Trigger warning : celles et ceux qui auraient une tendance compulsive à suspecter des antisémites dans tout défenseur de la cause palestienne, voudront bien commencer la lecture de ce billet par le long post-scriptum, au bas de ce parti-pris, avant la publication des deux communiqués. J'y reproduis un poème d'Anise Koltz.
A l’université de Strasbourg le Comité Palestine Unistras se mobilise depuis trois mois. Dans l’indifférence générale de la communauté universitaire et le mépris du président de l’université. De 20 à 30 étudiant·es dorment toutes les nuits à côté du bâtiment de la présidence depuis trois semaines. Des étudiantes et des étudiants responsables, pacifiques et déterminés, subissant l'agression de certains personnels et des attaques de l’extrême droite. Certain·es sont politisé·es, ce dont la présidence tire prétexte pour ne pas les recevoir. Comme si toute forme de politisation et de réflexion critique était désormais bannie de l’université.
Dans un communiqué du 22 mai, l’intersyndicale de l’université de Strasbourg demandait qu’une délégation du comité soit reçue par le président, qu’un dialogue s’instaure et que les étudiant·es soient respecté·es (voir le texte ci-dessous). Cette demande n’a pas été entendue. Aucun dialogue n’a été ouvert avec le Comité Palestine Unistras. Plus grave, la police est intervenue à trois reprises pour encadrer des opérations de confiscation des tentes des manifestants, opérations exécutées par des personnels de l’université, qui n'ont toujours pas restitué les biens confisqués. Cette collaboration entre la police, omniprésente sur le campus, et des personnels de l’université, est totalement inédite et pose des questions de légalité.
Le président Michel Deneken - comme les autres présidents d’université -, peut ne pas partager les slogans, les revendications et les formes de lutte des étudiant·es qui se mobilisent pour un cessez-le-feu à Gaza, mais le refus du dialogue et de tout débat contradictoire contrevient à une très ancienne pratique universitaire qui est celle de la disputatio. L'université est un lieu de débat et de production et de diffusion d'un savoir critique, concourant à la formation de citoyen·nes émancipé·es. L’entorse aux franchises universitaires et le recours systématique aux forces de l’ordre ne peuvent être les seules réponses de celles et ceux qui dirigent les universités. Pourquoi donc refuser toute expression de solidarité avec les universitaires de Palestine dont les vies sont ravagées et les établissements détruits? On n'attend certes pas une position politique des présidences. Mais comment a-t-on pu arriver à cette situation où la majorité d'entre elles n'osent pas même une position humanitaire? C'est là le déshonneur des universitaires. Des présidences et de celles et ceux qui les laissent faire. Il faut leur dire qu'ils ne nous représentent pas et que leur silence n'étouffera pas les cris de souffrance qui nous viennent de Rafah et de Gaza. Il faut que les élu·es se lèvent dans les conseils centraux et leur disent, droit dans les yeux, que leur silence qui dure maintenant depuis 8 mois fait honte à l'humanité et à toute l'université. Un silence de 8 mois et de 40 000 morts.
Présidentes et présidents d’université, avec leurs équipes de direction, sont désormais mis devant leurs responsabilités et doivent faire des choix clairs. Ou bien continuer à répondre servilement aux ordres de l’Elysée et des préfets qui entendent étouffer et réprimer la mobilisation en soutien à la Palestine, ou bien garantir l’indépendance des établissements d’enseignement supérieur par rapport au pouvoir politique ainsi que la liberté académique et la liberté d’expression et d’organisation des étudiant·es. Ou bien jeter un voile pudique sur les partenariats et collaborations scientifiques avec des universités israéliennes qui participent directement ou indirectement aux massacres commis en Palestine, ou bien mettre en débat ces collaborations au sein des laboratoires, des Conseils académiques et des Conseils d’administration. Cette question n'est pas seulement scientifique. Elle ne peut pas être traitées par quelques directions de laboratoire, isolément. Elle ne saurait pas non plus être balayée d’un revers de main. Parce que c’est d'abord une question éthique, une question où l'éthique doit primer le politique. Elle engage les rapports entre science et société et par conséquent la responsabilité de toute la communauté universitaire. Sa responsabilité face à l’histoire.
Dans un texte adopté le 14 mars dernier, le SNESUP-FSU appelait les universitaires « à cesser les coopérations académiques susceptibles de contribuer aux violations des droits à l'éducation et des droits humains ». Cet appel , comme celui du Comité Palestine Unistras, doit être entendu.
