L’université et la recherche françaises sont à la croisée des chemins. Les socialistes aussi, mais ils ne veulent pas le savoir. Les choix politiques des prochains mois seront pourtant décisifs : ou valider et parachever les réformes sarkozistes, ou rompre avec le paradigme de l’excellence et ses conséquences délétères pour impulser une tout autre politique. Les questions qui se posent sont les suivantes : le gouvernement socialiste est-il prêt à conduire une réforme en profondeur de l’enseignement supérieur et de la recherche ? A-t-il la volonté d’initier une politique de rupture avec dix années d’affaiblissement et de déstructuration des universités et des organismes de recherche ? Plus précisément est-il vraiment décidé, ainsi que François Hollande l’a laissé entendre durant sa campagne, à faire de la recherche et des universités une priorité, au service de la jeunesse, de l’emploi et du redressement économique ? Et pour atteindre cet objectif, le gouvernement actuel investira-t-il dans ces secteurs qui sont vitaux à l’avenir de notre pays, les moyens humains et financiers nécessaires au développement d’un service public d’enseignement et de recherche digne de ce nom?
Sans préjuger d’éventuels infléchissements et du poids des Assises dans les prises de décisions – infléchissements, disons-le tout de suite, qui dépendront essentiellement de la capacité de mobilisation des personnels et des étudiants -, force est de constater qu’on ne peut aujourd’hui que répondre par la négative à ces quatre questions. Car les premières orientations et les signaux envoyés par le gouvernement en matière de politique universitaire et de recherche ne sont pas bons. A juste titre, certains les jugent très inquiétants. D’autres, comme l’auteur de cet article, ne s’en étonnent pas. Ces orientations sont dans la droite ligne de l’adhésion et du soutien historiques du Parti socialiste et de ses précédents gouvernements aux politiques universitaires et de recherche les plus libérales : adhésion forte au processus de Bologne, à la SRI (Stratégie Régionale de l’Innovation) imposée par le Traité de Lisbonne et à la politique européenne de recherche ; soutien également à l’autonomie des universités, à l’essentiel de la loi LRU de 2007, au Crédit Impôt Recherche, à la politique d’excellence et au cadre concurrentiel et marchant qu’elle impose, le tout au bénéfice du secteur privé.
Dans tous les cas, ni le choix de Geneviève Fioraso comme ministre de l’ESR, ni la composition de son cabinet, ni ses déclarations, ni même les conditions d’organisation des Assises, ne vont dans le sens d’une rupture profonde avec les orientations européennes et les politiques calamiteuses de la droite qui ont mis un quart des universités françaises en déficit et ont fait régresser notre pays à la 14ème place européenne. Sans procès d’intention et en dehors de tout discours « gauchisant » - argument utilisé par nos socialistes libéraux bon teint pour disqualifier par avance toute prise critique et les débats nécessaires -, les constats sont accablants : le gouvernement socialiste, sous couvert de consultation ou d’attentisme, s’apprête à valider l’essentiel des réformes antérieures alors qu’elles ont mis les établissements d’enseignement supérieur au bord du gouffre financier et que cette rentrée universitaire s’annonce comme l’une des plus calamiteuses de ces dernières années.
Aveugle à la crise profonde que vivent les universités et les universitaires, sourde aux alertes, demandes et appels multiples des organisations syndicales, des associations et même de la coordination des instances du Comité National de la Recherche Scientifique (lire ici le texte remarquable du C3N) ou encore de la CPU qui se réveille tardivement (voir ici la lettre du 12 septembre), Geneviève Fioraso continue de distiller imperturbablement sa prose réconciliatrice dans de multiples entretiens (voir par exemple ici et là et encore ici sur Mediapart) qui semblent tenir lieu de politique alors que des mesures d’urgence sont nécessaires. Et des mesures significatives, il n’y en eut aucune avant cette rentrée universitaire. En ira-t-il donc, pour notre gouvernement socialiste, de la politique universitaire et de recherche comme il en va de la politique économique ou de l’adoption du Pacte budgétaire ? Attentisme, renoncements, discours et mesures austéritaires annoncent une forte continuité avec les politiques de droite. Alors, en manière d’alerte, et pour nourrir la vigilance critique, je commence ici une analyse en plusieurs livraisons. La première répond à une urgence : la crise financière des universités et quelques-unes de ses conséquences. Le second volet portera sur les orientations politiques de la ministre. Le troisième traitera des Assises de l’Enseignement supérieur et de la recherche.
1. Crise financière et destruction massive des offres de formation et de l’emploi contractuel
Les universités et les organismes de recherche ont aujourd’hui besoin d’un état des lieux. Les Assises semblent vouloir s’en dispenser et miser essentiellement sur des contributions prospectives. Elles ne permettront assurément pas de produire cet état des lieux et certains diront que ce n’est pas leur vocation. S’il n’est pas question de faire un tel bilan en quelques paragraphes, au moins pourra-t-on s’accorder sur quelques constats.
