Geneviève Fioraso et Simone Bonnafous conduisent l’université à la baguette et tuent la démocratie universitaire. Des documents administratifs confondants témoignent d’une dérive liberticide qui viole l’autonomie statutaire des universités et bafoue le droit. Benoît Hamon et le Premier ministre devraient en tirer toutes les conséquences politiques.
Un vent de révolte commencerait-il à souffler contre les diktats de Simone Bonnafous, la très autoritaire Directrice générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle (DGESIP) ? Ancienne présidente de l’université Paris-Est Créteil, élue sur une liste pro-LRU, elle s’était singularisée pendant le mouvement de 2009 pour avoir giflé une étudiante gréviste. Elle « gifle » aujourd’hui toute l’université française, après avoir décidé de tenir la plume des présidents dans la rédaction des nouveaux statuts des universités.
Après des lettres comminatoires envoyées aux présidents des universités Paris 8 et Paris 10 (voir ici et là) et vigoureusement dénoncées par de multiples acteurs de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR), je publie ci-dessous l’analyse d’un courrier sidérant que Simone Bonnafous a envoyé le 31 mars dernier au directeur de l’Université technologique de Belfort-Montbéliard (UTBM). Cette lettre abîme l’autorité de l’Etat par un dévoiement de l’autorité elle-même, tout comme la loi LRU a détruit l’autonomie des universités par le dévoiement de son concept. Dans les deux cas, ce qui est en jeu n’est rien d’autre que la démocratie, méthodiquement affaiblie par le libéralisme autoritaire, hier celui de droite, aujourd’hui celui pratiqué par notre gouvernement qui porte le nom usurpé de « socialiste ».
Dans un contexte d’entrée en application, à la fois chaotique et précipitée, de la loi Fioraso de juillet 2013, et alors que l'Enseignement supérieur serait au bord de l'explosion, l’ex-ministre et nouvelle secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur et à la Recherche continue allègrement son grand œuvre de restructuration du paysage universitaire, dans le droit fil des réformes initiées et mises en application par Valérie Pécresse. L’objectif affiché est de passer de 80 universités à 25 regroupements, destinés à entrer dans l'Europe des Régions et la compétition mondiale. Dans une répartition soignée des rôles, Geneviève Fioraso se charge de la communication en soutien à ses chères Communautés d’universités et d’établissements (COMUE) pendant que sa Directrice générale a pour tâche de mettre au pas les universités récalcitrantes, notamment celles qui défendent la forme de l’association et un modèle confédéral.
Rappelons que la nouvelle loi laisse le choix aux universités entre trois modalités de regroupement :
- la Fusion qui conduit à la disparition des entités antérieures (Aix-Marseille, Strasbourg ou l'Université de Lorraine, par exemple) et qui coûtent fort cher, financièrement et en terme de ressources humaines ;
- la COMUE qui regroupe en son sein des établissements publics ou privés soumis à un nouveau Conseil d’administration auquel ils délèguent une partie de leurs compétences (tous les PRES ont été de fait transformés en COMUE(s) par la loi); une COMUE crée un nouvel établissement ; elle est quasiment irréversible dans la mesure où elle ne peut être modifiée ou défaite que par une décision de son CA et non des CA de ses membres ;
- l’Association entre deux ou un plus grand nombre d’établissements, qui constitue, selon ses défenseurs de plus en plus nombreux, un modèle souple qui a le triple avantage de maintenir la personne morale des établissements (à la différence de la fusion), de ne pas remettre leur destin dans les mains d’un CA unique et potentiellement très éloigné des personnels et de leurs élus (à la différence des COMUE(s)) et d’être réversible dans la mesure où l’un des membres associés peut se retirer à tout moment de ce regroupement de type confédéral.
Si Pécresse avait en son temps poussé aux fusions, Fioraso pousse aux fusions et à la COMUE, à hue et à dia. Et ça ne passe pas. Les résistances sont pour l’heure les plus fortes en Ile-de-France, mais l’Ouest commence à s’inquiéter et les personnels de Lyon 2 se font menaçants. Voir ici les motions des AG de Nantes et de Nanterre, parmi d’autres. Voir là la crise qui couve dans la COMUE heSam qui regroupe Paris 1 et 14 autres établissements. Voir encore ici la lutte des personnels de l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée et de l’Université de Créteil contre la fusion et la COMUE qu’on veut leur imposer alors qu’ils soutiennent le principe de l’association. Les universitaires commencent à comprendre que les COMUE(s) sont des fusions déguisées dans le même temps qu’elles portent en germe de nombreuses fusions effectives.