La mobilisation pour la paix s’étend aujourd’hui aux lycées avec le mot d’ordre suivant : « Nous sommes tous des enfants de Gaza » (voir l’article de Rue 89 ici). Nous sommes aussi des étudiant·es et des universitaires de Gaza. Nous refusons de devoir porter le deuil de centaines de morts, des collègues, des doyennes et doyens, des étudiant·es de Palestine qui ont perdu la vie ces derniers mois, le deuil de tous les autres morts à venir si nous laissons faire. Nous devons aider maintenant les vivants, les sauver maintenant, les accueillir maintenant en nombre dans nos établissements. Nous devons tout faire pour que cesse cette barbarie innommable, le règne et la banalisation de la destruction et de la mort. Nous devons nous mobiliser dans tous les établissements d’enseignement et de recherche, dans la rue, partout où la voix de nos consciences révoltées peut être entendue. Les étudiantes et les étudiants mobilisées pour la Palestine sont la voix de la paix. Ils sont l’honneur de l’université. Cette voix forte et qui vient de loin, fait honte à toutes celles et tous ceux qui se bouchent le oreilles, ferment les yeux et se taisent.
Pascal Maillard
Le 30 mai 2024
PS : Ce parti pris n'oublie pas le caractère innommable des actes commis par le Hamas le 7 octobre 2023, ni les otages détenus par le Hamas. Rien, strictement rien, ne peut justifier une telle barbarie. Mais cette barbarie ne saurait pas davantage justifier que le peuple qui a subi l'un des pires génocides de notre histoire accepte et soutienne un gouvernement - d'extrême droite, raciste et ségrégationniste-, qui en commet un autre en son nom. Le 23 avril dernier j'ai lu devant le Parlement européen un poème admirable d'Anise Koltz à l'occasion d'un rassemblement pour un cessez-le-feu à Gaza organisé par mon ami Georges Federman. Je le reproduis ici. Il est extrait du poème "Beni soit le serpent", publié dans le recueil Somnambule du jour (Poésie/Gallimard, 2015).

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Ce parti pris n'oublie pas tous les israélien·nes et les universitaires qui s'opposent à la politique de leur gouvernement et se battent pour la paix maintenant.
Ce parti pris refuse l'imposture intellectuelle, médiatique et politique qui, depuis des mois, travaille à assimiler les mobilisations en soutien à la Palestine à des formes d'antisémitisme. Cette imposture construit un confusionnisme idéologique qui concourt à renforcer l'antisémitisme, l'islamophobie et l'extrême droite.
Ce parti pris ne méconnait pas les universitaires et camarades qui se mobilisent sincèrement et vigoureusement, ou qui travaillent à favoriser le débat au sein de leurs établissements, dans les conseils de laboratoire, de faculté, dans les conseils centraux, y compris sur la question des partenariats avec les universités israéliennes. Je pense en particulier aux combats des collègues de l'EHESS, de Science Po ou des départements de sociologie. Mais nous devons constater que nous sommes encore très minoritaires. Il faudra en analyser lucidement les raisons.
Pour signer la pétition du Collectif Palestine Unistras c’est ici
Pour l'arrêt des partenariats de l'Université de Strasbourg avec les universités israéliennes
Depuis maintenant plus de 7 mois, l'état d'Israël commet un génocide sur le peuple palestinien, dans un contexte de plus de 75 ans de colonisation, d'apartheid et de nettoyage ethnique.
La cour internationale de justice, la seule instance compétente pour juger de ce crime, le plus grave qui soit, a ordonné à Israël de tout faire pour faire appliquer le droit international face à "un risque sérieux" de génocide. Malgré des procédures usuellement très longues, la CIJ a ordonné l'arrêt immédiat des opérations militaires à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, face à la multiplication évidente des massacres commis contre des civils, des infrastructures de soin et des humanitaires. S'est ajouté à cela l'émission de mandats d'arrêt internationaux contre Benjamin Netanyahu, premier ministre israélien, et son ministre de l'intérieur, pour crimes de guerre.
Face à ces agissements terribles, en tant que communauté universitaire, nous ne sommes pas impuissant.es. Depuis plus de 20 ans maintenant, les universitaires palestinien.nes appellent leurs collègues du monde entier à boycotter les universités israéliennes et à couper tout lien avec elles ou leurs représentants. Le boycott académique ne cible pas des personnes du fait de leur nationalité, mais s'organise à l'encontre d'institutions universitaires qui prennent directement part à l'occupation, à l'état d'apartheid ou aujourd'hui au génocide contre le peuple palestinien.
L'université de Strasbourg a reconnu dans un communiqué public entretenir des partenariats académiques avec trois universités israéliennes : université de Bar-Ilan, Hebrew University of Jerusalem et Reichman University, et avec un institut de recherche, le Technion Institute of Technology. Nous souhaitons revenir précisément sur les agissements de chacune de ces institutions.
