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Téléchargez le courrier demandant aux présidences des établissements universitaires de faire circuler le sondage IFOP-Baptiste :
https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/11/Courrier_Pseudoscience_IFOP.pdf
Le sondage conduit par l’IFOP peut être téléchargé ici :
https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/11/Sondage_Pseudoscience_IFOP.pdf
Pseudo-science et fichage politique trumpien
Il ne fait guère de doute que M. Baptiste donne des gages au Rassemblement National par anticipation d’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite : après les attaques contre la liberté académique analysées ci-dessous, le voilà qui s’en prend aux libertés individuelles en demandant à la bureaucratie du supérieur de collaborer à un fichage politique des universitaires et des étudiants. L’envoi d’un questionnaire politique à des agents du service public est une première : il viole le principe de neutralité institutionnelle. Ce sondage pseudo-scientifique, qui essentialise des catégories racistes, est totalement illégal :
- Le questionnaire collecte des données sensibles et identifiantes, ce qui pose un risque majeur en termes de protection des données personnelles. En effet, le questionnaire permet la réidentification des répondants par l’organisme collecteur, en violation des normes éthiques et du règlement général sur la protection des données (RGPD). L’anonymat des participants n’est pas garanti car ces derniers peuvent être ré-identifiés par le croisement de variables [1]. Le questionnaire demande tour à tour de remplir « l’âge », « le genre », « l’académie » d’exercice, « le type d’établissement (IUT, Classes prépa, universités, etc.), le caractère « public ou privé de l’établissement », « le statut qu’on y occupe (Enseignant, personnel administratif, etc) ». Il demande aussi si on travaille en « service technique, service commun, etc. », le « corps administratif d’appartenance », « le plus haut diplôme détenu » et pour finir demande de préciser le code postal de sa commune de résidence personnelle. Le croisement de ces dix variables facilite la réidentification des personnes par une simple logique de croisement. Prenons un exemple : le questionnaire pourrait aisément permettre de ré-identifier une répondante de 42 ans se déclarant comme personnel de l’académie de la Nouvelle Aquitaine, exerçant en IUT, en tant que BIATSS, titulaire d’une licence d’AES et résidant dans la commune de Bellac. Il est également demandé de préciser l’appartenance à un corps administratif. Par ailleurs, pour certains corps spécifiques, le corps correspond à l’établissement (ainsi du corps des « directeurs d’études de l’EHESS » ou du corps des « directeurs d’études de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes », d’un « chargé de recherche INRAE »), etc. La Cour de Justice Européenne a encore rappelé dans un arrêt du 4 septembre 2025 [2] que la pseudonymisation des données (contrairement à leur anonymisation) impose des règles strictes en termes de sécurisation des données, qui ne semblent pas respectées ici.
- Les données sont stockées sur un cloud non souverain, ce qui expose les informations sensibles à des risques d’accès par des acteurs étrangers — ici, les services étatsuniens, via Google. Le CNRS interdit ce type de pratiques. L’usage du Cloud Google pour des données relatives à la fonction publique est en outre contraire aux préconisations de l’ANSSI en matière de cyber-sécurité.
- Le consentement des participants n’est pas librement obtenu, car le questionnaire est diffusé via les établissements, à la demande du ministre, ce qui constitue une pression implicite sur les répondants.
- Le questionnaire est également adressé aux personnels administratifs, qui sont tenus à une obligation de réserve. Le positionnement sur une échelle droite-gauche les place dans une situation de conflit avec leurs obligations professionnelles.
- Un sondage en ligne est sujet à toutes les manipulations.
Ce sondage IFOP-Baptiste ne se contente pas d’ignorer les obligations légales de la recherche en matière de données sensibles, il piétine aussi toutes les normes méthodologiques des enquêtes en sciences humaines et sociales. Le combat contre l’antisémitisme est un combat juste. Les actes antisémites ont augmenté partout dans la société et les établissements universitaires, à l’image de la société, ne sont pas épargnés. Les assignations identitaires essentialistes, le suprémacisme, les fondamentalismes, le retour de théories pseudo-scientifiques d’une « hiérarchie des races » sont insupportables. Les combattre suppose, à l’Université, de prendre appui sur des travaux savants, sur la rigueur, sur l’exigence, sur la disputatio et sur l’éducation. Le sondage IFOP-Baptiste n’est pas une enquête scientifique. Ce n’est qu’un alibi pour une nouvelle attaque maccarthyste contre l’Université. Dans la mesure où le caractère pseudo-scientifique saute aux yeux, il est probable que le ministre n’en espère pas autre chose que quelques passages dans les médias du groupe Bolloré (CNews, Europe 1, etc), comme ce fut le cas pour l’enquête sur l’«islamo-gauchisme» de Mme Vidal — qui ne fut, elle, jamais menée à bien.