Après la pétition « Pour le changement à l’Université et dans la Recherche », pétition contre la reconduction de Geneviève Fioraso à ses fonctions de ministre (11 000 signatures, soit l’équivalent d’un quart des enseignants-chercheurs, et non 1,5% de tous les personnels du supérieur ainsi que l’a comptabilisé la secrétaire d’Etat), après les critiques vigoureuses formulées par le Groupe Jean-Pierre Vernant, de nouveaux degrés ont été franchis ces derniers jours dans la contestation de la politique de regroupement des universités, telle qu’entend la conduire l’actuel gouvernement. Cette contestation est en passe de devenir un grand combat en faveur de regroupements confédéraux d’universités de type « association », contre les COMUE(s) que l’Etat veut imposer à tout prix, par des méthodes dignes des régimes politiques les moins démocratiques.
Les organisations syndicales montent au créneau. Ainsi, dans une importante Lettre-flash du 13 mai, le SNESUP-FSU, appelle à « respecter la démocratie et la collégialité universitaires et à rendre aux personnels la pleine maîtrise des coopérations scientifiques et pédagogiques les plus appropriées aux spécificités de leurs établissements ». « Cela suppose, continue la première organisation syndicale des enseignants-chercheurs, un mécanisme tout autre que celui des regroupements imposés par la loi ESR de juillet 2013, qui préparent des établissements à « dimension mondiale » et d'autres « de taille régionale », sur le modèle d’un ESR à deux vitesses. Ces regroupements s'intègrent dans une logique territoriale qui limite, quand elle ne le détourne pas, le développement des connaissances et de leur diffusion à des champs étroitement liés à des intérêts locaux. Menés dans la précipitation et de manière autoritaire, notamment via des circulaires, des directives ministérielles et des chantages sur les moyens financiers, ces regroupements ne sont respectueux ni de la diversité et de l'histoire des établissements, ni des missions de service public de l'ESR. Les pressions ministérielles pour imposer des regroupements doivent cesser. Face à un calendrier intenable, le SNESUP-FSU demande un moratoire. » Voter les nouveaux statuts des établissements avant le 24 juillet relève effectivement de la gageure. Un moratoire d’une année s’impose.
Telle est aussi la demande de RESAU, un « réseau de collectifs et d’intersyndicales organisé de manière confédérale (sic)» qui a lancé le 14 mai une nouvelle pétition qui pourrait être promise à un succès encore plus important que celle initiée par le Groupe Jean-Pierre Vernant, lequel a d’ailleurs intégré cette « confédération » d’opposants qui comprend à cette heure huit membres, dont QSF. Dans une lettre-pétition à Benoît Hamon, RESAU dénonce la volonté du ministère « d'imposer partout la création de ComUÉ » et demande au Ministre de « garantir le respect de la loi et de réaffirmer la possibilité laissée aux universités et aux établissements de s’associer si tel est leur projet ». Contre les COMUE(s), RESAU soutient « l'autre possibilité de regroupement, l'association, née de la volonté parlementaire d’ouvrir « la possibilité de créer des structures confédérales entre établissements d’enseignement supérieur », horizontales et égalitaires ». Tout comme le SNESUP-FSU, les « confédérés » dénoncent « une politique du fait accompli qui impose sans débat une transformation radicale et irréversible de l'Université française » et incriminent la DGESIP.