La ministre en convient elle-même : 23 universités sont à ce jour déficitaires et la moitié le seront en 2013 si aucune mesure de refinancement n’est prise. Du jamais vu dans l’histoire de l’université française. La CPU rappelle dans sa lettre du 12 septembre son alerte de début d’année et précise ainsi les choses : « Début 2012, une enquête menée par la CPU révélait, que si la plupart des établissements avaient réussi à préserver leurs postes, en revanche ils avaient été contraints de prendre des mesures drastiques pour réduire la voilure, notamment en matière de politique indemnitaire, de recrutement de contractuels, de limitation des heures complémentaires, de compression de l’offre de formation et de diminution ou d’arrêt de leur politique d’investissement immobilier et de maintenance des bâtiments. La Ministre reconnait une « incontestable fragilisation de la situation financière des établissements » ; elle indique que près de 40 établissements prévoient d’avoir un fonds de roulement fin 2012 en dessous du seuil de 30 jours de fonctionnement. Dans ce contexte délicat, la CPU a réitéré sa demande de dégel des crédits mis en réserve (de l’ordre de 70 M €) ». Il est à craindre que ces 70 millions ne soient une goutte d'eau dans l’océan des déficits. Il manque un zéro à ce chiffre si l’on entend couvrir les besoins financiers immédiats des établissements, recouvrer les créances de l’Etat, palier les retards monstrueux dans le financement du Plan Campus et relancer une politique de recherche digne de ce nom.
Où en est-on aujourd’hui ? Le Plan Campus est gelé quasiment partout faute de versement des intérêts du Grand Emprunt. Des dizaines de milliers de mètres carrés de bâtiments universitaires demeurent hors sécurité, mettant potentiellement en danger les personnels et les étudiants. Les services centraux des établissements (DRH, Informatique, Communication, Finances, etc) qui avaient embauché des personnels administratifs et techniques en CDD pour faire face aux nouvelles charges de l’autonomie ou aux contraintes de la politique d’excellence, se séparent de nombreux contractuels, apportant ainsi leur contribution à l’augmentation du chômage. Les crédits récurrents alloués à la recherche sont partout en baisse et ce sont des colloques et des publications auxquels il faut renoncer. Même les projets d’excellence peinent à se mettre en place en raison de l’incapacité financière des universités à en assumer les coûts indirects qui ne sont pas pris charge par l’ANR. Enfin des centaines de gels de postes (emplois titulaires d’enseignants-chercheurs) viennent contredire l’optimisme relatif de la CPU en la matière.
Devant faire face à des budgets en déficit, les équipes présidentielles ont activé, progressivement ou parfois brutalement, quatre leviers, souvent avant même d’avoir sollicité leur tutelle ou réclamé un peu vigoureusement que l’Etat soutienne financièrement leurs établissements : réduction de la masse salariale sous plafond d’Etat (politique de gels de postes), non reconduction de centaines d’emplois en CDD pour faire baisser la masse salariale sur ressources propres, gel des investissements et dégraissage de l’offre de formation. Sur ce dernier point, particulièrement sensible, des informations multiples et alarmantes montrent que les universités ne se contentent pas de réduire les heures complémentaires ou de fermer telle ou telle spécialité. Ici on choisit de fermer une licence professionnelle ouverte il y a seulement deux ans, là on supprime des masters dont les effectifs ne seraient pas suffisants, ailleurs on réduit la durée du semestre d’une semaine. Le mot d’ordre depuis le printemps est le suivant : « dégraissage des maquettes ». Ce sont alors les conditions d’études qui se dégradent : diminutions des heures de cours, TD surchargés, encadrement réduit et parfois mobilité contrainte des étudiants pour cause de fermeture de formation.
Il faut le dire haut et fort : la formation et la transmission du savoir sont avec la recherche les missions fondamentales de l’université. On ne saurait accepter plus longtemps que les offres de formations de nos établissements, et par conséquent les étudiants, soient les premières victimes de l’irresponsabilité du précédent gouvernement, de l’inaction de l’actuel ou encore, il faut le dire, des gestions financières imprévoyantes ou erratiques de certaines équipes de direction. On ne peut prétexter, ainsi que le fait Geneviève Fioraso ou d’autres responsables politiques socialistes, parfois même des universitaires, qu’il y aurait trop de diplômes dans nos universités pour fermer les yeux sur une opération de destruction massive de l’offre de formation. Il ne faut pas confondre une politique raisonnée et concertée de mutualisation et d’harmonisation, certainement nécessaire, avec une entreprise de destruction, conduite dans une précipitation seulement dictée par des urgences budgétaires. Tout ceci est gravissime et requiert certainement que notre ministre s’exprime et agisse vite. Et il y aura peu d’excuses à ne pas le faire. Car la situation critique des universités est connue du gouvernement, de la nouvelle ministre et de notre représentation nationale qui disposent depuis des mois de rapports dont le contenu est tout aussi inquiétant que les alertes lancées par les organisations syndicales ou les associations SLU et SLR. Il suffit pour cela de se reporter au rapport très éloquent du Sénat sur la loi de finance 2012 (voir ici) ou au rapport de la Cour des Comptes (voir ici).
En définitive, il est à craindre que l’attentisme ou le défaut de réactivité du gouvernement socialiste et de la ministre aient bien d’autres raisons qu’un manque d’informations, même si nombreux sont ceux qui sous-estiment encore la gravité de la crise.
(à suivre…)
Pascal Maillard