Vu la gravité des atteintes aux libertés individuelles, qui s’ajoutent aux attaques contre la liberté académique, nous demandons le retrait immédiat de ce sondage. Nous appelons les établissements à ne pas relayer ce sondage et recommandons à la communauté universitaire de ne pas y répondre.
« La censure est un peu comme le Diable, selon André Gide. Partout et nulle part, évanescente, dès qu’on veut la saisir, bien matérielle pourtant par la trace de ces actes, comme le Diable elle finira même par nous faire croire qu’elle n’existe pas, et c’est là, sa plus grande force. »
Jean-Jacques Brochier
Censure
Cette fois, il n’y a pas eu de doute : tout le monde a reconnu, dans la censure du colloque organisé par le Professeur Henry Laurens au Collège de France, une attaque frontale de la liberté académique de nature trumpiste. Plus personne ne peut ignorer que l’hebdomadaire Le Point est devenu un épicentre de la désinformation scientifique et du confusionnisme, des falsifications sur le climat et sur les néonicotinoïdes à la promotion du racisme et de l’eugénisme pseudo-scientifiques :
Une poignée de journalistes y poursuit la stratégie de « bataille culturelle » inaugurée il y a plus de quarante ans dans Le Figaro Magazine par Louis Pauwels et ses collaborateurs de la « Nouvelle Droite » autour d’Alain de Benoist. Cette stratégie se retrouve aujourd’hui dans la tactique « Flood the zone » théorisée par Steve Bannon et systématisée par l’alliance Trump-Thiel-Musk : sidérer en inondant les médias de « shit ». Ni la nébuleuse obscurantiste à la manœuvre, ni le ministre Philippe Baptiste n’ont anticipé l’émotion légitime suscitée dans le milieu académique par sa censure, et la fermeté unanime des réactions en défense de la liberté académique. Aussi, souhaitons-nous déplier dans les lignes qui suivent cet évènement riches en leçons.
« En matière de grande catastrophe publique, toujours privilégier la connerie au complot. La connerie est à la portée de tous, c’est donc assez largement répandu. Le complot nécessite beaucoup d’intelligence et d’organisation, c’est très rare. »
Michel Rocard
Pourquoi ?
Pourquoi le ministre, Philippe Baptiste, a-t-il fait pression sur l’administrateur du Collège de France, annonçant fièrement l’oukaze d’un message sur X, un réseau social abandonné par une grande partie des universités et des universitaires depuis qu’il est tombé sous le contrôle d’un milliardaire d’extrême-droite ?
Un « tombé du camion » de son cabinet annonce qu’il prendrait la tête du CNRS début 2026, à la suite d’Antoine Petit. Dans ces conditions, il n’est peut-être pas paradoxal qu’il n’ait pas anticipé la perte de ses derniers soutiens au sein de la communauté académique. Pourquoi l’administrateur du Collège de France, le Professeur Thomas Römer, a-t-il cédé à M. Baptiste plutôt que de remettre sa démission avec fracas ? Pourquoi a-t-il caché aux professeurs du Collège de France la lettre de menace de M. Baptiste, qui l’ont découverte lorsque nous l’avons publiée ? Il est consternant de constater ce déficit d’éthique de la part d’un universitaire intellectuellement audacieux, d’une originalité remarquable dans ses travaux sur la naissance de la Bible, faisant dialoguer analyse philologique des textes, histoire et archéologie du Proche-Orient ancien.
C’est en réalité la troisième attaque contre la liberté académique au Collège de France en peu de temps. En déficit budgétaire, le Collège de France a accepté des fonds de TotalEnergies – entreprise qui contribue de manière significative au réchauffement climatique comme à la production d’ignorance sur celui-ci – pour financer des programmes de recherche. La convention, qui prévoit que son contenu « est confidentiel et ne peut faire l’objet d’aucune divulgation à des tiers » comprend une clause de non-dénigrement qui engage le Collège de France à s’abstenir de « toute communication directe ou indirecte, écrite ou orale, susceptible de porter atteinte à l’image et à la notoriété » de la multinationale. [3]
Rappelons enfin que le principe même de collégialité et d’auto-organisation encore en vigueur au Collège de France est devenu une cible du pouvoir politique, comme en témoigne son évaluation caricaturale par le Hcéres, sur la base de critères bureaucratiques.
La leçon est rude, mais confirme ce qui s’est produit aux États-Unis : il n’est pas de présidence d’établissement susceptible de résister aux piétinement de la liberté académique, y compris lorsque la fonction est occupée par des personnalités d’une aussi grande exigence scientifique que le professeur Römer. La fonction exige la veulerie devant les oukazes trumpistes.
