« Le grotesque administratif n'a pas simplement été l'espèce de perception visionnaire de l'administration qu'ont pu avoir Balzac, Dostoïevski, Courteline ou Kafka. Le grotesque administratif, c'est en effet une possibilité que s'est réellement donnée la bureaucratie. “Ubu rond de cuir” appartient au fonctionnement de l'administration moderne, comme il appartenait au fonctionnement du pouvoir impérial à Rome d'être entre les mains d'un histrion fou. »
Michel Foucault
Tandis que M. Kasbarian, ministre de la fonction publique, tente de se camper en Elon Musk pourfendeur de la « bureaucratie excessive », le principal organe de bureaucratisation managériale de la science française, le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), est à nouveau en recherche d’une présidence. Prenons M. Kasbarian au mot et saisissons cette occasion inespérée d'obtenir la suppression pure et simple du Hcéres en commençant par la signature massive d’une pétition hébergée à cette adresse :
https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/
Le texte de la pétition est reproduit en fin de message. Nous apportons ci-dessous quelques éléments de contexte qui n’engagent pas les signataires.
Le ministre Patrick Hetzel a relancé le processus de nomination après plus d’un an d’interim et coopté des « candidats » parmi lesquels deux font figure de favoris.
M. Michel Deneken a assuré pendant deux mandats les fonctions de manager de l’Université de Strasbourg avec tant de brio que le Hcéres a dû produire un rapport faisant état des « faiblesses » de sa « gouvernance ». En outre, le chercheur en théologie Michel Deneken a brillé ces dernières années par sa discrétion. Enfin le Père Deneken a fait vœu de servir l’Église catholique romaine, principal opérateur de l’enseignement supérieur privé en France. La présidence d’une autorité administrative indépendante s'accommoderait si difficilement d’un conflit d’intérêts aussi notoire qu’il est permis de penser que M. Deneken fait surtout figure d’épouvantail commode au bénéfice de l’autre favorite.
Mme Coralie Chevallier est spécialiste des « déterminants évolutifs de la cognition » et se consacre notamment à la justification scientifique des techniques de réforme des politiques publiques par le nudge et les behavioural units. On pourra se faire une opinion des fondements de cette branche de la « psychologie évolutionniste » en se penchant sur son article le plus visible, « Tracking historical changes in perceived trustworthiness in Western Europe using machine learning analyses of facial cues in paintings » (Nature Communications, 2020), qui a donné lieu à un exercice de « valorisation » dans le tabloïd The Sun:
https://www.thesun.co.uk/news/12796321/most-trustworthy-celeb-faces-kim-kardashian-holly-willoughby/
Devant un tel casting, il est permis de penser que les rodomontades de M. Kasbarian pourraient trouver une traduction très concrète dans la politique du Hcéres. Or le Hcéres est simultanément la machine de guerre bureaucratique nécessaire au contrôle de l’Université et de la recherche, et son maillon faible : il nous suffit de refuser de contribuer à ce dispositif pour qu’il s’arrête. Ces dernières années, nous avons pu enrayer cette machine : ainsi, le mandat de M. Coulhon a échoué à faire du Hcéres le vrai ministère, qui contrôlerait l’attribution des moyens par des notes. Aussi pensons-nous qu’une pétition largement signée par la communauté académique permettrait d’en finir avec le Hcéres, de revenir à une évaluation par les pairs, que le Hcéres réduit aujourd’hui à la lecture de rapports et de tableaux dont les items sont choisis par d’autres. Nous voulons mettre la bureaucratie sous le contrôle de la communauté académique, plutôt que l’inverse.
Nous reproduisons ci-dessous le texte de la pétition à signer ici :
https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/
Les éléments ci-dessus n’engagent pas les signataires.
Pétition : Supprimons le Hcéres
Nous sommes universitaires, chercheuses, chercheurs, bibliothécaires, personnels techniques, d’ingénierie, d’administration, et de santé. Nous nous efforçons chaque jour de faire fonctionner l’enseignement et la recherche, de produire des connaissances et de les transmettre, de créer du sens.
