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Billet de blog 29 novembre 2019

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La précarité tue

La tentative d’immolation d’Anas K., étudiant à Lyon et militant au syndicat SUD, illustre de manière tragique la détresse d'une partie des étudiant.e.s, et rend plus urgente encore la nécessité de prendre des mesures concrètes pour lutter contre leur précarité.

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"La précarité tue"

Personnels de l'Université solidaires avec les étudiant·e·s

Personnels (administratifs, bibliothécaires, chercheurs et enseignants) de l’Université de Lille, nous nous dissocions du discours tenu par la présidence de l’Université ces derniers jours et condamnons fermement sa décision de déposer plainte, suite à l’annulation de la conférence de F. Hollande. Nous tenons également à alerter les élu·e·s membres des conseils de notre université sur ce qui est et doit rester l'essentiel : des conditions d'étude de plus en plus intenables et indignes au sein de notre établissement.

La tentative d’immolation d’Anas K., étudiant à Lyon et militant au syndicat SUD, illustre de manière tragique la détresse d'une partie de nos étudiant.e.s, et rend plus urgente encore la nécessité de prendre des mesures concrètes pour lutter contre leur précarité. À Lille, comme ailleurs, les problèmes sont nombreux et anciens : insalubrité d’une partie des logements CROUS, augmentation des loyers, des frais de transport, du prix des repas, sans parler de la difficulté à mener des études tout en travaillant (de plus en plus, et de plus en plus souvent) pour se nourrir et se loger. 

En tant que personnels, nous sommes témoins d'une dégradation croissante des conditions de vie de nos étudiant·e·s. L'organisation des études, imposant un strict contrôle d’assiduité, et un taux d’encadrement déplorable ne nous permettent pas, nous personnels de l’université, d’accompagner correctement nos étudiant-e-s, en particulier celles et ceux qui sont en souffrance. L'université manque de personnels d'assistance et de soin. Elle communique insuffisamment sur les aides sociales et matérielles disponibles (prêts d’ordinateurs, épiceries, paniers du Secours Populaire, aides exceptionnelles sur proposition de l'assistante sociale, etc.), lesquelles devraient être complétées et augmentées.

Plutôt que d’exprimer ses préoccupations à ce sujet, plutôt que de réagir au geste d’Anas K. et ainsi de s’adresser à toute la « communauté universitaire », l’Université de Lille porte plainte contre ses étudiant.e·s, les mettant ainsi sciemment en danger vis-à-vis d’une justice que l’on sait de plus en plus inique et répressive. Cette offensive constitue un précédent dans la politique d’une université qui, quoi qu’en disent ses communiqués, ne lutte pas sérieusement contre la précarité, et sème la division en son sein avec une telle démarche de judiciarisation.

Oui, cette lutte est légitime et les moyens employés sont à la mesure du silence assourdissant des institutions françaises depuis de trop longues années et de la provocation indécente que constituait l'autopromotion d'un ancien chef de l'État au bilan calamiteux en la matière. Nous désapprouvons la destruction de livres, sa symbolique autant que ses effets, lorsqu'une précieuse librairie indépendante doit en supporter le coût . Mais si une forme de réparation s'impose, la voie de la pénalisation est totalement disproportionnée.

Non, l’annulation de cette conférence n'a pas bafoué la liberté d'expression. Elle n’est pas un déni de démocratie, ou alors peut-être d’une pseudo-démocratie. Celle qui, comme dans notre université, exclut quotidiennement des discussions et de la parole publique les premièr·es concerné·es : étudiant·es et salarié·es de l’Université. Celle qui ne peut organiser de débats que filtrés, sous la protection de CRS et en empêchant quiconque aurait véritablement quelque chose à dire de le faire...

Rappelons que F. Hollande, comme tout ancien président de la Ve République, bénéficie de revenus et de privilèges exorbitants (dont le coût pour la collectivité s'élève à 2,5 millions d'euros par an), qu’il a voix au chapitre dans toutes les institutions et tous les médias, et qu’une conférence "ouverte" sur inscription et invitation à 1300 personnes (dont 600 en visioconférence) pour faire la promotion d'un livre édité par le groupe Lagardère ne permet pas « l’exercice démocratique ».

Rappelons aussi que notre université, qui affirme sans vergogne « être engagée dans la lutte contre la précarité des jeunes », est une des rares universités de ce pays à avoir instauré la différenciation des frais d’inscription pour les étudiant·es non communautaires mettant nombre d’étudiant·es étrangères dans des situations de très grande précarité; et elle est également en pointe dans l'application de "ParcourSup". Rappelons enfin qu'une bonne partie des enseignements sont aujourd’hui assurés par des enseignant·e·s vacataires, payé·e·s à l’heure, plusieurs mois, au mieux, après le travail effectué. Il en va de même pour les étudiant·e·s employé·e·s comme vacataires dans les services bibliothécaires, toujours en attente de paiement des heures effectuées depuis la rentrée.

Nous, personnels de l'Université de Lille, nous déclarons solidaires des étudiant·e·s qui se mobilisent pour exiger des conditions de vie et d'étude dignes. Nous dénonçons la criminalisation de leur contestation et appelons la présidence à retirer sa plainte au profit de l’ouverture d’un dialogue débouchant rapidement sur des mesures concrètes de lutte contre la précarité. Il serait inadmissible que l’un·e de nos étudiant·e·s soit placé·e en garde-à-vue et a fortiori poursuivi·e dans cette affaire. Au regard des situations de précarité et de souffrance réelles, cette annulation de conférence est dérisoire. Nous appelons la présidence à revenir à la raison et à s'attaquer à ce qui fait vraiment problème, et peut parfois tuer.

Collectif lillois des précaires de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

Collectif lillois pour l’égalité d’accès à l’Université

SNESUP-FSU | Université de Lille

SNASUB-FSU | Université de Lille

SUD Éducation Nord (Union syndicale Solidaires, Université de Lille)

Avec le soutien de Sud Recherche EPST - section de Lille

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