Même si le feu couvait depuis la promulgation de la loi, une loi mal ficelée selon les uns, liberticide selon les autres, même si la grave crise financière des universités et la souffrance des personnels a joué un rôle majeur dans la dégradation des relations entre les acteurs de l’ESR et le ministère, le facteur déclenchant du vent de révolte aura certainement été la publication et la large diffusion des « lettres de cachet » de Simone Bonnafous. En particulier celles envoyée aux présidents de Paris 8 et Paris Ouest-Nanterre, deux grandes universités que le ministère voudrait forcer à intégrer une COMUE. Jamais une directrice de la DGESIP n’aura fait autant écrire et mis autant en colère. Voici un échantillon de textes, pour celles et ceux qui disposent de temps devant eux : le Groupe Jean-Pierre Vernant, « proche de la gauche de gouvernement », reçu par la ministre – c’est dire s’il y a le feu parmi les universitaires socialistes ! -, appelle au respect de la loi ; l’excellent blogueur Pierre Dubois, viré d’EducPros pour avoir soutenu l’association contre la COMUE, dénonce les « Diktats de Simone Bonnafous » ; le collectif Pour Paris 8 dénonce avec verve et ironie les « lettres d’attention » (lapsus de la directrice) et « le jargon ministériel de Madame Bonnafous » dans sa « missive comminatoire ». Confed-Info (Paris 3, 5, 7 et 13) préfère la pédagogie par l’humour en donnant à Simone Bonnafous et à l’ex-ministre des leçons d’interprétation de la loi (vidéos à voir et revoir ici et là). Plus sérieux le Collectif des Universités Associées propose un argumentaire solide en faveur de l’association.
Les universitaires doivent être libres de choisir leur forme de regroupement. Pour cela il faut que l’administration centrale du ministère cesse son harcèlement permanent. La tactique, toujours la même, n’a que trop duré : le terrorisme du calendrier - créer une urgence ou un calendrier intenable -, et le flou juridique pour rendre difficile le travail des universitaires au point d’être contraints d’accepter le soutien des rectorats et du ministère. Le premier levier de la restructuration, élémentaire mais redoutable, a été la politique d’austérité. Le transfert de la gestion de la masse salariale aux universités et l’assèchement des fonds de roulement par la multiplication des prélèvements répondait à une stratégie très volontaire visant à pousser aux regroupements, aux fusions et mutualisations en tous genres. « Vous voulez survivre, mutilez-vous ! », ne cessent de dire les ministères successifs dans des messages subliminaux. « Vous voulez survivre, mutilez-vous ! », répètent en cœur les recteurs et la majorité des présidents d’université. Ce qui a aujourd’hui changé avec le pouvoir socialiste, c’est que le diktat a remplacé le message subliminal.
Certes, l’Etat socialiste n’a pas inventé ce nouveau monstre idéologique qui est une contradiction dans les termes : le libéralisme autoritaire. Celui-ci est la caractéristique de la droite néolibérale et notamment de la politique conduite par Sarkozy. Mais la stratégie reste la même : comme la fonction publique est rétive à une mise en concurrence généralisée et à la logique capitaliste du profit – faire des universités des « centres de coût et de profits » selon la formule désormais fameuse de Geneviève Fioraso -, il convenait de les lui imposer. C’était la fonction de la loi « LRU 2 », la loi Fioraso de juillet 2013. Et comme l’Etat ne va pas assez vite dans son grand œuvre de « défonctionnarisation » et de privatisation larvée de l’ESR, il use de la trique, quitte à prendre quelques libertés avec le droit et la loi, ainsi que le fait la Directrice à l’Enseignement supérieur, avec l’aval et sous l’impulsion de la secrétaire d’Etat, et désormais sous la responsabilité directe du nouveau Ministre de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Benoît Hamon. Tout citoyen attaché à la démocratie véritable et au respect du droit devrait s’en inquiéter. Et plus encore nos députés. Car les faits sont graves et au-delà des sanctions administratives qui devraient être prises dans les meilleurs délais, notre représentation nationale devraient s’interroger s’il n’y aurait pas lieu d’initier une proposition de résolution en vue de diligenter une Commission d’enquête parlementaire sur la mise en application de la loi ESR du 22 juillet 2013. Il ne serait pas non plus inutile que notre représentation nationale légifère enfin pour prévenir les conflits d’intérêts dans la recherche et l’innovation, ainsi que Yann Bisiou en rappelait l’urgence sur son blog, il y a plus d’un an.