Nous faisons depuis vingt ans l’expérience d’une paperasse proliférante. Ce terme recouvre une accumulation de procédures chronophages, de certifications, de mise en concurrence, de rapports, d’évaluations, de plateformes numériques et d’applications dysfonctionnelles, etc. Cette paperasse est un symptôme révélateur : l’Université et la recherche croulent sous la bureaucratie. Contrairement à ce que suggèrent certains usages trompeurs, la bureaucratie est d’abord le nom d’une division du travail entre des décideurs professionnels (les bureaucrates) et des exécutants dépossédés. L’appartenance à la bureaucratie se traduit par une hiérarchie de statuts, de primes et de pouvoir qui mime les processus scientifiques collectifs en les pervertissant. Cette bureaucratie a pris son essor sous le ministère de Mme Pécresse, alors que M. Hetzel était directeur général de l'Enseignement supérieur et de l'Insertion professionnelle (DGESIP), avec l’invasion des techniques de management typiques de ce nouveau régime (project, assessment, ranking, benchmarking et best practices). Elle sape les valeurs fondatrices de la science moderne — probité, patience, indépendance, partage — et contribue au décrochage scientifique du pays.
Toute honte bue, le « Ministre de la Fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique », M. Kasbarian, a félicité Elon Musk, milliardaire libertarien, raciste et eugéniste, à propos de sa nomination dans un gouvernement dystopique : « I look forward to sharing best practices for dealing with excess bureaucracy ». Mme Pécresse y est allée de sa flagornerie, dans une réminiscence de Daladier : « Un comité de la hache anti-bureaucratique, j’en ai rêvé et Elon Musk va le faire ! » Nous qui subissons une dégradation constante de nos conditions d’exercice depuis 20 ans, savons que les pires mesures de prolifération bureaucratique sont justement édictées en prétendant à une « simplification », tout comme la dépossession s’est grimée en « autonomie ». La bureaucratie raffole de l’antiphrase. Elle entretient sa croissance par ce subterfuge : il n’est pas de problème qu’elle engendre dont elle ne prétende être la solution.
Nous proposons d’appliquer les seules « bonnes pratiques » à même de faire pièce à la « bureaucratie excessive » : reprendre la main sur nos métiers et nous débarrasser de ce qui les empêche. Commençons par l’aberration la plus flagrante. Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) n’a plus d’organe d'administration (son « collège ») depuis le 1er novembre et n’a plus de président depuis un an. Des centaines d’entre nous se voient pourtant enjoindre de produire des rapports pour passer sous les fourches caudines de cette « autorité administrative indépendante ». Or celle-ci est censée ne pas pouvoir fonctionner quand ses instances sont vacantes. A quoi bon ce temps, cette énergie, cet argent, a fortiori à un moment où l’on fait mine de chasser les dépenses superflues ?
Le Hcéres n’est pas seulement inutile : il est aussi dangereux. D’une part, parce que c'est l'essence même d'une telle instance que de ne porter à sa tête que des apparatchiks cooptés, serviteurs exemplaires dopés au personal branding, et autres bureaucrates en fin de course. Mais surtout parce que les ennemis de la liberté académique raffolent de ce type d’agences, de leurs notes-couperets, et de leur capacité à dompter la résistance silencieuse du plus grand nombre.
Puisque le Hcéres tient de la bureaucratie à l’état pur, nous proposons de le supprimer et de réaffecter ses moyens aux secrétariats pédagogiques, à l’isolation thermique des bâtiments ou au nombreux autres usages urgents en souffrance. Nous ne doutons pas que cette expérience concluante pourra faire école dans d’autres domaines, au point, qui sait, de convaincre M. Kasbarian du coup de tronçonneuse ultime : la dissolution de son propre ministère.
Pétition à signer ici:
https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/
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Nouveau billet de RogueESR en date du 25 novembre
« La tristesse est une mauvaise herbe qu'il faut essayer d'arracher avant qu'elle ne s'étende. Nous existons, nous luttons, nous nous aimons et nous sommes fiers de tout cela. »
Madeleine Riffaud, engagée à 18 ans dans un groupe de FTP, est décédée le 6 novembre à l’âge de 100 ans.
Ce billet est constitué de deux brèves, dont une sur la pétition à signer ici:
https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/
« La liberté n’est pas ce qu’on nous montre sous ce nom.
