, le geste de trop. Il est le poison dont l’antidote est la jeunesse révoltée. Beaucoup s'accordent alors sur l'idée qu'il n'y a pas d’issue à la crise démocratique, écologique et sociale en dehors de la destitution ou de la démission de Macron.

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La troisième caractéristique de cette journée de mobilisation est l’affirmation d’une exigence de radicalité dans les modes d’action et les slogans, qui témoigne d’un refus massif des formes instituées de mobilisation. Les manif « saute-mouton » sont largement stigmatisées. Elles ne marchent pas : la jeunesse, mais aussi des militants syndicaux, ont tiré la leçon du mouvement contre la réforme des retraites dont la stratégie syndicale a été perdante. Les moyens à mettre en œuvre dont on parle le plus dans les AG, les manifestations et sur les réseaux sociaux- et qui supposent une extension considérable des mobilisations - c’est le blocage de l’économie, en visant en priorité l’énergie, la logistique, les flux financiers et la consommation. L’énergie, les banques, le luxe. A l’horizon du 18 septembre, la grève reconductible et sa généralisation dans tous les secteurs économiquement sensibles, apparait à beaucoup comme le levier le plus efficace. D’autres, très nombreux, parlent de révolution. Et de 6ème République.
Pascal Maillard