- l'université de Bar-Ilan collabore avec le Shin Bet (le service de sécurité israélien qui a été condamné par les Nations Unies pour son recours à la torture et à d'autres tactiques d'interrogatoire violentes et illégales), collabore avec l'armée israélienne et avec Elbit systems, le plus grand producteur d'armes d'Israel, a créé l'université d'Ariel dans la colonie illégale d'Ariel en Cisjordanie, en violation du droit inernational;
- l'université hébraïque de Jérusalem est construite sur des territoires occupés, reconnus comme illégaux par les Nations Unies, s'est vantée d'avoir fourni "divers équipements logistiques à plusiseurs unités militaires";
- la Reichman University relaie les discours de propagande de justification du génocide en cours, organise des collectes de denrées alimentaires pour l'armée et sa vice présidente a entre autre déclaré en novembre 2023 "l’ADN de cette université est qu’elle est une université sioniste qui travaille à soutenir la communauté et embrasse les forces de sécurité”;
- le Technion Institute of Technology est l'institut au cœur de la recherche israélienne sur l'armement, dont le président de l'entreprise Elbit Systems vante la centralité pour ses technologies. Il développe notamment des drones militaires pour la surveillance des Palestinien.nes et des bulldozers télécommandés pour la destruction de leurs maisons.
C'est pourquoi, nous, membres du comité Palestine Unistras, parce que nous refusons de nous rendre complices des crimes mentionnés ci-dessus et en solidarité avec l'appel des communautés universitaires palestiniennes, nous exigeons :
1. Une condamnation officielle des actions israéliennes : nous demandons au président de l’université, Michel Deneken, un communiqué public condamnant les actes d’Israël, appelant à un cessez-le-feu immédiat et au retrait israélien des territoires palestiniens historiques
2. La rupture de tous les liens académiques entre l’université de Strasbourg et les universités israéliennes notamment : l’université d’Ariel, de Bar-Ilan, de Jérusalem et de Reichman.
3. La mise en place d’un comité d’enquête au sujet des partenariats entre les laboratoires de recherche et autres composantes universitaires strasbourgeois et israéliens.
4. La création de liens avec les universités palestiniennes, l’aide à leur reconstruction, mais aussi l’ouverture de place dans les universités françaises pour les Palestinien.nes.
5. La libération de tous les étudiant.e.s interpellé.e.s sur leur campus et l'abandon des poursuites judiciaires à leur encontre.
Comme l'université de Granada, l'université autonome de Mexico, la Dutch Royal Academy, l'université d'état de Californie, l'université de Barcelone et beaucoup d'autres, nous appelons l'université de Strasbourg à couper tous ses liens académiques avec les universités israéliennes.
Alors que nous sommes dans notre troisième semaine de campement pour la Palestine sur le campus central afin de faire entendre ces revendications à la présidence de l'université, nous appelons l'ensemble des membres de la communauté universitaire à signer cette pétition et la partager !
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Pour le respect des franchises universitaires et de la liberté d’expression
Communiqué de l'intersyndicale de l’Université de Strasbourg
Le 22 mai 2024
Les organisations syndicales de l’Université de Strasbourg saluent la mobilisation pacifiste des étudiant·es de l’Université de Strasbourg qui ont organisé un campement de tentes devant le Patio lundi 13 mai en soutien à la Palestine. La police est intervenue trois heures après l’installation des tentes, et le personnel de l’université a confisqué le matériel.
Le président de l’université semble avoir demandé l’intervention des forces de l’ordre sans justification, et sans communiquer, alors que les étudiant·es étaient totalement pacifiques. La police est intervenue une seconde fois vendredi 17 mai, à la demande du président, et a procédé à l’évacuation des étudiant·es installé·es devant le Patio. Le même jour, un personnel de l’université s’en est pris physiquement à deux étudiantes mobilisées. C’est inacceptable.
Nos organisations demandent que la mobilisation pacifique des étudiant·es soit respectée et que leur intégrité physique soit garantie. Elles rappellent que la liberté d’opinion existe en France depuis 1789. Les franchises universitaires sont plus anciennes encore.
Nos organisations demandent le respect de la liberté académique, des franchises universitaires, de l’indépendance des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs garantie par le Code de l'Éducation, ainsi que le respect de la liberté d'expression et d'organisation des étudiant·es. Elles invitent enfin le président à ouvrir le dialogue avec les étudiant·es qui souhaitent lui présenter leurs revendications.
Organisations signataires : FO-ESR, SNESUP-FSU, SNTRS-CGT, SNCS-FSU, SNPTES-UNSA, SNASUB-FSU, Sud Education Alsace, CFDT