« Le droit de l’intolérance est donc absurde et barbare : c’est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous nous sommes exterminés pour des paragraphes. »
Voltaire, Traité sur l’intolérance
Justice et liberté académique
La justice administrative n’a pas protégé la liberté académique. La procédure de référé liberté, introduite en droit français en 2000, conduit un juge administratif à statuer dans les 48 heures pour faire obstacle, par toutes mesures, à une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale commise par l’Administration dans l’exercice de ses pouvoirs. En l’occurrence, l’existence d’une possibilité de repli en déplaçant la rencontre a conduit le juge à conclure « qu’il n’était pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression, à la liberté de se réunir et à la liberté académique. ». A posteriori, le Professeur Henry Laurens n’avait d’autre choix pour obtenir réparation en justice que de sacrifier le colloque.
La liberté académique a bien été piétinée, pourtant. Le prestige du Collège de France, sa contribution remarquable et originale à la connaissance des sociétés et cultures orientales, en faisait un lieu privilégié, légitime, protégé, pour accueillir un colloque savant sur les rapports entre l’Europe et la Palestine. Et c’est précisément ceci qui a provoqué la censure trumpiste : il s’agissait de reléguer la diffusion de ces savoirs-là à la marge. Ce qui importe, pour juger du piétinement de la liberté académique, ce sont les normes, les mœurs, l’éthique, les procédures dont la communauté académique se dote et dont elle est seule juge.
Dès lors, il ne s’agit pas de se lamenter sur le fait qu’un juge des référés a examiné une censure avec le petit bout de la lorgnette mais d’en tirer cette autre leçon : la liberté académique est avant tout l’affaire de l’Université, et non du droit. Il importe évidemment de faire évoluer le droit pour obtenir des protections judiciaires renforcées, et il importe d’apprendre à nous défendre en justice. Mais il y a une illusion dangereuse à focaliser l’attention sur l’inscription de la liberté académique dans la constitution et à laisser aux seuls juristes le monopole de l’analyse du concept. Il appartient à la communauté académique, c’est-à-dire à l’Université, de protéger et de faire vivre la liberté académique en son sein.
« Éduquer, ce n’est pas remplir des vases mais c’est allumer des feux. »
Michel de Montaigne
COMP à 100%
Les contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) constituent l’instrument central du projet de loi Baptiste de privatisation de l’Université. Il s’agit d’instruments de pilotage politique par « financement à la performance », fondés sur des indicateurs strictement calqués sur des considérations propres au secteur privé lucratif (insertion professionnelle et production de valeur marchande) et excluant intégralement les considérations propres à l’Université (transmission et production désintéressées de savoirs).
Les établissements universitaires viennent de recevoir une lettre de cadrage rectoral leur demandant de minorer leur budget de « toutes les ‘actions spécifiques’, dont les COMP, à titre conservatoire », et de la majorer « d’une compensation au titre du CAS pensions et de la protection sociale complémentaire ». Les espoirs (dérisoires) des bureaucrates qui ont pensé récupérer des pièces jaunes dans leur écuelle en collaborant à l’expérimentation des COMP à 100% viennent donc d’être douchés. Il n’y aura pas un kopek pour les « punks à chiens » de France Universités, de l’Initiative et de l’Udice.
Les COMP ne sont pas pour autant abandonnés. Au contraire, même. Le ministre Baptiste a en même temps annoncé la généralisation des COMP à 100% dès l’année prochaine, et leur synchronisation avec les élections universitaires. La mise sous tutelle politique des établissements universitaires ne s’embarrasse même plus de l’habituelle carotte budgétaire. L’intégralité des budgets, y compris le salaire des fonctionnaires, sera ainsi soumise aux critères arbitraires de l’exécutif. Le conditionnement des budgets fédéraux à des normes politiques est très exactement l’outil de contrôle utilisé par M. Trump aux États-Unis.
Cette mise sous tutelle de l’Université arrive dans une phase de montée en puissance de l’extrême droite et de l’illibéralisme. Il serait souhaitable que la tactique « Flood the zone » de M.Baptiste n’occulte pas la gravité de cette attaque-là, qui met en place les outils d’asservissement de l’Université dont rêve tout gouvernement autoritaire et illibéral.
[1] Il s’agit de pseudonymisation, ce qui impose des règles strictes sur la gestion des données.
[2] La Cour a en effet considéré que « les données pseudonymisées restent des données à caractère personnel tant que l’organisme conserve les moyens de réidentification, même indirectement ». CJUE, arrêt du 4 septembre 2025, affaire C-413/23 P, Contrôleur européen de la protection des données (EDPS) c. Single Resolution Board (SRB).
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=303863&text=
[3] https://revue21.fr/article/college-de-france-total/
Billet à retrouver ici : https://rogueesr.fr/trumpisation-de-luniversite-et-fichage-politique/
PS : On peut aussi prendre connaissance du communiqué de presse de l'Association pour la liberté académique (ALIA) sur l'annulation du colloque du Collège de France : https://liberte-academique.fr/annulation-du-colloque-du-college-de-france/