Quand l’Etat tolère en son sein des hauts fonctionnaires qui bafouent la démocratie et des conseillers qui, dans plusieurs ministères, usent de leurs pouvoirs pour satisfaire des intérêts privés, il se discrédite aux yeux de tous les citoyens. Quand l’Etat méprise l’une de ses fonctions publiques, il mutile l’un de ses membres. Quand l’Etat tord les lois que la représentation nationale a votées, il sape ses propres fondements. L’Etat socialiste détruit l’Etat. Il est de la responsabilité de toutes celles et de tous ceux qui en ont conscience, et au premier chef des agents de la Fonction publique, de tout mettre en œuvre pour dénoncer et faire cesser la destruction du bien commun.
Pascal Maillard
PROLONGEMENTS :
- Afin que le lecteur puisse prendre la mesure de l'usine à gaz que constituera chaque COMUE, je mets en lien le projet de statuts (version non définitive du 15 avril) de la communauté d’universités et d’établissements de Toulouse Midi-Pyrénées.
- Henri Audier, sur son blog EducPros, demande à la "Ministre" dans deux billets distincts de "nous débarasser de Cosa Nostra" et de "Reprendre les choses au lendemain des Assises".
- Un texte simple et et très clair de Christophe Pébarthe sur les regroupements d'universités :
http://blogs.mediapart.fr/blog/christophe-pebarthe/230514/regroupement-duniversites-le-choix-de-lassociation
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Une université de technologie mise au pas :
la DGESIP hors la loi
Quand une université est fragilisée par des années d’austérité et de réformes imposées au pas de charge - toutes le sont à des degrés divers -, l’Etat intervient, rarement pour lui apporter son soutien, plus souvent pour imposer et accélérer la réforme. L’exemple de l’Université technologique de Belfort-Montbéliard (UTBM) est remarquable. Petite narration au cœur de laquelle nous allons retrouver un homme politique bien connu – Jean-Pierre Chevènement – l’Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) et Simone Bonnafous, Directrice générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle (DGESIP). Je prends appui sur des articles de l’Est-Républicain et une dépêche AEF.
ACTE I : La fusion empêchée. En Bourgogne-Franche-Comté, comme dans toutes les régions, le destin des universités et de la recherche est étroitement lié aux milieux économiques, au monde politique et bien sûr aux rapports que les élus locaux entretiennent avec le gouvernement. Créateur de l’UTBM en 1999, et encore actuellement membre de son conseil d’administration, Jean-Pierre Chevènement s’oppose vigoureusement au printemps 2013 à un projet de fusion entre l’Université de Bourgogne (Dijon) et l’Université de Franche-Comté (Besançon). On peut lire, dans un article de la presse régionale, en date du 23 mars 2013 : « Jean-Pierre Chevènement, sénateur MRC du Territoire de Belfort, réagit négativement à la décision de fusionner dès 2014 les universités de Franche-Comté et de Bourgogne. L’ancien ministre croit savoir que cette décision a été prise jeudi à Dijon, lors d’un déjeuner de travail entre la ministre de l’Enseignement supérieur Geneviève Fioraso et les deux présidents de région concernés : « Prise sans concertation, cette décision ferait perdre leur personnalité morale distincte aux deux universités qui seraient gérées par un conseil d’administration unique. » ». Premier acte de résistance du sénateur républicain à l’alliance socialiste entre la ministre et les présidents de région. Le Lion de Belfort a parfaitement compris et énoncé le principal danger de la fusion.