Quand l’imagination, ni sotte ni vile n’a, la nuit tombée, qu’une parodie de fête devant elle, la liberté n’est pas de lui jeter n’importe quoi pour tout infecter.
La liberté protège le silence, la parole et l’amour.
Assombris, elle les ravive ; elle ne les macule pas.
Et la révolte la ressuscite à l’aurore, si longue soit celle-ci à s’accuser.
La liberté, c’est de dire la vérité, avec des précautions terribles, sur la route où TOUT se trouve »
René Char, 1958, Recherche de la base et du sommet
AG numérique ouverte de l’Association pour la Liberté Académique
ALIA, qui compte désormais 350 adhérents, organise une réunion d’information en distanciel destinée à se présenter et à organiser ses travaux à venir, le jeudi 28 novembre, de 12h15 à 13h45.
Lien de connexion (Passcode: 747526):
https://umontpellier-fr.zoom.us/j/93019920577?pwd=Y8Ck9sanqFzlFlbJW8JbbVdiOn17jV.1
Retrouvez les derniers communiqués de presse d’ALIA ici:
https://liberte-academique.fr/category/communiques-de-presse/
« La dureté des temps […] est chaque jour renforcée par l'action de personnages dont la médiocrité et la terne banalité contrastent avec l'intensité du mal qu'ils font. »
Miguel Benasayag, Halte aux méthodes du néomanagement !
Supprimer le Hcéres est une urgence
La campagne pour la présidence du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, se déroule par presse interposée, sous une forme qui n’est pas sans évoquer les riches heures télévisuelles de Don Camillo. Cela aurait de quoi déclencher la franche hilarité, n’était la capacité de cette autorité publique indépendante (API) à se transformer en organe de mise au pas de l’Université et de la recherche scientifique. Le 20 novembre au matin paraissait dans le Canard enchaîné un article approximatif intitulé Psychose dans la recherche !. Cet article tributaire de sources visiblement intéressées se concentre uniquement sur deux candidats-épouvantails bien commodes, campant l’un des deux en Don Deneken. Alerté par le battage fait sur le réseau social d’Elon Musk, Libérationse met en devoir de fact-checker l’article et ne trouve pas trace des critiques sévères supposées figurer dans un obscur rapport Hcérès (il s’agit de la page 68). À la décharge des journalistes, personne ne saurait trouver le temps de lire de tels prêchis-prêchas dépourvus d’intérêts et sans grand… rapport avec la réalité effective de l’Université. Le Père Deneken a contre-attaqué dans un encadré du journal l’Alsace, livrant son analyse de l’article du palmipède : « Tout le monde a le droit d’être dans un parti politique, d’être dans une loge maçonnique, mais ces choses-là [l’état clérical] posent encore des problèmes » ; c’est Peppone qui jette des miettes au Canard .
Pour notre part, notre problème n’est aucunement le candidat ou la candidate de telle ou telle faction. Notre problème exclusif est l’institution d’un système d’Université et de recherche fondé sur l’autonomie des savants, chercheurs et universitaires, vis-à-vis de tous les pouvoirs, qu’ils soient politiques, économiques ou religieux. Nous n’avons eu de cesse de promouvoir un nouveau modèle humboldtien, démocratique et humaniste, conforme aux enjeux des décennies qui viennent, un modèle qui transcende les clivages partisans. Or, le Hcéres est à l’opposé exact de l’idéal régulateur d’autonomie, raison pour laquelle il nous faut le supprimer. Il ne s’agit pas seulement d’économiser quelques jours de paperasse chaque année. Il ne s’agit pas seulement, comme la Cour des Comptes de pointer que le Hcéres coûte cher (22 millions €) et produit à ce jour du vide. S’il est nécessaire de supprimer le Hcéres maintenant, c’est parce qu’il s’agit d’une machine de contrôle fondée sur l’hétéronomie bureaucratique, qui ne demande qu’à monter en puissance au fil de la dérive post-démocratique et illibérale. Les états de service « humanistes » du futur exécuteur ou de la future exécutrice des basses œuvres nous importent peu car ils n’y changeront rien.
Nous vous invitons donc à nouveau à vous associer à la pétition demandant la suppression du Hcéres, qui a déjà réuni plus de 2000 signataires en quelques jours: