Dans votre dernier ouvrage « Collaborations », vous concentrez vos investigations sur les liens entre l’extrême droite et les milieux d’affaires. Vos révélations parfois stupéfiantes font de vous un lanceur d’alerte. Qu’est-ce qui vous a vous-même alerté pour entreprendre cette enquête ?
J’avais à l’esprit l’enseignement de l’Histoire contemporaine selon lequel il n’y a jamais eu d’accession au pouvoir de l’extrême droite sans l’appui et le consentement des milieux financiers. Il y a plusieurs causes à l’ascension de l’extrême droite en France, il y a d’abord l’extrême droitisation de la droite autrefois républicaine et qui l’est de moins en moins, mais aussi les désillusions provoquées par la politique d’austérité produite par la gauche après 1982, le rôle accablant de la presse qui a déroulé le tapis rouge à Marine Le Pen et enfin le patronat. Dans les années trente, c’est grâce au patronat que Mussolini accède au pouvoir en Italie, c’est le cas d’Hitler en Allemagne, plus récemment Pinochet au Chili. Je me suis donc demandé si nous n’étions pas dans une période de bascule similaire de jonction entre l’extrême droite et les milieux financiers.
Deux événements m’ont alerté. Les élections législatives de 2024 où le Medef cesse de faire jouer le barrage républicain. Le second ce sont les élections américaines où l’on découvre que les milieux d’affaires de la « Tech » californienne, que l’on croyait favorables aux démocrates, ont rallié Donald Trump.
Par intérêt ou pas proximité idéologique ?
En réalité les milieux financiers, considérant que le néolibéralisme ne suffisait plus pour assurer une rentabilité suffisante du capital, avaient conclu à « l’incompatibilité de la démocratie avec la liberté », et ont rêvé d’un capitalisme « libéré » de toute contrainte, entièrement dérégulé, voire mafieux. Un capitalisme sans démocratie. Un blogueur très influent aux USA s’interrogeait il y a 20 ans : « Mais que reproche-t-on au nazisme ? ». C’est une sorte d’anarcho-capitalisme qui se trouve aujourd’hui qualifié de « techno-fascisme » aux Etats Unis, symbolisé par Donald Trump et Elon Musk.
Le patronat Français n’a pas toujours été complaisant avec les thèmes de l’extrême droite. Que s’est-il passé côté patronat et côté Rassemblement national pour que des convergences et des collaborations s’établissent ?
Chacun a fait un pas vers l’autre. Le Rassemblement national s’est départi peu à peu de ses positions hostiles à l’Europe et favorables à un Etat fort, il a multiplié les déclarations visant « à rassurer les patrons » et les rencontres avec les milieux patronaux. L’attitude du patronat n’est pas homogène. Cela va de grands patrons acquis à l’idéologie de l’extrême droite, comme Bolloré, Dassault ou Sterin, à des patrons qui la soutiennent discrètement ou s’en accommodent, mais le trait d’union entre tous c’est la peur du mouvement social et la détestation de la gauche. La levée de boucliers contre la taxe Zucman a été stupéfiante alors qu’elle limite le prélèvement des 1700 familles les plus riches à 2 %. Il faut rappeler qu’aux Etats-Unis le taux marginal d’impôt sur le revenu des années 30 aux années 80 a été de 91 à 94 %. Cette évolution de l’attitude du patronat Français traduit une porosité grandissante et de nombreuses collaborations entre les milieux d’affaires et le Rassemblement national.
Ces collaborations peuvent-elles se concrétiser par une collaboration au sens où on a pu le constater sous le régime de Pétain en 1940 et comment peut-on selon vous y faire face ?
C’est vrai que cette dynamique de la détestation de la gauche et d’une presse très complaisante avec les idées d’extrême droite rappellent fortement les années 30, mais nous n’en sommes pas encore à son aboutissement, la collaboration telle que la France l’a connue sous Pétain. Le danger démocratique est cependant le même. D’autant que ce qui nous renvoie aussi aux conditions de l’accession au pouvoir de Hitler c’est la division de la gauche aujourd’hui en France. Mon espoir est qu’un front antifasciste puisse se constituer à l’image de ce qui anime les grandes confédérations syndicales.
Entretien réalisé par Pascal Santoni
Le dernier ouvrage de Laurent Mauduit « Collaborations », est publié aux éditions Cahiers libres/La Découverte.