ACTE II : Le directeur désavoué. Lors du CA du 22 novembre 2013, Pascal Brochet, directeur de l’UTBM depuis 2011 – après deux administrateurs provisoires et un directeur par intérim -, se voit opposer une motion de défiance adoptée à la quasi-unanimité des membres du conseil. Sont mis en cause « des dysfonctionnements graves liés à des problèmes de management et de structure ». Le 9 décembre un membre extérieur du CA chargé de faire une étude et des propositions pour remédier aux problèmes, jette l’éponge, constatant que « la crise est profonde ». Les 11 et 12 décembre l’IGAENR est dépêchée en urgence pour faire un audit dont le rapport doit être remis à Geneviève Fioraso (article de l’Est-Républicain du 20 décembre 2013). Le 24 janvier 2014 le président du CA, Yves Ménat démissionne, sans donner d’explications (dépêche AEF du 13 février). Le divorce semble consommé entre le directeur et son CA. Cependant, fait essentiel, la journaliste de l’AEF rapporte dans la même dépêche des propos du directeur de l’UTBM qui annonce que la crise est passée et qu’il « souhaite la création d’un conseil académique… et d’un conseil d’orientation stratégique », à savoir deux des principales « recommandations » que fera Simone Bonnafous deux mois plus tard dans sa lettre au directeur. Une question mérite alors d’être posée : la ministre et l’administration centrale auraient-elles agi de manière à renforcer la position du directeur fragilisé et contesté par son CA ? Viendraient confirmer cette thèse l’appui constant du Recteur de l’Académie de Besançon à Pascal Brochet et la nomination de celui-ci au grade de Chevalier de la Légion d’honneur sur le contingent de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche (décret du 18 avril 2014, Promotion de Pâques). Singulière récompense pour un directeur qui aurait pu être démis de ses fonctions. Mais la COMUE doit passer, coûte que coûte. L’acte III le prouve.
ACTE III : La démocratie bafouée. Ainsi que Simone Bonnafous a pris l’habitude de le faire avec de multiples présidents d’universités, elle envoie au directeur de l’UTBM une missive comminatoire datée du 31 mars 2014 (voir la lettre en pièce attachée ou ici). Singulièrement le directeur diffusera cette lettre à tous les personnels et tous les étudiants de l’université alors que sa destination naturelle est tout au plus les membres des conseils et de la direction de l’université. Le directeur entend faire clairement savoir à l’ensemble de la communauté universitaire la marche à suivre, avant même d’en avoir débattu avec les élus. Passons sur cette faute administrative et politique et venons-en à la fameuse lettre. La particularité tout à fait exceptionnelle de ce courrier de Simone Bonnafous est de vouloir imposer des mesures qui ne revêtent aucun caractère obligatoire ou qui constituent même des entorses à la loi. Sur la base des « recommandations de l’IGAENR » il « est demandé » au directeur de mettre œuvre quatre mesures, et ceci « au plus tard à la rentrée universitaire du mois de septembre ». On appréciera les délais au regard de la nature de la 4ème mesure : « Infléchir fortement la politique de recherche, en restructurant les unités de recherche dans une logique de politique scientifique de site ».
La 3ème mesure, ici imposée, ne revêt aucun caractère réglementaire. Elle est généralement laissée à la discrétion des présidents : « Instituer un comité d’orientation stratégique ». Les COS ne sont mentionnés dans aucun texte réglementaire mais le ministère souhaite en voir fleurir partout, sur le modèle des entreprises privées. Composés de membres extérieurs issus le plus souvent du monde de l’entreprise ou de la finance, les COS sont devenus dans les universités des instances informelles servant essentiellement à «orienter » le service public vers le secteur privé. Ils sont composés des conseillers occultes des présidents et n’ont aucun compte à rendre. On voit mal en quoi un COS aiderait la direction de l’UTBM à résoudre ses dysfonctionnements structurels, sauf à accélérer les réformes dans un sens qui est celui du néolibéralisme à la mode.
La 2ème mesure est bien plus politique et s’inscrit dans le cadre de la nouvelle loi ESR : « Mettre en place un conseil académique ». Ne résistant pas à son penchant irrépressible pour les ordres précis et à son sens aigu des détails, Simone Bonnafous va jusqu’à demander que la présidence du Conseil académique soit « assurée par le directeur ». En aucun cas il ne relève des compétences de la DGESIP ou de la ministre de dicter qui doit présider le Conseil académique, d’autant que la loi de juillet 2013 dispose que le président « peut être le président du conseil d’administration ». Il peut donc être une autre personne que le président d’université ou, dans le cas qui nous occupe, le directeur d’une université de technologie. Plus avant, la loi ne rend pas obligatoire la création d’un Conseil académique pour les universités de technologie. Dans les faits, l’imposition du Conseil académique et de son président vise explicitement à « renforcer le poids de la commission de la recherche et de la commission de la formation, par rapport au conseil d’administration », à savoir le pouvoir du directeur de l’UTBM, contre un conseil d’administration politiquement hostile. Il ne s’agit plus ici seulement de mise en ordre d’un établissement qui fonctionne mal, ou d’ingérence dans la vie démocratique de celui-ci. Le ministère, via la directrice de la DGESIP, entend régir directement l’UTBM, contre l’avis de ses élus.
