Pascal Santoni
Syndicaliste CGT, ancien directeur du Métafort d'Aubervilliers, lieu d'expérimentation des applications numériques aux projets artistiques et associatifs.
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Billet de blog 3 mars 2023

Pascal Santoni
Syndicaliste CGT, ancien directeur du Métafort d'Aubervilliers, lieu d'expérimentation des applications numériques aux projets artistiques et associatifs.
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Colette : « Ils ont rétréci nos vies »

Le président de la République et ses ministres n’ont pas été avares de bons vœux pour 2023. Ils savent pourtant que les mesures et les réformes qu’ils envisagent vont faire une vie difficile pour la très grande majorité d’entre nous. Colette, retraitée après 44 ans de travail nous dit ses indignations et ses espoirs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Colette, à quel âge as-tu commencé à travailler ?

J’ai commencé à travailler à 15 ans. Avec un certificat d’étude, je suis partie de mon petit village en Corrèze pour la région parisienne chercher du travail. Mon premier travail a été vendeuse dans une pâtisserie, mais j’ai été virée au bout de 6 mois pour être arrivée en retard. Ensuite je suis devenue « bonne à tout faire » dans une famille comme on disait à l’époque.

En 1965 j’avais à peine 17 ans, j’ai pu entrer comme magasinière à l’Education nationale comme auxiliaire, un contrat qui permettait alors une certaine sécurité et une progression de carrière, contrairement aux contrats précaires actuels. Je suis ensuite passée stagiaire et un an après j’ai pu accéder un concours et devenir titulaire. Nous travaillions 48h par semaine, y compris le dimanche car il s’agissait d’un internat, mais j’ai beaucoup aimé ce travail.

J’imagine que ce changement de vie, de milieu à un âge où l’on ne songe pas particulièrement à son avenir professionnel n’a pas dû être simple à vivre…

Cela a été difficile évidemment, car débarquer à 15 ans dans la capitale venant de Corrèze et intégrer un emploi sans y être préparée c’est un choc. Mais j’ai eu la chance de rencontrer un responsable de la section syndicale CGT dans le premier lycée où j’ai pris mes fonctions. Il m’a proposé d’adhérer à la CGT. Je ne connaissais pas du tout le monde syndical. J’ai donc fait des stages syndicaux qui m’ont permis de me familiariser avec les enjeux et l’action syndicale. Comprendre les raisons de nos difficultés et les possibilités d’améliorer nos conditions de travail et de vie, c’est déjà une forme de libération et ça m’a envahie. Voir notre valeur professionnelle reconnue et savoir que nous n’étions pas destinées à subir l’exploitation au travail, ça aide. Toute seule je ne sais pas comment j’aurais pu surmonter les difficultés, l'isolement. La CGT est devenue ma seconde famille.

Quand est-ce que tu as pu partir à la retraite ?

Je suis parie en 2007, j’ai pu partir plus tôt car j’avais commencé plus tôt. Après avoir travaillé 44 ans, je l'ai vécu comme une libération.

A quoi tu rêvais pour ta retraite ?

Voyager ! Je voulais découvrir des pays, la France, aller au cinéma, au théâtre, visiter des musées où je n’avais jamais mis les pieds. Oui c’était des aspirations fortes chez moi, un besoin. J’étais partie jeune pour travailler avec un certificat d’études, j’avais envie d’apprendre et faire plein de choses qui font partie de la vie et que je n’avais pu réaliser.

Tu as pu réaliser tes rêves ?

En partie au début mais très vite les contraintes sont apparues. A la retraite les revenus baissent, 25 % du salaire en moins ce n’est pas rien, à cela il faut ajouter ou plutôt enlever les primes car elles ne comptent pas pour la retraite, mais aussi, on n’y pense pas, les tickets repas, on avait un repas complet pour l’équivalent de 3 euros, la prime de transport. Le passage à la retraite nous prive de ces acquis qui représentent des moyens de vivre correctement.

Quel est le montant de ta retraite ?

Ma retraite est de 1500 €, je ne suis pas propriétaire de mon appartement, j’ai cependant la chance d’avoir une location depuis 1991 en logement social avec un loyer de 570 €. Aujourd’hui ce ne serait plus le même loyer !

Comment ressens-tu l’évolution de la situation des retraité.e.s ?

Avant la réforme Balladur nos retraites étaient revalorisées chaque fois que les salaires des actifs étaient augmentés. On a perdu cet acquis. Pour moi c’est grave, parce que la désindexation des retraites par rapport aux salaires c’est la volonté de séparer les retraités des actifs, de mettre à part les retraités. Depuis, le niveau des pensions n’a cessé de diminuer avec le blocage de leur revalorisation et l’augmentation de la CSG.

Cette politique nous fait « une vie rétrécie ». Même si je ne suis pas malheureuse je ne vis plus ma vie comme j’aurais pu y prétendre et encore moins comme je l’ai rêvée.  On répond aux besoins essentiels et on supprime progressivement les petits et les grands plaisirs : les voyages évidemment, le cinéma, les livres, on reporte l’achat d’une paire de chaussures, d’une robe, inviter des amis au restaurant devient un problème, même un repas de famille…c’est mutilant, c’est dur à vivre. Je me dis qu’on a travaillé des dizaines d’années, produit les richesses de ce pays et elles nous échappent complètement.

Se priver en sachant que l’argent qui nous est refusé va servir à construire des routes, des hôpitaux, des écoles, on pourrait à la rigueur s’en accommoder, mais on sait que l’argent est dilapidé dans la spéculation, les paradis fiscaux. Ç’est insupportable !

Quelles seraient les aspirations, les revendications auxquelles tu tiens le plus ?

Pour moi la plus belle des aspirations ce serait de changer les choses, de transformer notre société pour créer une situation où les travailleurs ont leur place, où ils sont entendus dans l’entreprise, où ils peuvent décider de ce qu’il faut pour l’entreprise et le pays.

Il faut préserver notre système de retraite et de sécurité sociale. La retraite c’est notre richesse, c’est le moment où on commence une nouvelle vie, plus libre. Les meilleurs moments de ma retraite c’est le début, parce que j’étais en bonne santé. On se dit quelle richesse de pouvoir partir à la retraite en forme, se dire "ça y est enfin je dispose de mon temps de vie".

Et on ne peut parler de santé sans parler de Sécurité sociale. Qui peut se soigner sans la Sécurité sociale ? C’est une des plus belles conquêtes sociales, une conquête de solidarité comme on l’entend, pas la charité mais une vraie solidarité.

Il faut en finir avec la précarité, les bas salaires qui font les petites retraites, permettre aux jeunes de ne plus vivre dans une galère permanente. C’est le niveau des salaires et la qualité des conditions de travail qui font qu’on partira à la retraite en bonne santé.

L’accès aux soins. Je suis en relative bonne santé mais il ne faudrait pas que je sois obligée de consulter plus souvent mon médecin et des spécialistes, car les centres de santé où les tarifs restent abordables sont de moins en moins dotés en personnels. Et que dire de la situation des hôpitaux !

Les transports se dégradent, les bus sont moins fréquents et la RATP a du mal à recruter des chauffeurs. J’ai appris que l’augmentation du tarif de la carte Navigo allait servir à la Région pour financer la privatisation du réseau de bus parisien. Ce sont les usagers qui vont payer la casse du service public !

Pour les services publics en général il faut empêcher que les technologies, qui sont utiles, remplacent la présence humaine, le contact. En fait il faut réintroduire de l’humain partout.

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