La 1ère mesure – j’ai gardé le meilleur pour la fin – laissera bouche bée bien des juristes ou plus simplement tout lecteur un peu attentif du Code de l’Education et de la loi ESR de 2013. Il s’agit rien moins que de « rendre la qualité d’administrateur élu du conseil d’administration incompatible avec toute autre fonction élective ou représentative au sein de l’établissement». C’est tout bonnement illégal. Les seules incompatibilités que mentionne le Code de l’éducation sont les suivantes : impossibilité de « siéger dans plus d’un conseil de l’université » et « d’être élu à plus d’un conseil d’administration d’université » (Article L 719-1). Mais ce n’est pas tout. Simone Bonnafous précise dans sa lettre que « le rapport (de l’IGAENR), recommande en outre que la règle d’incompatibilité avec le mandat d’administrateur, qui s’applique aux directeurs fonctionnels et aux directeurs de départements, soit étendue aux directeurs d’unité ou d’équipe de recherches ». L’illégalité est encore plus flagrante. Ces dispositions cumulées conduiraient à vider les conseils d’administration des universités françaises de la moitié de leurs membres. En outre, contrairement à ce qu’affirme Simone Bonnafous, je n’ai trouvé aucune trace, ni dans le décret de création de l’UTBM, ni dans les statuts de l’établissement, d’une supposée incompatibilité pour les « directeurs fonctionnels » et les « directeurs de départements ». En faisant quelques recherches je découvre que cette double incompatibilité figure dans le réglement intérieur de l'université. Or un règlement intérieur ne peut pas valablement contenir des dispositions restreignant les droits ouverts par la loi, ce que les inspecteurs et Simone Bonnafous ne devraient pas ignorer.
Simone Bonnafous entend donc réécrire le droit de l’élu, un droit strictement encadré par la loi. Une question essentielle mérite alors d’être posée : est-ce bien l’Inspection générale (IGAENR) qui a procédé dans son rapport à de telles recommandations, ou bien Simone Bonnafous interprète-t-elle librement celui-ci ? Dans le premier cas les faits seraient graves : l’inspection aurait commis des fautes de droit et aurait compromis son indépendance. Dans le second, ils le seraient davantage. Dans tous les cas, il est manifeste que ces "incompatibilités fabuleuses" ont pour fonction de soutenir un directeur en difficulté et de favoriser le projet de COMUE Bourgogne/Franche Comté, projet dans lequelle l'UTBM est un acteur majeur. Car, au lieu de la neutralité, de l'indépendance et de l'objectivité que l'on est en droit d'attendre du ministère (IGAENR et DGESIP) et du rectorat, nous observons que ceux-ci ont pris fait et cause pour le très contesté directeur : les problèmes viendraient principalement des membres du CA. Ce dont on peut douter fortement dans le cas de « dysfonctionnements graves liés à des problèmes de management et de structure ».
En définitive, le ministère et la DGESIP, peut-être avec le concours de l’IGAENR, élèvent ici au carré une dérive qui s’est aggravée ces deux dernières années : la rédaction des statuts et des grands textes contractuels (projet d’IDEX, contrats de site…) en lieu et place des universitaires. Que les rectorats et l’administration centrale du ministère exercent les contrôles de légalité qui leur incombent est une chose. Qu’ils dictent des textes ou des mesures aux établissements en est une autre. Que ces mesures soient illégales en est encore une troisième, qui nous fait entrer dans une autre dimension. L’action de Simone Bonnafous s’inscrit visiblement dans ce troisième cas. On se trouve donc aujourd’hui dans la situation – ubuesque - suivante : les universitaires, malmenés par un Etat irrespectueux du droit et des lois, sont conduits à suspecter la légalité des mesures que celui-ci leur impose et sont même contraints d’en vérifier la légalité. Le monde à l’envers !
Il pourrait être intéressant de demander à Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l'Education nationale et membre du CA de l'UTBM, ce qu’il pense de tout ceci. Nul doute que le Lion se mettrait à rugir.